Au lendemain de la condamnation en appel du laboratoire Servier dans l'affaire du Mediator, les victimes peinent à tourner la page. La compensation financière ne pourra pas reconstruire leur vie ni leur méfiance envers le monde de la santé.
C'est une victoire judiciaire, mais le goût en est amer pour les victimes. Après un procès en appel qui aura duré six mois, le laboratoire Servier a été condamné le 20 décembre 2023 à une amende de plus de 9 millions d'euros et à rembourser de plus 415 millions d'euros à la Sécurité sociale et aux mutuelles de santé.
"Il a fallu treize ans de procédure, commente Maitre Charles-Joseph Oudin, avocat de 200 victimes dans le Limousin. La cour a retenu l'extrême gravité des faits reprochés pour les victimes, mais aussi tous les usages du système de santé. La durée et l'ampleur de la fraude sont exceptionnelles."
Des vies brisées
Pour les victimes et leurs familles, ce marathon judiciaire aura été une épreuve. Certaines victimes sont décédées, d'autres n'ont pas pu assister au procès en raison de leur condition physique dû aux effets du Mediator.
"Je trouve ça bien, que ce se soit retourné contre eux. C'est important que les organismes soient indemnisés, ils nous remboursent quand même nos médicaments. Mais, oui... ça m’a brisé ma vie, quelque que soit l’argent qu'on puisse me donner", avoue Marie (prénom d'emprunt), victime limousine du médicament, qui a souhaité garder son anonymat.
Le Mediator a été prescrit à cette patiente afin de réduire son cholestérol. Elle a développé des effets secondaires du médicament qui implique encore aujourd'hui de multiples opérations dues à des hémorragies régulières. "C'est difficile d'avoir une vie sociale quand on se fait opérer presque tous les ans. J'ai une petite fille qui a six mois, je ne peux pas la porter, ça, ça me fait mal. "
C'est peut-être la fin du procès pour Servier, mais ce n'est pas la fin de nos misères.
Marie, victime du Mediatorà France 3 Limousin
Joy Ercole, une patiente haut-viennoise qui a aussi subi les dommages du Mediator, ne cache pas son inquiétude et son incompréhension face à la décision de justice de verser un remboursement aux organismes de santé." Il faudrait verser ça aux gens qui sont concernés, aux gens qui sont atteints. Je paie une mutuelle cher qui ne rembourse quasiment rien."
Le médicament l'a rendu inapte au travail. Disposant d'une petite retraite, elle se demande quand elle touchera une indemnisation
Je ne peux plus rien faire, ma vie est fichue. La moindre des choses, c'est de donner de quoi vivre dignement.
Joy Ercole, une victime du Mediatorà France 3 Limousin
Une suite ?
Toutes deux espèrent que ce procès servira d'exemple. La confiance envers le monde pharmaceutique a été définitivement rompu. " Ce qui me fait mal, c'est me dire qu'il y a des gens qui ont laissé passer ça", déplore Marie*. "Je suis méfiante par rapport aux traitements qu'ils nous donnent. Ma fille qui m'a vu comme ça a peur, elle préfère parfois ne pas se soigner", s'inquiète Joy Ercole.
Suite à sa condamnation, le groupe Servier a formé un pourvoi en cassation. Une autre procédure pénale, avec 5 000 dossiers de nouvelles victimes potentielles, est toujours en cours d'instruction sur des faits de blessures et homicides involontaire. Elle pourrait déboucher sur un autre procès dans les années à venir.