"Quand j'ai vu l'état de la cellule, je n'ai pas voulu y rentrer !" Punaises de lit, 200 % d'occupation, les prisons sous pression

Les chiffres de la population carcérale sont en nette augmentation en France, avec près de 79 000 personnes détenues pour 62 000 places. Les maisons d'arrêt de Bayonne, Rochefort, Tulle et Limoges dépassent les 200% de taux d'occupation. Dans ces deux établissements du Limousin, les conditions de détention se dégradent d'année en année, selon l'Observatoire International des prisons. De son côté, l'administration pénitentiaire évoque des aménagements pour faire face.

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Selon l'Observatoire International des prisons, au 1ᵉʳ septembre, les maisons d’arrêt, où sont incarcérées les deux tiers des personnes détenues, enregistrent un taux d’occupation moyen de près de 154%, et au moins dix-sept quartiers de détention (métropole et outre-mer compris) dépassent les 200%.

En Nouvelle-Aquitaine, quatre établissements pénitentiaires dépassent les 200% d'occupation : les maisons d'arrêt de Bayonne, Rochefort, Tulle et Limoges, selon les derniers chiffres publiés par le ministère de la Justice.

En France, 3 600 personnes détenues dorment sur un matelas à même le sol. Des chiffres dénoncés par les observateurs qui ne cessent d'alerter depuis des années sur le non-respect de la dignité des personnes emprisonnées.

Quand j'ai vu l'état de la cellule, je n'ai pas voulu y rentrer !

Un détenu arrivant à la maison d'arrêt de Limoges

Témoignage fourni par l'Observatoire International des Prisons

Limoges : une prison vétuste et insalubre

La maison d'arrêt de Limoges est malheureusement célèbre pour son état de vétusté extrême, elle figure parmi les plus anciens établissements pénitentiaires du Limousin, sa mise en service date de 1856. Dans cet établissement prévu pour accueillir 83 détenus, c'est le double (166 prisonniers) qui est en détention, le plus souvent en préventive, c’est-à-dire que la plupart des prisonniers sont en attente de jugement.

L'Observatoire International des Prisons est régulièrement contacté par des détenus de Limoges : grâce à une ligne d'écoute, ils n'ont pas besoin de demander l'autorisation à l'administration pénitentiaire pour joindre des membres de l'OIP. Leurs témoignages sont édifiants. "Quand j'ai vu l'état de la cellule, je n'ai pas voulu y rentrer !", explique un détenu arrivant à la maison d'arrêt de Limoges, dans un témoignage fourni par l'Observatoire International des Prisons.

Ce dernier a expliqué à l'observatoire qu'il venait tout juste d'être incarcéré à Limoges dans une cellule qui avait été mise à sac et incendiée par l'occupant précédent, sans aucune remise en état des lieux.

De nombreux témoignages insistent sur l'insalubrité des lieux : pas de cloison pour séparer les toilettes, des peintures hors d'âge qui cloquent, des cafards et beaucoup font état de cellules envahies par les punaises de lit, selon Odile Macchi, responsable du pôle enquête à l'OIP.

Information relayée par le syndicat Snepap-FSU en Limousin : les punaises de lit auraient contaminé l’ensemble du quartier dédié à la détention des hommes et désormais le quartier des mineurs. Des mesures d’éradication ont été prises cet été à Limoges, mais selon le syndicat de personnel pénitentiaire, sans grand résultat. Par ailleurs, aucune préconisation ou aménagement n’existerait dans l’établissement pour les personnels qui y travaillent, selon le syndicat. Et la surpopulation chronique empêche toute désinfection de cellules, car impossible de transférer les détenus le temps de procéder aux traitements. 

Trois prisonniers, dans neuf mètres carrés

Malheureusement, chaque année, le nombre de détenus dans cette maison d'arrêt ne cesse d'augmenter, sans aucune amélioration sensible des conditions de détention. 

L'accès aux douches communes est problématique dans cette maison d'arrêt, tout comme dans celles de Tulle ou de Guéret, où les conditions d'hygiène se dégradent, faute d'effectif de surveillants suffisants pour encadrer les prisonniers. Odile Macchi, responsable du pôle enquête à l'OIP, nous explique que dès les premières chaleurs, l'air devient étouffant, irrespirable, faute de ventilation et les ventilateurs ne seraient jamais livrés.

Même scénario, à la maison d'arrêt de Tulle qui accueille 95 détenus pour une capacité de 47 seulement, dès le mois d'avril, la chaleur devient pénible à supporter.

À lire aussi : Deux semaines après l'attaque d'un convoi pénitentiaire et la mort de deux agents, procès d'une agression "ordinaire" au centre d'Uzerche

Surpopulation carcérale et sous effectif de surveillants.

Le nombre de prisonniers admis en établissement à Limoges et Tulle est multiplié par deux depuis des années, mais les effectifs de surveillants ont peu évolué. 

Pour l'ensemble de la Nouvelle-Aquitaine, le syndicat FO pénitentiaire fait état de 225 postes vacants. Le personnel pénitentiaire gère la pénurie d'effectif : les heures supplémentaires s'enchaînent. "Une politique de recrutement est bien menée, mais cela ne compense pas le nombre d'agents qui partent à la retraite."

on ne peut plus faire correctement notre métier.

Hubert Gratraud

Conseiller insertion et probation, centre pénitentiaire de Bordeaux Gradignan

Pour l'observatoire international des prisons, cette surpopulation bafoue les droits des prisonniers qui, faute de gardiens pour les accompagner, se verraient annuler certains parloirs. Ils ne pourraient pas non plus accéder aux activités en vue de leur insertion, la préparation de sortie de détention est donc pénalisée, tout comme les soins médicaux et psychologiques apportés aux prisonniers impactés par ce manque d'effectifs de surveillants.

Les droits des détenus sont bafoués.

Odile Macchi

Responsable des enquêtes à l'OIP (Observatoire International des Prisons)

Nous avons contacté la direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP) de Bordeaux, cette dernière affirme que certains détenus condamnés sont orientés vers le centre de détention d’Uzerche, afin de limiter la surpopulation en maison d’arrêt.

La DISP de Bordeaux a également signé un protocole d’accord en octobre 2023 avec la cour d’appel de Limoges afin d’optimiser les aménagements de peine et les alternatives à l’incarcération.

Sur les questions de conditions de détention et d'hygiène, l'administration pénitentiaire n'a, en revanche, pas donné suite à l'heure où nous publions ces lignes. 

Coté syndical : l'un des responsables FO du centre de détention de Bordeaux-Gradignan, Hubert Gratraud constate que le nombre de détenus en préventive n'a pas tendance à baisser dans les établissements, surtout dans les maisons d'arrêts comme celles de Bayonne, Limoges, Rochefort ou Tulle, conséquence d'une politique plus répressive. Par ailleurs, pour alléger le nombre de détenus en centre de détention, les prisonniers qui n'ont pas d'attaches en Nouvelle-Aquitaine se voient transférés dans d'autres prisons françaises.

Situation explosive dans la majorité des établissements

L'Observatoire international des prisons dénonce des conditions de travail des gardiens de plus en plus mauvaises, et donc de plus en plus d'arrêts de travail, et des prisonniers qui passent de plus en plus de temps en cellule. Certaines situations deviennent rapidement explosives. Ils pâtissent de ce manque d'effectif qui les empêche d'accéder à leurs droits et de préparer leur sortie. Une situation que déplorent les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation.

À lire aussi : "Ça aurait pu être évité." 17 points de suture et 10 jours d'ITT : trois surveillants de prison agressés

Les agressions de surveillants se multiplient. Dans les maisons d'arrêt, les personnels pénitentiaires se sentent abandonnés. La France continue à beaucoup incarcérer, malgré des condamnations régulières de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour conditions indignes de détention.

Les juges ont souligné une politique pénale de plus en plus répressive, sans accompagner le déploiement d'établissements pénitentiaires. Le plan de construction de 15 000 places supplémentaires d'ici à 2027, plan lancé par l’ancien garde des Sceaux, Eric Dupont-Moretti lancé en 2018, se poursuit, le nouveau chef du gouvernement l'a confirmé dans son discours de politique générale. Cela porterait la capacité à 78.000 places.

À Limoges, pas d'amélioration en vue

Les lieux de construction des futures structures pénitentiaires ont été choisis en fonction de la surpopulation actuelle et de la surpopulation estimée à venir. Les besoins prioritaires sont concentrés dans les grandes agglomérations. Sur les cinquante chantiers d’établissements pénitentiaires du programme, la moitié sera opérationnelle en 2024 et onze ont été mis en service pour la seule année 2023. Mais pour Limoges, aucune nouvelle construction ou réaménagement de la maison d'arrêt ne sont annoncés.

Le Premier ministre Michel Barnier veut aussi poursuivre le développement des TIG, les travaux d'intérêt général, pour limiter les incarcérations pour des peines légères. Il s'agit de favoriser la prévention de la récidive et la préparation à la réinsertion en développant l’offre de peines et leur exécution en milieu ouvert : sursis probatoire, détention à domicile sous bracelet électronique, libération sous contrainte, placement extérieur, peine de stage, etc. 

L'administration pénitentiaire a également pris des mesures telles que l'interdiction des peines de prison de moins d'un mois et l'aménagement de peines pour limiter la surpopulation carcérale. Mais pour bon nombre d'observateurs du monde carcéral, cela s'avère insuffisant.



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