Faut-il consulter les Limousins sur leur place dans la Nouvelle-Aquitaine ?

A l’ occasion d’une « consultation populaire » qui a réuni 168 000 votants, 92% des Alsaciens se sont prononcés pour une sortie de la région Grand-Est. Sept ans après la dissolution du Limousin au sein de la Nouvelle-Aquitaine, une telle consultation serait-elle pertinente et envisageable auprès des habitants de cette ancienne région ?

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En 2015, le Président de la République socialiste François Hollande décidait d'entreprendre une grande réforme territoriale.

Dans son livre "Les leçons du pouvoir", il raconte comment, sur un coin de table dans son bureau de l'Elysée, il a "redessiné la France".

À la fin des fins, je dois rendre moi-même l’arbitrage ultime. J’étale la carte de France sur la grande table de mon bureau et, armé d’un crayon et d’une gomme, après avoir écouté les avis les plus divergents, je propose au Parlement un nouveau découpage administratif de la nation

François Hollande

Les leçons du pouvoir/Ed Stock

D’un trait de plume, plusieurs régions disparaissent, comme le Limousin dont François Hollande fut l’élu pendant près de 30 ans.

Désormais, la Haute-Vienne, la Creuse et la Corrèze qui recouvrent à peu de choses près ce qui fut jadis le territoire du peuple celte des Lémovices, puis pendant des siècles le diocèse de Limoges, sont rattachées à une grande région Nouvelle-Aquitaine dirigée depuis Bordeaux.

"C’est ainsi que la plus grande réforme territoriale depuis les lois de décentralisation de 1982 fut décidée et mise en œuvre" estime François Hollande dans son ouvrage.

Pourtant, sept ans plus tard, le redécoupage des régions françaises fait encore débat. En Occitanie, Montpellier a parfois du mal à cohabiter avec Toulouse. En Rhône Alpes-Auvergne, Clermont-Ferrand cherche sa place face à Lyon. Et en Alsace, on vient de le voir, la pilule n’est toujours pas passée. Forts de leur richesse économique et identitaire incontestable, les Alsaciens viennent de signifier qu’ils n’acceptaient toujours pas leur dissolution dans une région Grand Est aux côtés des ex régions Lorraine et Champagne-Ardennes.

En Limousin, le temps semble commencer à faire son œuvre dans les esprits

Si en 2015 le choc de l’absorption fut rude, si les débats furent intenses et les protestations véhémentes, beaucoup semblent avoir désormais mis de l’eau dans leur vin ou succombé à la résignation.

Il faut dire que le Limousin n'est pas l'Alsace. Dans ce qui est désormais la plus grande région de France en superficie, les aires urbaines de l'ancien Limousin ne représentent que 6,5% de la population de la Nouvelle-Aquitaine alors que sur la frange littorale, Bordeaux, Bayonne et La Rochelle rassemblent presque 30% des habitants. Et la politique de métropolisation clairement revendiquée par François Hollande comme objectif de sa réforme ne peut qu'aggraver cette tendance.

C’est le constat que fait Jean-Louis Pagès, conseiller régional Europe Ecologie les Verts de Haute-Vienne.

Il regrette cette métropolisation qui vient cumuler un déficit démographique du Limousin avec une baisse de son influence politique au sein du Conseil Régional car il y a de moins en moins d’élus pour le défendre.

Mais Jean-Louis Pagès fait remarquer que le phénomène qui se produit entre Bordeaux et Limoges était le même entre Limoges et la Creuse ou la Corrèze du temps de la région Limousin.

En Nouvelle-Aquitaine, le Limousin est en voie de Creusification

Jean-Louis Pagès, conseiller régional EELV

On assiste à une « Creusification » du Limousin estime-t-il. Mais il n’est pas pour autant favorable à une consultation populaire pour que le Limousin retrouve son autonomie. « Finalement ça n’est pas forcément une mauvaise chose que le Limousin soit rattaché à une grande région. On peut profiter de la puissance de feu de la Nouvelle-Aquitaine et la mutualisation peut être bénéfique ». Mais « cela a révélé des faiblesses que l’on ne voyait pas forcement avant. Désormais, il faut que le Limousin valorise ses atouts et dépasse ses complexes ».

Pour Guillaume Guérin, président « Les Républicains » de Limoges Métropole mais aussi conseiller régional d’opposition à Bordeaux, la réforme territoriale de François Hollande est un échec.

Mais il estime que l’Alsace est un cas particulier, très différent du Limousin. « La réforme des grandes régions devait diminuer les coûts de fonctionnement, elle les a augmentés. Mais Il faut arrêter de faire et défaire, ce serait difficile de tout démembrer maintenant ».

En Limousin, c’est Limoges, l’ex capitale régionale qui est la grande perdante selon lui. L’agglomération a perdu de nombreux centres décisions. Beaucoup de cadres supérieurs ont déménagé à Bordeaux. Cela a entraîné un appauvrissement de la ville et une contraction de base fiscale.

Il faudrait mettre en place des conseillers territoriaux uniques, élus au suffrage universel direct, pour siéger à la fois dans les départements et les régions

Guillaume Guérin

Conseiller régional d'opposition et président "Les Républicains" de Limoges Métropole

Pour Guillaume Guérin, la taille de la Nouvelle-Aquitaine permet désormais une péréquation des aides économiques et agricoles plus efficace que dans l’ex Limousin. Mais cela ne compense pas les pertes subies par Limoges.

Plutôt que de revenir aux anciennes régions Guillaume Guérin préférerait mettre en place des "conseillers territoriaux", proposés il y a plusieurs années par Nicolas Sarkozy. Ces élus locaux seraient moins nombreux, ils siégeraient à la fois dans les assemblées régionales et départementales et ils permettraient, selon Guillaume Guérin, de rendre l’action des collectivités locales moins coûteuse et plus visible pour les citoyens.

Toujours chez « Les Républicains », mais en Corrèze, Pascal Coste, le président du département ne serait pas forcément défavorable à une consultation populaire sur le principe, mais il faudrait alors que la question soit posée à un échantillon suffisamment représentatif de la population.

Il faut clarifier et renforcer les compétences respectives de l'Etat et des collectivités locales

Pascal Coste

Président "Les Républicains" du Conseil Départemental de Corrèze

Pour lui la question du périmètre de la région n’est pas essentielle. Pascal Coste pense que si l’on veut rendre la réforme territoriale plus efficace il faut commencer par clarifier les compétences respectives de l’Etat et des collectivités territoriales pour que chacun assume pleinement son rôle. Et il revendique, bien sûr, plus d’autonomie pour les départements et les régions.

En Creuse, le député LREM Jean-Baptiste Moreau n’est pas favorable à une consultation populaire sur le Limousin comme celle qui vient d’être menée en Alsace.

Même s’il avoue ne pas être fan de la loi sur la Nouvelle Organisation Territoriale de la République de 2015 et du redécoupage des régions qu’elle a engendrée, même s’il concède que la distance entre Bordeaux et la Creuse n’est pas toujours facile à gérer, Jean-Baptiste Moreau ne regrette pas le Limousin d’antan.  

Aujourd’hui, en Creuse, nous sommes mieux traités par Bordeaux que nous ne l’étions par Limoges du temps du Limousin

Jean-Baptiste Moreau

Député LREM de la Creuse

Pour améliorer l’efficacité de la nouvelle décentralisation, le député de la Creuse prône lui aussi l’avènement de conseillers territoriaux uniques pour les régions et les départements.

En Haute-Vienne, sans surprise, la conseillère départementale et patronne de la fédération locale du Parti Socialiste Gulsen Yildirim estime que cela n’aurait aucun sens d’organiser une consultation populaire sur la place du Limousin en Nouvelle-Aquitaine 7 ans après la réforme territoriale menée par François Hollande.

On ne peut pas répondre simplement à cette question sans faire un bilan. Il est trop tôt. On pourra le faire dans une dizaine d’années et, à partir de ce moment-là seulement, on pourra faire des ajustements

Gulsen Yildirim

Conseillère départementale de Haute-Vienne et secrétaire fédérale du Parti Socialiste de Haute-Vienne

"Je suis pour la démocratie participative, mais elle a ses limites. Quel intérêt ? La nouvelle région s’est organisée, ses services aussi, cela coûterait trop cher de revenir en arrière » estime-t-elle.

Gulsen Yildirim veut donc  tirer de la réforme de François Hollande un bilan provisoire « plutôt positif ». Elle estime que la Nouvelle-Aquitaine a apporté des choses à l’ex Limousin, notamment une force de frappe financière supérieure, notamment dans les aides aux entreprises ou au secteur universitaire.

Au Rassemblement National, Le délégué départemental pour la Haute-Vienne et conseiller régional Albin Freychet trouve que la démarche de l’Alsace est intéressante. Il ne serait pas opposé à une consultation pour le Limousin, même si ça n’est pas une priorité.

Il rappelle que le RN a toujours été contre la réforme territoriale de 2015 et qu’elle a montré ses limites en termes d’économies d’échelle : « On dépense plus aujourd’hui en frais de personnel en Nouvelle-Aquitaine que dans les trois ex régions ».

Les régions ne sont pas figées, on peut revenir en arrière quand ça ne marche pas.

Albin Freychet

Conseiller régional RN, secrétaire départemental RN 87

Albin Freychet ajoute que, désormais, « au lieu d’être prises à Limoges les décisions sont prises à Bordeaux par des gens qui n’ont pas la connaissance du terrain. Les nouvelles régions ont été dessinées sans l’aval des populations concernées. Elles ne s’y retrouvent pas.»

En 2015 et 2016, l’avocat limougeaud Richard Doudet avait été à la pointe de la fronde contre l’annexion du Limousin par la Nouvelle-Aquitaine.

Il avait notamment défendu le maintien d’une Cour d’Appel à Limoges mais aussi la préservation de la région Limousin en tant qu’entité politique et administrative.

Sept ans après Richard Doudet a pris du recul et voit les choses différemment. Entre désillusion et déception il constate avec une pointe d’amertume que son combat pour le Limousin n’était pas partagé par la majorité de la population, notamment en Creuse et en Corrèze.

La fusion nous a mis en face d’une réalité que l’on ne voulait pas voir à Limoges : les Brivistes ne rêvent que d’une chose, c’est d’être immatriculé 33

Me Richard Doudet

Avocat à Limoges

« J’ai pris du recul » affirme-t-il désormais. « Les Creusois et les Corréziens ne se sentent pas limousins. Si on faisait une consultation aujourd’hui, seul les Haut-Viennois et les Limougeauds seraient favorables au retour du Limousin, et encore ... ». Richard Doudet estime que « Le Limousin, c’était Limoges. L’existence d’une région Limousin a longtemps masqué la décrépitude de sa capitale administrative. Aujourd’hui le roi est nu ».

Quant à l’ancien patron du MEDEF du Limousin, Philippe Guibert, aujourd’hui maire de la petite commune de Dompierre-les-Eglises en Haute-Vienne et soutien de Valérie Pécresse, il pense qu’une consultation populaire pourrait être intéressante mais qu’il ne faut pas se précipiter pour faire une nouvelle réforme : « La France a d’autres sujets plus graves à traiter. Il faudrait prendre son temps pour faire les choses de façon intelligente et durable » estime-t-il.

Alain Rousset qui critique l’Etat centralisateur à Paris est lui-même hyper centralisateur quand il est à Bordeaux. Je le lui ai dit un jour, ça ne lui a pas plu du tout

Philippe Guibert

Ancien président du MEDEF du Limousin, maire de Dompierre-les-Eglises en Haute-Vienne

Mais sur le bilan de la réforme de 2015 Philippe Guibert est formel « en Limousin on a été les dindons de la farce ! Le Limousin n’a rien gagné à faire partie de la Nouvelle-Aquitaine, tous les cerveaux ont pris la fuite à Bordeaux ».

Pour aller plus loin : comment peut-on être Limousin ?

Paraphrasant Montesquieu et ses "Lettres Persannes", c'est la question que nous avions posée à sept observateurs avisés de l'ancienne région Limousin au moment de la création de la Nouvelle-Aquitaine.

A l'heure où la place du Limousin dans la Nouvelle-Aquitaine provoque encore parfois des discussions, leurs réflexions sur l'identité de l'ancienne région sont toujours d'actualité et permettent d'éclairer le débat.

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