La maison du dessin de presse de Paris prend du retard, apprend-on dans un article du Monde publié jeudi 3 octobre 2024. Tout était pourtant prêt à démarrer, selon le papier de nos confrères. Des raisons politiques mais aussi sécuritaires pourraient expliquer ce recul. Pour rappel, Limoges avait été candidate pour accueillir le projet.
Affairée par la venue des scolaires pour le Salon de la caricature et du dessin de presse, Isabelle Gilliard n’a pas encore lu entièrement l’article du Monde publié ce jeudi 3 octobre. Dans ce papier, il est question du projet de la Maison du dessin de presse de Paris. Il serait complètement à l'arrêt. En revanche, celle qui est en charge de la médiation et de la communication au centre international de la caricature et du dessin de presse de Saint-Just-Martel "prend note que cette maison, peut-être, ne verrait pas le jour." Elle ne pense pas pour autant que la Maison ouvrira finalement sur le territoire haut-viennois.
Pour rappel, Limoges avait candidaté en 2020 pour accueillir cette Maison du dessin de presse. La Ville misait sur son expertise grâce au festival qui a lieu chaque année depuis plus de 40 ans à Saint-Just-le-Martel. "Il aurait dû se passer ici. Que ce soit le dessinateur, en Amérique, en Chine, en Corée, Saint-Just-le-Martel c’est Angoulême pour eux. (…) C’est le Graal et c’est la famille en plus", indique Isabelle. Entre les candidatures de Limoges, Strasbourg et Paris c'est la capitale qui a finalement été choisie. Aujourd’hui, le projet est à l’arrêt.
Retour sur le projet
L’idée d’une maison de la caricature et du dessin de presse remonte à 2007, portée par le dessinateur et caricaturiste Georges Wolinski. Dans un rapport remis au ministère de la culture, après la publication des caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo, il évoque la création d’une telle maison. L’idée ressort après l‘attentat de Charlie Hebdo, en janvier 2015, dans lequel il est tué. Son épouse Maryse Wolinski reprend alors le projet. Cinq ans après, c’est le chef de l’État, Emmanuel Macron, qui relance l’idée, déclarant : "la France est toujours aux côtés de ceux qui défendent la liberté d’expression."
Strasbourg, Paris et Limoges candidatent alors pour accueillir l’établissement. Cette dernière misait sur son expertise. Saint-Just-le-Martel accueille depuis plus de 40 ans le Salon de la caricature et du dessin de presse et un centre y est présent et accueille le public toute l’année. Le bureau de Georges Wolinski est même présent, confié par son épouse après la mort du dessinateur.
Implanté sur 2000 m2, le centre de St-Just, a archivé près de 40 000 dessins, documents et journaux, collectés depuis le premier festival international du dessin de presse et d'humour. L’idée était alors de confier cette collection à la maison du dessin de presse, qui aurait été située dans une zone périphérique de Limoges, et de conserver le festival à Saint-Just-le-Martel.
La ministre de l’époque, Roselyne Bachelot, défendait alors la candidature de Limoges, au nom d’un aménagement du territoire. La nouvelle tombe pourtant en janvier 2022 : la maison du dessin de presse s’ouvrira à Paris. Selon l’Elysée, "Paris, c’est la ville où a eu lieu l’attentat de Charlie Hebdo, c’est le cœur battant de la presse et du dessin de presse, c’est aussi en Ile-de-France qu’a été assassiné Samuel Paty… Il y avait un enjeu symbolique, explique-t-on dans l’entourage d’Emmanuel Macron. Les consultations que nous avons menées ont montré que c’était un point important pour les professionnels. »
Dans un communiqué publié le 10 janvier 2022, le Centre de la caricature de Saint-Just-le-Martel avait dénoncé par avance la décision du président. "La capitale a été préférée, alors même que l’infrastructure existe déjà en Limousin et présentait de nombreux avantages, de sécurité, d’expérience, et de légitimité reconnue", écrivent les responsables locaux, évoquant "un sentiment de mépris et d’injustice". Une décision "à contre-courant du désenclavement culturel."
Le président du conseil départemental de Haute-Vienne, Jean-Claude Leblois, avait lui aussi dénoncé, à l'époque, "un camouflet, un mépris de plus en direction des territoires ruraux."
Cette maison va-t-elle un jour voir le jour ?
Mais alors que les financements étaient garantis, le lieu choisi – une école rue du Pont-de-Lodi, en plein cœur du 6ᵉ arrondissement – que les architectes chargés de la rénovation du bâtiment étaient prêts et que le projet bénéficiait du soutien du chef de l’Etat, les choses ne se sont pas passées comme prévu. Selon l’article du monde, une réunion programmée fin janvier 2024 est d’abord repoussée puis annulée et puis plus rien. Toujours selon le récit de nos confrères, le 3 juin, trois associations de promotion du dessin de presse, participant au comité de pilotage (Cartooning for Peace, Dessinez Créez Liberté et France Cartoons), ont écrit une lettre au directeur de cabinet de la ministre de la Culture Rachida Dati pour exprimer leur inquiétude. Dans leur courrier, ils posent deux questions : "La création de la Maison du dessin de presse est-elle toujours une priorité du gouvernement ? Se fera-t-elle dans le calendrier annoncé ?" Ils ne recevront ni réponse ni accusé de réception. Le projet est pour le moment à l’arrêt.
De son côté, Natacha Wolinski - l’une des filles de Wolinski qui a repris le dossier depuis la disparition de son père et de sa belle-mère, Maryse Wolinski - a confié au Monde avoir de plus en plus de mal à croire au projet.
Comment en est-on arrivé là ?
Les raisons pourraient être à la fois politiques et sécuritaires, apprend-on dans l’article du Monde. Philippe Debruyne, le directeur général de Charlie Hebdo, confie au quotidien du soir que le projet ne serait pas la priorité de la ministre de la Culture Rachida Dati, reconduite à son poste par le nouveau premier Ministre Michel Barnier. Alors que le projet devait prendre forme en 2026 mais que pour le moment tout est à l’arrêt, la fille du dessinateur craint "qu’Emmanuel Macron (qui avait soutenu le projet en 2020 ndlr) n’ait plus aucun intérêt à la défendre (la maison ndlr)." Cette dernière craint un enlisement de la situation.
L’autre raison qui ralentirait le projet serait la question sécuritaire. "Même si le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, défend le projet, le ministère de l’Intérieur a toujours été très réticent face, notamment, au risque d’attentat, décrypte sous couvert d’anonymat un proche du dossier à nos confrères. Peut-être que Beauvau a profité des mois de flottement post-dissolution pour faire de la question sécuritaire un sujet bloquant."
Contacté par le Monde, le ministère de la Culture assure que "le projet est toujours d’actualité", précisant que la ministre n’est pas la seule décisionnaire. "Je ne vois pas le président abandonner ce projet, sur lequel il s’est personnellement avancé, qui plus est à trois mois de l’anniversaire des dix ans des attentats de Charlie", assure un proche du chef de l’État.
D’après l’article, les dessinateurs devraient reprendre leur stylo pour écrire, une nouvelle fois, à la ministre. "On ne va pas lâcher l’affaire", insiste Philippe Debruyne.
À Saint-Just, Isabelle ne croit pas que cette situation ne fasse changer d’avis le président sur le lieu du projet, mais espère avoir sa maison du dessin de presse à Limoges grâce au projet Jidé. Un projet voulu par le président de région Alain Rousset qui vise à transformer une ancienne usine du même nom située à Limoges en un pôle culturel régional. Y serait abrité en un même lieu les Francophonies, le dessin de presse de Saint-Just-le-Martel, plusieurs agences culturelles comme ALCA, et la cinémathèque.