Ce n'est pas nouveau, depuis quelques années, les trafics de drogue s'affichent sur les murs dans la ville et les substances présentes sont de plus en plus nombreuses. Le Directeur départemental de la sécurité publique nous a accordé un entretien.
France 3 Limousin : comment a évolué le trafic de drogue à Limoges ces dernières années ?
Yannick Salabert, commissaire général, directeur départemental de la sécurité publique de la Haute-Vienne : Comme dans le reste de la France. D’abord, il s’est morcelé. Il y a de plus en plus d’équipes qui sont rentrées dans la vente de drogues, en plus ou moins grande quantité.
Sur la cité de Beaubreuil, on a un lieu de deal hiérarchisé et contrôlé sur lequel on travaille. Partout ailleurs à Limoges, les autres points de deals ne sont pas hiérarchisés et contrôlés, donc chacun tente de contrôler une place, mais le dernier arrivé peut très bien prendre la place. En centre-ville, on interpelle plutôt des livreurs, mais il n’y a pas de point de deal fixe. Les points de deals fixes sont plutôt dans les cités, car les dealers tentent de toucher une clientèle au-delà de Limoges, dans le département. C’est plus facile à faire dans les quartiers parce qu'ils les contrôlent.
La deuxième évolution du trafic est celle des technologies modernes avec l’apparition de réseaux, et de trafics sur internet avec le dark web.
De quoi s’agit-il ?
Ce sont des points de ventes virtuels sur les réseaux sociaux – WhatsApp, SnapChat ou Telegram. Le client contacte le vendeur sur les réseaux sociaux. Ensuite, la livraison se fait soit par des livreurs, soit les gens vont au point de deal qui peut changer à tout instant. Ainsi, ça évite des points fixes, facilement repérables par les forces de police. On appelle ça des points de vente virtuels.
Comment lutter contre cette nouvelle délinquance ?
Ça demande des moyens technologiques qu’on n’a pas forcément. La police n’a pas forcément les moyens qui permettent de contrer ces ventes virtuelles, pour l’instant. Donc c’est un problème effectivement.
Quelles sont les drogues et les armes qui circulent à Limoges ?
La cocaïne vient des Antilles et de Guyane, la résine de cannabis vient de rebonds, c'est-à-dire que les dealers limougeauds vont plutôt se fournir à Toulouse ou en Espagne avec de la drogue venue du Maroc. L’héroïne et les produits de synthèse viennent de Hollande.
La cocaïne n’a pas pris la place du cannabis, mais elle commence à être proposée de manière plus massive parce que les trafiquants veulent l’imposer et donc, cassent les prix. (60 euros le gramme à Limoges, prix affiché sur certains murs de la ville, NDLR)
Concernant les armes : soit ce sont des armes de chasse, pour beaucoup, soit des armes de collection de la Seconde guerre mondiale, qui ont été conservées en Haute-Vienne et qui réapparaissent à l’occasion d’un cambriolage. Il y a aussi des armes venues d’autres départements, mais des armes de type kalachnikov ne sont pas encore apparues à Limoges.
Alors que vous expliquez avoir connaissance de points de deals, pourquoi ces lieux ne sont-ils pas tout simplement fermés ?
Ça ne marche pas comme ça. D’abord, ils vendent au pied des immeubles. La police n’a pas le droit de rentrer dans les appartements sans raison particulière. Quand on vient faire des opérations, dès qu’ils nous voient, ils vont se réfugier dans les habitations dans lesquelles on n’a pas le droit de pénétrer hors le cadre du flagrant délit. Juridiquement, nous sommes empêchés pour aller au-delà de la simple vente dans les communs des immeubles.
Avez-vous des consignes du ministère de l’Intérieur pour multiplier les interventions antidrogues et les communications sur ces affaires ? Et quelle est votre politique d’action ?
On a eu ces consignes depuis quatre ans. On met le paquet depuis trois ans. On fait des opérations de contrôle notamment sur les guetteurs, ce qui oblige les dealers à changer les équipes. On interpelle tous les vendeurs, donc à chaque fois, ils sont obligés de recruter de nouveaux vendeurs. On les perturbe beaucoup.
C’est aussi l’une des raisons pour laquelle il y a des tensions partout en France sur les lieux de deals parce qu’ils doivent s’adapter à nos opérations au jour le jour. C’est pour cela aussi qu’il y a un enjeu dans le contrôle des immeubles, car ce sont des lieux de repli pour eux. Ils savent très bien qu’on n’a pas la capacité juridique de rentrer comme ça, hors le cadre du flagrant délit : on est obligés de monter des opérations de surveillance, des opérations très très lourdes […] Ce sont des enquêtes beaucoup plus difficiles à mener.
Quelles sont les conséquences de cette politique d’action ?
Ils essaient de trouver d’autres moyens pour vendre, des moyens plus difficiles à détecter pour les contrôles de police.
Il y a aussi la dispersion des produits. Ils ne stockent plus de grandes quantités. Tous les vendeurs ont de petites quantités sur eux. Ça leur permet, quand ils sont arrêtés, de dire qu’ils sont consommateurs et que cette drogue est pour leur consommation personnelle. Ils minimisent leur responsabilité systématiquement. C’est la raison pour laquelle il ne faut pas être dupe des amendes forfaitaires délictuelles, ça ne touche pas que les consommateurs ; avec cet outil juridique, on touche aussi le petit deal de rue. À Limoges, on a multiplié par six le nombre de saisies de résine de cannabis. Ce sont de toutes petites saisies à chaque fois. On n’a pas fait de grosses saisies. C’est un travail de fourmi pour harceler les lieux de deal au jour le jour.
Autre conséquence, les dealers français qui habitent Limoges embauchent désormais des mineurs, souvent des jeunes de 17 ans, car à cet âge ils n’ont plus l’obligation de suivre un parcours dans l’éducation nationale. Des jeunes qui, pour 50 euros, sont recrutés comme guetteurs, alertent les vendeurs, par exemple, de l’arrivée de la police. Après ça ne veut pas dire que les jeunes vont rester dans le trafic toute leur vie. Mais il y a un phénomène de captation dans les quartiers. Ces personnes sont utilisées pas les dealers dans le circuit commercial.
Les trafiquants profitent de la misère et utilisent des personnes en situation irrégulière qui ont besoin d’argent. La misère alimente effectivement le trafic de stupéfiants.
Lors d’interpellations, la drogue saisie, apparait parfois dans des emballages surprenants. Dernièrement, un de ces emballages imitait une célèbre marque de tablettes de chocolat. De quoi s’agit-il ?
Le trafic de stups est calqué sur la vente de produits. Les dealers se sont mis au marketing, au packaging, comme on dit dans le milieu. Ils tentent d’avoir des produits attrayants dans des emballages attrayants… Ils font des promotions. Ils font des cadeaux. Dernièrement, on a eu quelqu’un sur Limoges qui offrait des pipes de fumette pour un certain montant acheté.
La clientèle qui consomme évolue-t-elle ?
Historiquement, la clientèle est toujours un peu jeune. Après, ceux qui sont accrochés continuent de consommer en vieillissant. Le problème des dealers en France, c’est que le marché n’augmente pas forcément. Le nombre de consommateurs reste stable, ou augmente très peu. Par contre, le nombre de vendeurs, lui, augmente… d’où les règlements de comptes, les tensions dans certaines villes.
Le marché est saturé en France, pas sur Limoges. Avec les nouvelles pratiques (vente virtuelle et nouvelles tendances au marketing évoquées plus haut, NDLR), les dealers ont trouvé ces manières de diversifier leur offre et d’accrocher les nouveaux clients via les réseaux sociaux. Une méthode qui permettrait d’accrocher une clientèle plus jeune.
Le trafic de drogue à Limoges est-il aussi problématique que dans des grandes villes comme Marseille ? Ces derniers mois, les tensions se sont accrues dans certains quartiers, avec l’apparition de tags sur les murs. On a le sentiment que les dealers effectuent désormais leur trafic sans se cacher.
Non, Limoges et Marseille, on n’est pas sur les mêmes volumes (NDLR : le volume approximatif sur Limoges serait de 100 kilos de marchandises écoulés chaque mois). Concernant les points de deals signalés par des inscriptions, ça a toujours été le cas. À Beaubreuil, j’étais là, il y a dix ans, il y avait déjà des tags sur les murs qui indiquaient les lieux de deals. La différence, c’est que maintenant, dès que c’est effacé par les pouvoirs publics, ça revient. Ça revient au problème de départ (hausse du nombre de vendeurs, NDLR), notamment au Val de l’Aurence. Vous avez Val de l’Aurence nord et Val de l’Aurence sud : deux points de deals concurrents. S’il n’y a pas de signalétique, les clients vont aller ailleurs.
Il y a un trafic en prison, comment la drogue arrive-t-elle ?
Les prisonniers ont des contacts à l’extérieur qui confectionnent des petites boulettes, qu’ils mettent souvent dans des balles de tennis, par exemple, et qui sont jetées au-dessus des murs de la maison d’arrêt. Les drones ne sont pas utilisés sur Limoges.
Le commissariat de la Bastide a été incendié pendant les émeutes. Quand rouvrira-t-il ?
Il sera rouvert certainement au début du mois de novembre. Mais les patrouilles se poursuivent. Simplement, on a été obligés de les faire venir au commissariat central le temps de réparations.
Pensez-vous qu’il y a une défiance vis-à-vis de la police ?
Les derniers sondages disent que 72 % des personnes nous font confiance. Deuxième élément, les personnes qui ont une défiance à notre encontre sont très marquées : soit parce qu’ils sont délinquants, soir parce que ce sont des gens d’extrême gauche qui contestent l’action même de la police.