La ministre des Solidarités et des Familles, Aurore Bergé a annoncé la mise en place d'un dispositif de sanctions pour les parents défaillants. Des professionnels s'interrogent sur l'efficacité d'une telle mesure qui pourrait ne pas répondre aux problèmes de fond. Réactions en Limousin.
La ministre des Solidarités et des Familles, Aurore Bergé a annoncé ce lundi 11 décembre la mise en place de sanctions pour les parents "défaillants". Le dispositif propose des travaux d'intérêt général, le paiement d'une contribution financière pour les parents d'enfants coupables de dégradations auprès d'une association de victimes et une amende pour les parents ne se présentant pas aux audiences qui concernent leurs enfants.
Une commission pour "relever les défis de la parentalité" va également être créée. Ces mesures sont une réponse aux émeutes qui ont fait suite à la mort de Nahel en juin dernier.
Sanction financière, bonne idée ?
Les professionnels du milieu social que nous avons pu joindre s'interrogent sur l'efficacité de ce dispositif. Alexandre Peyratout est cadre social dans le pôle adolescence du Centre départemental de l'enfance (CDEF) à Limoges. Il craint que cette sanction ne précarise davantage les familles qui cumulent déjà les difficultés sociales et financières. 60 % des mineurs présentés à la justice étaient issus d’une famille monoparentale, selon le ministère de la Justice.
Il reconnaît toutefois "qu'obliger [à payer] les parents qui ne se rendent pas à l'audience de leur enfant alors qu'ils le doivent est une bonne chose."
La commission souhaitée par le ministère pourrait avoir du sens, selon lui, si la réponse qu'elle apporte est à la hauteur de l'enjeu :
Si les solutions qui en découlent permettent aux parents de devenir de meilleurs parents. Si cela permet d'éviter de séparer les familles et de ne pas avoir un enfant dans un centre ou en famille d'accueil.
Alexandre Peyratout, cadre social dans le pôle adolescence du CDEF à LimogesFrance 3 Limoges
La sanction pécuniaire ne pourrait donc être utile que s'il y a un véritable accompagnement par la suite. Sinon, il y a un risque de stigmatisation pour ces familles. "Cette mesure pourrait être vécue comme une punition. Les parents ne vont pas comprendre. Il faut les amener à réfléchir. Il ne faut pas que ces travaux d'intérêt général soient comme un stage de récupération de point de permis de conduire", redoute Christian Teyssandier, psychologue à la retraite qui a exercé au sein du service pédopsychiatrie du centre hospitalier Esquirol à Limoges.
Sur ce point, se pose aussi la question de la définition de parents défaillants et des conséquences si un père ou une mère se retrouve sanctionné pour cette raison : quelle légitimité ensuite devant l'enfant ? comme l'évoque la fondatrice de Notre avenir pour tous sur France Info.
Faire du cas par cas
Les situations sont différentes d'une famille à l'autre. "Il est important de faire la distinction entre des parents dépassés malgré leurs efforts et les parents qui bénéficient d'aides, ont du temps et qui laissent leurs enfants traîner dans la rue", souligne Sophie Roulaud, éducatrice au sein de l'association Esprit Sport Limousin, qui aide des adultes et des jeunes en difficulté à se réinsérer par le sport. Elle intervient dans l'association depuis vingt ans auprès de jeunes de milieux différents. "Tous les parents peuvent être confrontés, à un moment ou un autre, à un enfant qui ne prend pas le bon chemin."
Mais cette dernière n'est pas opposée pour autant à l'idée d'une sanction financière. Dans certains cas, cette pénalité pourrait faire réagir et rappeler le rôle parental. "Il y a un moment où il faut fixer des règles, on ne peut pas tout accepter."
Elle remarque en effet un relâchement de l'autorité chez certains parents et une remise en question de l'autorité institutionnelle. "On le voit dans les collèges et les lycées, il y a des comportements qui étaient inacceptables avant. Et cela ne concerne pas seulement les milieux défavorisés. On a des parents qui viennent discuter des sanctions de leurs enfants, renégocier des heures de colle. J'ai même dû montrer à une maman une photo de la raquette, que son fils avait jetée sur le sol et qu'il avait cassée pour expliquer pourquoi je le punissais. Il faut toujours se justifier", déplore l'éducatrice.
C'est quoi un parent défaillant ?
Ces professionnels espèrent que la commission mettra en place une réflexion de fond et pourra apporter une solution à la question de l'autorité parentale. Cet abandon du rôle parental s'étend à tous les milieux, mais se manifeste de manière différente. "Il y a des parents qui ont eux-mêmes un héritage difficile et reproduisent de manière inconsciente le même schéma. Il y a des parents qui n'ont plus confiance en eux, qui sont dépressifs, qui sont en grande solitude et qui ont abandonné leur mission, constate Christian Teyssandier. Ne pas assumer son rôle de parent, est-ce un délit ou une souffrance ?"
Si le dispositif fait débat, les chiffres de la délinquance font état d'un rajeunissement du profil des auteurs d'infractions ces dernières années : lors des émeutes de juin 2023, 59 % des auteurs d'infraction étaient âgés de 16 et 17 ans, et 40 % étaient âgés de 13 à 15 ans. Pour autant, faut-il sanctionner les parents pour ce rajeunissement de la délinquance ? De nombreux facteurs internes peuvent perturber un enfant : un divorce, une recomposition familiale, mais aussi des influences extérieures comme les fréquentations, l'endoctrinement, la drogue, l'alcool, etc. "Même avec toute la bonne volonté du monde, les parents ne peuvent pas avoir les yeux partout," rappelle Josépha Cognard, psychologue à Limoges.