Nouvelle méthode de production de biogaz et revenu supplémentaire pour les fermes : la méthanisation n’a, à priori, que des avantages. Sauf qu’elle contribuerait à appauvrir les sols. C’est ce que dénonce Christophe Gatineau dans son dernier ouvrage « La méthanisation, une énergie qui sent le gaz ». Explications.
L’exploitation de Pascal Vincent à Saint-Paul en Haute-Vienne n’est pas tout à fait comme les autres. Dans les stabulations et dans les prés : 450 vaches. Jusque-là, rien d'inhabituel. Mais au centre des bâtiments se trouve une énorme cuve semi enterrée et une imposante coupole. Un tracteur doté d’un grand godet vient alimenter cette machinerie.
« On met les effluents d’élevage, nos fumiers de production d’exploitation qui rentrent dans cette cuve qui est en anaérobie (sans air). A l’intérieur, on a des bactéries qui vont dégrader la cellulose des fumiers et des bouses de vache. Processus au cours duquel du biogaz est produit », explique Pascal Vincent.
Voilà la base du fonctionnement d’un méthaniseur. Le gaz produit est ensuite brûlé dans un moteur pour générer un courant électrique : 250 kilowatts, de quoi alimenter une cinquantaine de foyers. Ce qui a permis de doubler le revenu de la ferme et d’employer deux personnes supplémentaires.
La méthanisation produit donc du gaz mais pas que. Une fois dégradé par les bactéries, le fumier, digéré, forme ce que l’on appelle le digestat. Une matière pâteuse constituée de 70 à 80% de la matière introduite dans le méthaniseur. Riche en éléments organiques, en minéraux et en bactéries, ce digestat est épandu sur les champs ou les prés pour servir d’engrais. Et c’est précisément là que le bât blesse.
Certains scientifiques tirent aujourd’hui la sonnette d’alarme. C’est le cas de Christophe Gatineau. Cet agronome spécialisé en permaculture et agroécologie est notamment connu pour son éloge du ver de terre. Il anime le blog «le jardin vivant».
Selon lui, l’utilisation du digestat comme engrais casserait le cycle naturel du carbone nécessaire à la vie dans les sols entrainant leur appauvrissement progressif.
« Quand on prend du fumier pour le mettre dans un méthaniseur, on en extrait le carbone pour en faire du méthane. Dans cette boue noirâtre qu’est le digestat, il va encore rester du carbone, mais il n’est plus assimilable par la biodiversité ».
Armé d’une fourche, l’agronome s’empare d’une belle quantité de fumier mélangé à la paille. « Dans la nature, si je pose ce fumier là sur mon sol, le processus naturel de décomposition va faire intervenir les vers de terre qui vont consommer la matière organique. Au bout d’un an et demi à deux ans, ça donne de la terre ». Un processus qui ne pourrait donc pas se faire avec le digestat.
Une hypothèse soutenue par Daniel Chateigner, physicien, professeur à l’université de Caen.
« Je ne dis pas que du jour au lendemain le sol n’aura plus de carbone. On a calculé, on a à peu près 0,1% de carbone qui est perdu par an d’exploitation si on veut 30 térawatts heure par an ».
Une autre crainte mise en avant par certaines études pointe aussi la diffusion de bactéries résistantes et de résidus de traitements administrés au bétail lors de l’épandage du digestat. Des résidus et pathogènes qui pourraient se retrouver dans les nappes phréatiques.
Autre critique, la confédération paysanne de Haute-Vienne considère que les méthaniseurs industrialisent nos campagnes. Une manifestation avait d’ailleurs été organisée en octobre 2021.
Chez l’éleveur Pascal Vincent, pas de constat alarmant pour l’instant. Depuis 6 ans que son méthaniseur est en route, il n’a perçu aucune dégradation de la qualité de ses sols.
« J’ai des collègues qui l’utilisent depuis plus de quinze ans et qui font du bio. Ils ont plutôt augmenté leur rendement, et ils ont des sols qui vivent plutôt bien ».
La question est très sensible à tel point que les organismes organisant la promotion de la méthanisation ont refusé de nous répondre. Des études sont par ailleurs toujours en cours, mais il faudra encore des années pour confirmer les effets de la méthanisation sur les sols.