Oradour-sur-Glane : c'est Charles de Gaulle qui a imposé la conservation du village martyr

Il y a 50 ans disparaissait le Général de Gaulle et chaque région, chaque recoin de France se souvient d'avoir, un jour, reçu sa visite. En Limousin, le Général a laissé une empreinte particulière. En mars 1945, alors que la guerre n'est même pas terminée, il se rend à Oradour-sur-Glane. 

Le 10 juin 1944, à quelques kilomètres de Limoges, les nazis entre dans le village d'Oradour-sur-Glane et tuent 642 personnes, enfants, femmes et hommes. A peine un an après le massacre, le premier hommage officiel aux victimes est rendu avec la visite du Général de Gaulle, en mars 1945. Une visite, hautement symbolique qui va marquer l'histoire d'Oradour.
 La guerre n'est pas encore finie. Le lieu n'est pas anodin. En France, Oradour constitue le plus grand massacre d'une population civile lors de la Seconde Guerre mondiale. En inaugurant une plaque dénonçant la barbarie nazie, de Gaulle déclare alors : 
 

Si nos amis nous aident, tant mieux. Mais il nous appartient, indépendamment de toute sécurité générale, de faire justice et d’empêcher le renouvellement de tels crimes.

Général de Gaulle ( Oradour-sur-Glane, le 5 mars 1945)



Cette visite du Général marque les esprits, d'autant qu'il a pris, quelques mois plus tôt, une décision importante : la conservation du village martyr en l'état. Une décision validée par Gouvernement provisoire de la République française le 28 novembre 1944. Cette conservation, c'est assurer à la France un devoir de mémoire. Charles de Gaulle souhaite faire d'Oradour-sur-Glane le symbole des souffrances du peuple français au cours des quatre années d’occupation qu’il a subies. 

Mais en voulant préserver Oradour, le Général de Gaulle n'a-t-il pas aussi voulu, conserver comme une preuve, les exactions commises par la division Das Reich, afin d'alimenter le procès de Nuremberg ?

C'est une thèse qu'avance l'historien Pascal Plas. "La guerre n'est pas terminée, mais on commence à engranger des preuves qui vont servir au projet de tribunal international. Une commission a déjà été mise en place. Elle est chargée, dans la plupart des régions françaises, de recueillir des preuves et d'entendre des témoignages, d'instruire ce qui va être jugé à Nuremberg. Oradour constitue un cas emblématique où des exactions ont été commises par des troupes SS. Et on aura besoin de ces preuves. On peut alors se demander, même si nous n'avons pas tous les documents, si le fait de conserver les ruines n'est pas aussi conçu comme un élément de preuve, dans la mesure où il s'agira d'un théâtre, grandeur nature, des atrocités commises."

Mémoire, trouble et reconstruction

Cette visite du Général de Gaulle marque le souvenir et le renouveau. Le 12 juin 1947, le président de la République Vincent Auriol pose symboliquement la pierre du "nouvel Oradour" à quelques pas des ruines. 
 
Car l'idée de la construction d'un nouveau village s'inscrit dans la continuité de la conservation du village détruit : permettre aux ayant droits des victimes de se reloger et faire venir une nouvelle population dans la commune. L'État, d'un côté, verrouille un territoire pour en faire un monument historique (ce qui sera effectif le 10 mai 1946) et de l'autre, permet de reloger des gens.   

En 1953, l'amnistie de 13 Alsaciens "magré-nous" ayant participé aux exactions et condamnés au procès de Bordeaux, jette le trouble parmi les habitants qui interdisent alors toute visite des représentants de l'Etat et érigent leur propre martyrium au fond du cimetière communal, loin mémorial officiel.  

Dans les années 50, l'État érige en effet un mémorial, à l'entrée du cimetière d'Oradour, conçu comme une chapelle souterraine. Mais au lendemain de l'amnistie des "malgré-nous", l'association des familles des martyrs construisent un autre monument, le tombeau des martyrs, au fond du cimetière et les restes des victimes reposent au pied de cette "lanterne des morts". Le monument de l'État devient sans objet. 

La deuxième visite de Charles de Gaulle


En 1962, le Général de Gaulle revient sur site pour une "simple visite". Il est "accepté" en tant que chef de la France Libre, comme celui qui fut venu le premier à Oradour dès 1945.

Ce n'est qu'en 1974, soit plus de 20 ans après le procès de Bordeaux, que le préfet de Haute-Vienne, Maurice Lambert, vient inaugurer la crypte du mémorial d'État. Progressivement, l'association des familles de martyrs se réappropriera cette crypte pour y déposer des objets personnels des victimes, retrouvés dans les décombres des maisons.

Il faudra attendre presque 10 ans de plus pour qu'un autre président se déplace : François Mitterrand, qui avait voté l'amnistie des Alsaciens, et qui laissera une page blanche sur le livre d'or lors de sa venue en 1982.

En 1998, c'est Roland Ries, le maire de Strasbourg, qui participe aux commémorations. Une visite qui aura le mérite de tenter de renouer le difficile dialogue entre Alsaciens et Limousins. 
 
En 1999, le centre la mémoire est inauguré par Jacques Chirac. Il est alors accompagné de la ministre de la Culture du gouvernement Jospin, Catherine Trautmann, ancienne maire de Strasbourg. Ce centre est né d'une réflexion sur la mémoire qui risquait de disparaître. Il s'agissait d'inciter les visiteurs à se renseigner sur le drame du 10 juin 1944 avant de visiter les ruines. 

François Hollande viendra, lui, en 2013. A ses côtés, le président de la République Allemande, Joachim Gauck et Robert Hebras, survivant du massacre.
 

Jean-Marcel Darthout, un autre survivant, s'écriera "Enfin !" lorsque dans son discours, François Hollande évoquera cette visite comme un "acte final" de la réconciliation. Ce ne fut pas facile pour les familles des victimes. Pas facile, mais nécessaire. "Un exemple pour les peuples du monde" conclut Philipe Lacroix, maire d'Oradour-sur-Glane. 

De tous les chefs d'État français depuis 1945, seuls trois n'ont jamais visité Oradour-sur-Glane. Georges Pompidou fut président de 1962 à 1968, c'est-à-dire en pleine contestation de l'amnistie. Le mandat de Valéry Giscard d'Estaing n'était pas placé sous le signe du mémoriel. La France n'a d'ailleurs plus commémoré le 8 mai 1945 entre 1975 et 1981. Cette décision de Valéry Giscard d'Estaing, motivée par son attachement à la construction européenne, a été mal comprise en France. Quant à Nicolas Sarkozy, son déplacement à Oradour aurait été annulé en raison d'un empêchement du chef de l'État. En 2008, il se rendra en revanche à Maillé en Indre-et-Loire, autre village où furent massacrées 124 personnes par les soldats allemands. 

Emmanuel Macron a, lui, effectué deux visites sur le site en 2017. L'une le 28 avril, en plein entre-deux tours de la présidentielle, puis en tant que chef de l'État le 10 juin. Il a souhaité s'afficher alors comme un passeur de l'Histoire pour les nouvelles générations. 


 
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