Saint-Junien est très connue pour la ganterie. Un peu moins pour la papeterie - cartonnerie. C’est pourtant, encore aujourd’hui, le poumon économique de la ville et de ses alentours. Une industrie née au milieu du 19e siècle grâce à une innovation : le papier de paille, qui va participer au fabuleux essor économique de Saint-Junien au 19e siècle.
Au commencement était la Vienne. La qualité et la force motrice de ses eaux a permis l’installation de moulins à papier sur ses rives dès la fin du Moyen-âge. Une fabrication artisanale, page par page, à base de vieux chiffons, réduits à l'état de fibres.
Au 19e siècle, la révolution industrielle arrive, en particulier à Saint-Junien. Vaisseau de pierre sur la rivière, le moulin du pont Notre-Dame, ancien moulin à grain, est converti en usine à papier en 1863. C'est un des rares témoins de l'époque encore debout. À l'intérieur, tout a été récemment rénové. Subsistent tout de même les piles, socles des meules en pierre et l'énorme roue métallique qui entrainait le mouvement.
Le papier de paille arrive à Saint-Junien
Nouveauté du milieu du 19e siècle, ce ne sont plus les chiffons, mais une ressource locale, la paille de seigle qui sert à fabriquer le papier. C'est un papetier d'Angoulême, Pierre Hirigoyen qui apporte et développe cette technologie à Saint-Junien dans les années 1830.
"La paille arrivait, elle était ensuite hachée pour être ensuite macérée dans des bains de chaux dans des lieux qui s'appelaient des mares. À l'issue de ce processus qui durait quelques jours, le mélange était acheminé dans des petits wagonnets et sur les piles était broyé au travers de meules. L'ensemble était alimenté par la roue", explique Max Colombier, propriétaire du moulin du pont-Notre-Dame.
Le papier de paille de seigle supplante en quelques années le papier fabriqué à base chiffon. Les investissements affluent. De trois moulins en 1844, on passe à dix usines mécanisées en 1875. Celles de Grandmont et du Moulin Pelgros sont les plus grosses du Limousin. Avec la naissance des magasins de détail puis des grands magasins, la demande de papier d’emballage explose. Grâce au papier de paille, Saint-Junien devient l'un des principaux centres de production en France.
"Le papier de paille est assez épais de couleur jaune. On s'en souvient pour les plus anciens, car c'est le papier qu'on appelait autrefois le papier boucherie. C'est d'ailleurs à l'époque un des principaux débouchés de ce papier de paille, mais il va servir pour toutes sortes d'emballages ainsi qu'à la fabrication du carton. Les premiers cartons ondulés sont faits avec du papier de paille et là encore, c'est un débouché important," explique Franck Bernard, président de la société des vieilles pierres de Saint-Junien.
La condition ouvrière
Cette nouvelle industrie emploie 6 à 800 ouvriers à Saint-Junien à la fin du 19e siècle. Les conditions de travail sont difficiles, les amplitudes horaires importantes. Il faut, de surcroit, loger les ouvriers qui viennent pour la plupart de la campagne.
"Les journées de travail sont très longues. Il faut sortir la paille qui a séjourné dans les mares. Il faut la transporter. C'est un travail extrêmement pénible. Il y a aussi la surveillance des meules. Il y a beaucoup d'accidents du travail à l'époque, des gens sont écrasés. Les usines travaillent aussi la nuit. Il devient intéressant d'avoir la main d'œuvre sous la main. On va donc construire des cités ouvrières à proximité de ces usines".
Les usines ont presque toutes disparues (nous verrons par la suite pourquoi), les maisons par contre sont toujours là et sont habitées. Celles de l'usine de Grandmont, par exemple, en bord de Vienne ou au Dérot près de la Glane.
Les usines s'associent
En 1898, les principales usines à papier de paille de Haute-Vienne s’associent et créent la Société générale des papeteries du Limousin, société qui finira cotée en bourse. Le papier de paille toujours vendu aux bouchers et aux cartonniers assure sa prospérité pendant plus de 60 ans.
Mais dans les années 1970, l’utilisation du papier paille décline. La boucherie se tourne vers le papier sulfurisé ou d'autres types de papiers plus légers. Le carton va bientôt se produire avec du papier recyclé. Impossible de moderniser toutes les usines de Saint-Junien qui sont progressivement abandonnées puis détruites. C'est pourquoi il n'en subsiste que peu de traces aujourd'hui. Les ruines de la papeterie de Rochebrune sont encore les plus évocatrices à l'entrée du site Corot. Une centrale hydro-électrique est en construction sur l'ancien site de l'usine du moulin Pelgros non loin de l'endroit où la Glane se jette dans la Vienne.
Concentration des moyens à Saillat-sur-Vienne
Pour éviter que la Société générale des papeteries du Limousin ne disparaisse, son directeur de l'époque René Clavaud décide dans les années 70 de concentrer tous les moyens à Saillat-sur-Vienne. Nous le rejoignons à l'ancien siège de la Société, rue Albert Pestour. Un bâtiment imposant datant du début du 20e siècle, symbole de l'apogée de la compagnie.
"On a trouvé ce moyen, avec le comité d'entreprise de l'époque, de fermer progressivement ces usines. En contrepartie d'investir sur l'usine où il y avait le terrain et la bonne implantation, c'est-à-dire à Saillat".
C'est l'usine la plus récente et celle qui dispose des plus grandes possibilités d'agrandissement. D'importants travaux sont entrepris, des machines récentes achetées. L'avenir de la SGPL est assuré. Tout à côté de Sylvamo (International Paper), les cheminées de la société continuent de cracher de la vapeur d'eau. Les anciens bâtiments de la fin du 19e siècle qui ont servi de socles aux agrandissements successifs sont toujours perceptibles. Mais l'enseigne a changé. Les décisions ne se prennent plus à Saint-Junien. Car la société générale des papeteries du Limousin est finalement rachetée en 1995 par l’irlandais Smurfit Kappa.
Avec l’essor du commerce en ligne, l’activité est toujours florissante. L'usine approvisionne les cartonniers en papier, au premier rang desquelles les usines locales DS Smith à Rochechouart, Saica à Saint-Junien. La fabrication de papier dans le secteur a donc de beaux jours devant elle !