Ils sont éleveurs de poulets, de bovins, ou encore cultivateurs. Chaque jour ou presque, ils prennent le temps de documenter leur journée sur Twitter, afin "d'expliquer l'agriculture telle qu'elle est réellement". Mais les raisons de leur engouement pour le réseau social dépassent désormais l'enjeu pédagogique. Rencontre.
"Au départ, quand on m'a fait comprendre qu'il fallait que j'explique mon métier sur Twitter, j'ai surtout vu ça comme quelque chose de compliqué, un travail en plus", reconnaît Guillaume Chamouleau (@guill_cham). Cet agriculteur de 41 ans, produit des céréales et oléoprotéagineux en Charente. Il compte aujourd'hui près de 2 000 abonnés, qui suivent chaque jour sa vie dans les champs et ses prises de position. Et a complètement changé son regard sur le réseau social.
"En allant sur Twitter, ce que j'ai trouvé en premier, c'est de l'information. J'ai pu entrer en contact avec plein de gens en France et dans le monde." Guillaume l'assure, le site de micro blogging lui permet même parfois d'améliorer ses pratiques agricoles. "Je peux voir comment d'autres agriculteurs, confrontés aux mêmes problèmes que moi, ont pu les résoudre. On partage des conseils de désherbage, de pratiques de culture... On voit ce qui marche et ce qui ne marche pas, ce sont des échanges en direct", se réjouit-il.
Auparavant, on était limité à notre réseau téléphonique ou géographique. Maintenant, il n'y a plus de limites !
Guillaume Chamouleau, agriculteur en Charenteà rédaction web France 3 Aquitaine
L'agriculteur charentais est membre de France AgriTwittos. Un regroupement national d'agriculteurs et de salariés du monde para-agricole "connectés", né en 2017 et fort aujourd'hui d'environ 500 membres. L'association organisait ses retrouvailles annuelles ce mardi 28 février, au salon de l'Agriculture à Paris.
"On s'est rendu compte que beaucoup de monde parlait d'agriculture, mais parmi eux, on ne comptait que peu d'agriculteurs. L'idée, c'est d'expliquer l'agriculture telle qu'elle est réellement, sans rien cacher ni ajouter de filtres", résume Denis Beauchamp, président de l'association.
"Démystifier nos pratiques"
C'est après avoir eu connaissance des discours de militants antispécistes qu'Alain Gardeils (@sualain40) a ouvert l'application à l'oiseau bleu pour la première fois. "J'ai voulu expliquer, vulgariser ce qu'on fait, et susciter le dialogue avec le grand public", explique cet éleveur de poulets en plein air, et maïsiculteur installé à Brocas-les-Forges, dans la forêt landaise.
Aujourd'hui il dit tweeter "au feeling" et dégaine son téléphone à l'improviste, au fil de ses journées. "J'essaie de faire un suivi chronologique de mes poulets, du jour où je reçois les poussins, jusqu'au départ pour l'abattoir, avec une thématique. Ça peut être lié à la météo, à l'alimentation, à la ventilation..." Quand, en période de grippe aviaire, l'éleveur est confronté à des obligations de confinement de volailles, c'est aussi vers Twitter qu'il se tourne pour en préciser les enjeux.
Expliquer, c'est aussi la démarche initiale de Muriel Penon (@MurielAgri16_17), éleveuse installée à Virson en Charente-Maritime. L'un de ses derniers tweets porte sur la prophylaxie, une prise de sang annuelle effectuée sur ses bovins, pour détecter d'éventuelles maladies.
"Ça nous a pris trois heures pour faire 101 prises de sang. C'est un moment important dans l'année, et je me suis dit qu'il fallait l'expliquer aux gens", indique l'éleveuse.
Le but du jeu, c'est de susciter les échanges. C'est toujours enrichissant, parce que forcément, on a toujours des visions éloignées qui se confrontent, et ça nous donne l'opportunité de démystifier nos pratiques.
Alain Gardeils, agriculteur à Borcas-les-Forges (40)à France 3 Aquitaine
"Coups de gueule"
Le réseau social peut aussi servir à prendre position, assume Guillaume Chamouleau. Également président des irrigants de Poitou-Charentes, il n'hésite à prendre, en ligne, la parole contre les opposants aux bassines, ces grands ouvrages de stockage d'eau utilisés pour l'irrigation. Lettre ouverte, retweets de la FNSEA et vidéos explicatives pour défendre sa position… avec Twitter, il a trouvé une véritable caisse de résonance. S'il reconnaît parfois pousser des "coups de gueule", il assure ne pas craindre le retour de bâton.
"Prendre une tribune, c'est accepter d'avoir des retours négatifs. Je sais pourquoi je le fais, je sais pourquoi j'y vais, affirme-t-il. Selon le Charentais, les échanges musclés restent rares sur le réseau. "Si les gens ne sont pas d'accord et qu'on doit rentrer dans un débat stérile, ça ne sert à rien. Je préfère couper court."
Une solidarité indispensable
Tous ces agriculteurs connectés discutent beaucoup entre eux, publiquement ou en messages privés, et se retweetent mutuellement pour, inlassablement, défendre leurs pratiques et leur métier. "Nous sommes une grande famille", répètent-ils à l'envie. Entre membres de France AgriTwittos, ils se sollicitent pour des contacts, des rencontres régionales, et même des logements pour les vacances.
Des échanges qui peuvent parfois se révéler cruciaux. "Agriculteur, c'est un métier où on est souvent seul, reconnaît Denis Beauchamp, et avec les réseaux sociaux, ça permet de parler à plein de monde d'un coup".
"Quand l'un d'entre nous a un coup de mou, on a tout de suite un élan qui se crée derrière lui. Plein de gens viennent lui dire de ne pas lâcher, de continuer, qu'on pense à lui", souligne Muriel Penon. Une solidarité indispensable : "on reste une des professions qui connait le plus de suicides, et c'est important de rester vigilant et de surveiller les copains", rappelle l'agricultrice.