Climat. L'été 2022, début du grand réchauffement en Poitou-Charentes. Les réserves de substitution sont-elles la solution aux pénuries d'eau liées à la sécheresse ?

Stocker l'eau quand elle abonde pour l'utiliser en période de pénurie, c'est le principe des "méga-bassines" présentes en Vendée et en Poitou-Charentes. Une réponse appropriée pour le maintien de l'agriculture malgré le réchauffement climatique, ou une réponse technologique à court terme pour sauver des pratiques culturales dépassées ?

En Poitou-Charentes, la sécheresse a été particulièrement précoce cette année. Dès le 2 mai, le préfet de la Vienne appelait les usagers à une utilisation "économe et raisonnée de l'eau", et les seuils d'alerte ont été atteints très vite. Le lendemain, la Charente-Maritime prenait ses premiers arrêtés de restriction et interdisait l'irrigation des champs de maïs, et le 10 mai les quatre départements appliquaient des mesures de restriction.

Au fil de l'été, les différents seuils d'alerte ont été franchis, du jaune au rouge écarlate. Les restrictions se sont accentuées. Les cultures ont souffert.

CARTE - Précipitations mensuelles juillet 2022 et indice d'humidité des sols

Dans le bassin d'Aunis, à une vingtaine de kilomètres de La Rochelle, une centaine d'agriculteurs membres de l'association Aquanide ont collectivement et ouvertement fait le choix d'enfreindre ces restrictions et de procéder à des irrigations illégales, quitte à devoir en répondre devant les tribunaux. L'association, qui défend les intérêts des irrigants de Poitou-Charentes, prône le développement des réserves de stockage, les fameuses "méga-bassines".

Une "bassine" (ou réserves de substitution), c'est quoi ?

Pour continuer à irriguer les cultures, malgré les sécheresses estivales toujours plus marquées et les pénuries d'eau, le monde agricole a inventé la méga-bassine : une gigantesque "piscine" d'une dizaine d'hectares où est stockée, pour l'été sec, une eau prélevée dans les nappes phréatiques, pendant l'hiver pluvieux.

C'est en Vendée que les premières "méga-bassines" ont vu le jour, il y a une quinzaine d’années. A ce jour on compte une cinquantaine de ces réserves d'eau de substitution en Poitou-Charentes, 25 dans le sud de la Vendée, et une centaine sont en projet.

Ces "bassines" sont-elles la solution miracle pour répondre à ces étés sans pluie qui vont devenir la norme ? La communauté scientifique est prudente sur sa réponse.

Une solution pertinente en théorie

"Il est vrai que pendant la période hivernale le niveau de la nappe phréatique et des rivières remonte" constate Jonathan Schuite, hydrologue indépendant et chercheur associé à l'Ecole des Mines de Paris. "C'est la période où l'eau est la plus abondante, voire en excès par rapport à ce dont le milieu pourrait avoir besoin."

Prélever et stocker de l'eau à cette période-là apparaît donc comme une solution pertinente pour répondre aux besoins d'irrigation estivaux.

Le rapport du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), chargé d'évaluer la faisabilité des neuf "bassines" des Deux-Sèvres portées par la Coop de l'eau 79, conclut que les prélèvements en hiver ont « un impact négligeable » sur les nappes souterraines. Elles permettraient également « une amélioration globale du niveau des nappes en printemps-été »​, la profondeur de la surface de la nappe « pouvant augmenter de plusieurs mètres dans les zones où d’importants prélèvements estivaux sont substitués ».

Ce rapport valide les neuf projets de "bassines" de la Coop de l'eau 79 dont les capacités ont été revues à la baisse, après avoir été retoquées par le tribunal administratif de Poitiers en mai 2021. Sept autres avaient été autorisées, l'une d'elle est désormais en activité.

Gare aux hivers peu pluvieux

Pour l'hydrologue Jonathan Schuite, même si les modèles mathématiques utilisés dans le rapport du BRGM permettent de conclure à la faisabilité de ces projets, il est toutefois nécessaire de "s'assurer que les nappes phréatiques soient bien rechargées, pour un bon fonctionnement hydrologique. Par exemple, l'hiver dernier, on a enregistré un déficit pluviométrique moyen de 30%. Le climat n'assure pas une bonne recharge des nappes. Si en plus on vient pomper de l'eau, on puise dans les stocks qui vont alimenter les rivières pendant l'été".

INFOGRAPHIE - Le cycle de l'eau

L'hydrologue Lena Abasq, qui a rédigé le rapport du BRGM en juin dernier, alerte elle-aussi sur ce phénomène : "Les prélèvements pour le remplissage des réserves seront réglementés par des seuils hivernaux de gestion. Si ces seuils ne sont pas respectés, aucun prélèvement ne sera effectué."

Une solution d'appoint

Ce projet de construction de 16 "bassines" porté par la Coop de l'eau 79 a fait l'objet d'un protocole d'accord en novembre 2018, qui soumet notamment la réalisation de ces réserves à une réduction de l'usage des pesticides, et à une mutation vers l'agro-écologie.

Directeur de recherche au CNRS au sein du Centre d'études biologiques de Chizé (Deux-Sèvres), Vincent Bretagnolle est membre du Comité de suivi scientifique et technique chargé de superviser le respect des engagements des irrigants dans ce protocole. Il constate amèrement que ce comité de suivi ne s'est pas réuni depuis un an. Aux dernières nouvelles : "Les mesures ne sont pas contraignantes. Pour la première réserve de substitution qui a été construite à Mauzé-sur-le-Mignon, aucun des dix agriculteurs ne s'est engagé à réduire les pesticides. Ça n'augure pas au mieux de l'atteinte des objectifs auxquels la profession s'est engagée." 

On doit ralentir le cycle de l'eau qu'on a nous-même accéléré. On pourra ensuite rajouter des bassines là où ça parait indispensable.

Vincent Bretagnolle, directeur de recherche au CNRS

Pour lui, il est avant tout important de comprendre pourquoi on en est arrivé là. "Pendant plus de 50 ans l'ensemble des travaux hydrologiques a consisté à évacuer l'eau des marais vers la mer le plus vite possible en automne et en hiver. On a détourné le cours des rivières, drainé, asséché prairies et marais pour pouvoir semer du maïs en mars. On a organisé le paysage pour évacuer l'eau, et maintenant on se rend compte qu'il n'y a plus assez d'eau au printemps et en été. Et on dit que la solution c'est les réserve de substitution. Ce n'est pas la solution à prioriser. On doit ralentir le cycle de l'eau qu'on a nous-même accéléré. On pourra ensuite ajouter des bassines là où ça pourrait être indispensable".

Changer de pratiques

Varenne agricole de l'eau, rapport de l'Institut national de la recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE), toutes les études convergent pour mettre en valeur les vertus de l'agro-écologie afin de conserver l'eau dans les sols et limiter les besoins en irrigation.

INFOGRAPHIE - Agroforesterie

"C'est tout à fait possible de remettre des prairies dans les lits des plaines alluviales du bassin de la Sèvre Niortaise" explique Vincent Bretagnolle. "De replanter des haies bocagères et de maintenir un couvert végétal sur les sols. Il faut travailler avec la nature".

Des solutions que défend aussi l'hydrologue Jonathan Schuite : "Favoriser une agriculture qui reprend soin des sols, c'est beaucoup plus efficace pour retenir l'eau que toutes les retenues que l'on pourrait construire."

Selon les chiffres de l'INRAE, seul un exploitant agricole sur six utilise l'irrigation. Financées à 70% par des fonds publics (agence de l'eau et fond européen), les réserves de substitutions ne sont accessibles qu'aux adhérents des coopératives qui les initient. Mais elles entraînent une augmentation des prix de l'eau pour l'ensemble des irrigants.

Une expertise scientifique récente visant à évaluer l'efficacité de ces réserves a conclu à l'absence de données fiables et vérifiables pour réaliser une telle évaluation. Une fois que les méga-bassines sont en service, les irrigants qui les utilisent ne communiquent pas les données de leurs prélèvements.

Pour aller plus loin

Cet enseignant de SVT de Picardie propose une vulgarisation de sujets comme l'agriculture et l'écologie. (ouvrez l'ensemble de ses tweets).

VIDEO - Regard d'Emma Haziza, hydrologue, spécialiste de la résilience des territoires face aux risques climatiques extrêmes. Fondatrice de Mayane, centre de recherches appliquées dédié à l'adaptation climatique.

>> Voir la version intégrale de son interview ici (source : Thinkerview).

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