A Marmande, sept cents bébés voient le jour chaque année. La maternité pourrait être concernée par le rapport du professeur Yves Ville, qui préconise la fermeture des établissements prenant en charge moins de 1 000 naissances par an. Dans le Lot-et-Garonne, élus, représentants et personnels pointent une "aberration".

Société
De la vie quotidienne aux grands enjeux, découvrez les sujets qui font la société locale, comme la justice, l’éducation, la santé et la famille.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "Société". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

Depuis deux jours, le rapport sur les maternités du professeur Yves Ville divise. Dans son écrit rendu à l’Académie de Médecine le 1er mars, le chef du service de gynécologie-obstétrique de l’hôpital Necker à Paris recommande que les femmes n’accouchent plus dans les petites maternités, en dessous de 1 000 naissances annuelles, car la sécurité ne peut plus y être assurée. Une préconisation qui divise fortement, puisqu'elle concernerait 111 des 452 maternités que compte la France. En Aquitaine, 9 structures seraient concernées.

Des risques plus élevés dans les petites maternités 

Marmande, dans le Lot-et-Garonne, fait partie des établissements concernés. La maternité voit naître en moyenne 700 bébés par an. Pas assez, selon le rapport du professeur Yves Ville. "Le risque vital maternel est plus important dans les petites maternités, ça a été démontré dans une étude de l’Inserm, relève-t-il. L’idée serait donc de regrouper les petites maternités avec les maternités les plus grosses les plus proches, de façon à pouvoir, dans ces grosses maternités, apporter sécurité et bien-être."

Mais sur place, à Marmande, on ne perçoit pas forcément très bien ces préconisations. "On se moque du monde", estime Michel Ceruti, ancien conseiller régional, président de l’association d’usagers Urgences accès aux soins pour tous et représentant local du PCF. "Progressivement, on ferme tout, en nous disant que c’est la solution. Mais aucune disposition sur le fond n’est prise, on ne met pas les moyens. Déjà aujourd’hui, des gens sont découragés et ne vont plus se soigner", alerte-t-il.

Ce ne sont pas les gens qui travaillent dans ces structures qui ne sont pas compétents, c’est le système et les sous effectifs qui rendent la situation intenable.

Loïc Senthiles, chef de la maternité du CHU de Bordeaux et conseiller spécial au Collège nationale des gynécologues et obstétriciens français

La problématique de la sécurité dans les petites maternités est soulevée depuis longtemps par les gynécologues-obstétricien, rappelle le professeur Loïc Senthiles, chef de la maternité du CHU de Bordeaux et conseiller spécial au Collège nationale des gynécologues et obstétriciens français. "Toutes les maternités n’arrivent pas à avoir un pédiatre, un gynécologue et un anesthésiste. C’est illégal et pourtant l’ARS est au courant", pointe-t-il.
La pénurie de professionnels de santé, notamment dans les petites maternités, entraîne de plus forts risques pour les mamans et leurs enfants. "Les petites structures doivent faire appel à des intérimaires pour combler les trous, déplore-t-il. C’est problématique, car forcément, quand les équipes se connaissent, elles travaillent mieux ensemble. C’est comme au foot."

Et cette situation entraîne un cercle vicieux, selon Loïc Senthiles : "Les jeunes ne veulent plus aller dans les plus petites structures, car justement, il n’y a pas assez de garanties de sécurité." Le gynécologue-obstétricien du CHU de Bordeaux considère que la situation est due au fait du manque d’actes pratiqués dans les petites maternités. "Les gens ne veulent plus aller travailler là-bas, parce qu'ils perdent la main. Certaines sont à 300 naissances par an, soit moins de une par jour, c’est dangereux", alarme-t-il. Avant de préciser : "Ce ne sont pas les gens qui travaillent dans ces structures qui ne sont pas compétents, c’est le système et les sous effectifs qui rendent la situation intenable."

Un seuil de 1 000 naissances "volontairement provocateur" ?

C’est donc dans l’optique d’assurer la sécurité de toutes les femmes qui accouchent et de leurs enfants que les gynécologues-obstétriciens entendent alerter sur le danger des petites maternités. "On sait tous qu’il y a des endroits à éviter, mais les populations, elles, ne le savent pas. Elles ont le droit à la transparence, continue Loïc Senthiles. Trop souvent, les structures ferment quand il y a un accident. On souhaite agir avant." Il en veut pour preuve le drame de la maternité d’Orthez qui avait fermé peu après la mort d’une femme venue accoucher. 

Sous le prétexte très noble de la sécurité, ce rapport va dans le sens des inégalités d’accès au soin.

Philippe Meyer, directeur de l'hôpital de Marmande

Mais pour le directeur de l’hôpital de Marmande, son établissement est loin d’être dans la situation crainte par le rapport du professeur Yves Ville. "Sous le prétexte très noble de la sécurité, ce rapport va dans le sens des inégalités d’accès au soin, accuse le chef d’établissement, Philippe Meyer. Il y a une dizaine d’années, c’était le seuil de 500 naissances, maintenant, c'est 1 000, ça n’a pas de sens."

Pour Loïc Senthiles également, ce seuil de 1000 ne veut pas dire grand-chose : "C’est caricatural. Cela dépend des situations et des particularités géographiques, ce n’est pas un seuil pertinent. Ce rapport est, selon moi, volontairement provocateur, mais a le mérite de lancer le débat." Il considère tout de même que 300 naissances reste un nombre insuffisant et dangereux.

Mais l’écrémage des petites maternités est déjà en place depuis plusieurs années. D’après les chiffres de la Drees, en 2019, 3 % des maternités effectuaient moins de 300 naissances par an quand ce type de maternité représentait 12 % des établissements français en 1996. En quarante ans, le nombre de maternités a même été divisé par trois. "Il faut maintenir le lien entre le territoire et la santé, mais pas à tous les prix certes, conçoit le directeur de l’hôpital de Marmande, Philippe Meyer. Encore que dans certains territoires, il n’y a rien d’autre.

Un souhait "illusoire"

S'il n’était plus possible d’accoucher à Marmande, les femmes du Val de Garonne seraient contraintes de se tourner vers Bordeaux ou Agen, soit 45 min ou 1 heure de trajet. "C’est inconcevable de penser qu’on puisse fermer Marmande, c’est une aberration", réagit de son côté le maire de Marmande, Joël Hocquelet. Le rapport d'Yves Ville préconise surtout de transformer les petites maternités en centre périnatal de proximité, où il n’y aurait plus d’accouchement, mais un suivi avant et après la naissance. "Si on a déjà du mal pour le recrutement, ça risque d’être pire sans les accouchements. Quand on dit à un professionnel qu’il ne fera plus d’accouchement, ce pour quoi il est formé, c’est compliqué", soulève Philippe Meyer.

Depuis 1998, les maternités sont divisées en 3 catégories. Les plus petites, de catégorie 1, sont réservées aux grossesses à bas risques. La catégorie 2 est dotée d’une unité de néonatalogie pour les risques modérés et celles de catégorie 3, possèdent un service de réanimation néonatale pour les plus gros risques.
"Lorsqu’on a le moindre risque, on se rapproche de maternités de niveau supérieur, assure le directeur de l’hôpital de Marmande, Philippe Meyer. C’est une prise en charge coordonnée, qui marche très bien dans d’autres spécialités comme le neurovasculaire. On envoie les images à Agen et ils nous donnent un avis rapide. Si besoin, on transfère le patient. C’est dans ce sens-là qu’on doit aller.

S’il n’a pas connaissance de "problèmes particuliers" concernant Marmande, Loïc Senthiles vise plutôt certains cas spécifiques. "Quand il y a deux structures à 30 min de route, une a 600 naissances par an et une à 300, cela fait sens d’en transformer une. Il faut coordonner le transport et qu’il soit pris en charge par l’assurance maladie.

Cela coûtera beaucoup moins cher que de garder des structures qui n’arrivent pas à attirer et doivent prendre des intérimaires à 2000 ou 3000 euros la journée!

Loïc Senthiles chef du service gynécologie-obstétrique du CHU de Bordeaux

à rédaction web France 3 Aquitaine

Le chef du service gynécologie-obstétrique du CHU de Bordeaux l'assure :  les risques sont les mêmes si l’on se trouve à 5 ou 35 min d’une maternité :  "même si c’est le souhait de la population, c’est illusoire de croire que c’est possible de conserver autant de maternités."

Mais la question du transport reste épineuse. Car parfois, certains territoires ne possèdent pas assez d’ambulances. "Ce rapport part du principe que là-dessus, il n’y a pas de problèmes, alors que ce n’est pas vrai ! Notre réseau de transports sanitaire est totalement embolisé et saturé donc j’ai du mal à voir comment ça pourrait être possible. L’autre jour, on a attendu deux heures une ambulance", témoigne Philippe Meyer. Comme beaucoup, il considère que les habitants des territoires sans maternités risquent d’être, à terme, pénalisés par ces éventuelles mesures.

Menace sur l'attractivité des territoires

"Ce serait une catastrophe pour l’attractivité du territoire", pointe le maire de Marmande, Joël Hocquelet. Pour les élus locaux, le sujet est explosif. Les maternités sont des arguments pour attirer des populations et des activités. "Certains directeurs d’hôpitaux souhaitent que ça ferme, parce qu’ils connaissent ces risques et ce sont eux qui sont responsables. Mais il y a des freins politiques : fermer une maternité pour un territoire a très mauvaise presse", constate le professeur Loïc Senthiles. 

Fermer la maternité serait une catastrophe pour l’attractivité du territoire.

Joël Hocquelet, maire de Marmande

Quel avenir pour ce rapport ?

Mais les territoires ruraux et leurs petites maternités comptent bien faire de la résistance. Le président de l’association d’usagers de Marmande, Urgences accès aux soins pour tous craint, que ce ne soit la première étape d’une centralisation encore plus globale qui "conduit à la destruction du système de santé". "On peut imaginer des mesures exceptionnelles de la sorte, mais ce n’est une réponse de fond. La réalité, c'est que les inégalités s’accroissent au sein du système de santé. Il faut qu’au sommet de l’Etat, ils l’entendent et il faut mettre les moyens", martèle Michel Ceruti, très remonté.

Entre les partisans de la prévention des risques et ceux qui dénoncent l’augmentation des inégalités d’accès au soin, le rapport d'Yves Ville divise fortement. Une manière pour Emmanuel Macron, qui avait obtenu le soutien d'Yves Ville lors de la dernière élection, de prendre la mesure de l’opinion ?
Pour le moment, rien ne transparait sur l'éventuelle application des préconisations du professeur. Contactée, l'ARS de Nouvelle-Aquitaine n'a pas encore souhaité communiquer. L’application uniforme d’un seuil de 1 000 naissances risquerait, quoi qu’il en soit, de créer de forts déséquilibres sur le territoire.

Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Veuillez choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité
Je veux en savoir plus sur
le sujet
Veuillez choisir une région
en region
Veuillez choisir une région
sélectionner une région ou un sujet pour confirmer
Toute l'information