Installée au Pays basque, Nadia Ansolabéhère s'est reconvertie dans l'élevage de brebis après dix années dans l'enseignement. A la tête d'une petite exploitation bio, elle racontre les tracasseries, comme les dossiers de la PAC à monter, mais aussi les grands bonheurs apportés par son mode de vie.
En ce mois de février, les paysages de la Basse-Navarre sont d'un vert éclatant. Après les abondantes pluies hivernales, le soleil tente une percée, et arrose les crètes d'Iparla.
Comme chaque matin, Nadia Ansolabéhère emmène son troupeau paître dans les champs environnant son exploitation. Les brebis avancent d'un bon pas sur le bitume du village, avant de bifurquer sur un chemin de terre. Quelques agneaux, dont certains sont nés deux jours plus tôt, peinent à suivre le rythme. Les deux chiens de Nadia, Lucio et Lobi, entourent le troupeau et n'hésitent pas à donner de la voix.
De Los Angeles au Pays basque
Nous sommes à Anhaux, une commune d'à peine 400 habitants, toute proche de Saint-Jean-Pied-de-Port. C'est ici, au cœur du Pays basque, que s'est installée Nadia Ansolabéhère en juillet 2014 dans "une petite ferme en bio, d'une vingtaine d'hectares". La jeune native du village y élève 200 brebis Manex Têtes noires, dont le lait produit le fromage Ossau-Iraty. Une reconversion pour cette ancienne professeure d'espagnol. Elle a, pendant une dizaine d'années, exercé dans l'Hexagone puis en Guyane, avant de terminer sa carrière à Los Angeles.
Alors qu'elle se retrouve avec "le sentiment d'avoir fait le tour du fonctionnariat", elle apprend que son oncle, lui-même éleveur, cherchait un repreneur. "Sa ferme était à 200 mètres de chez mes parents. J'aimais beaucoup lui donner un coup de main pendant les vacances", précise-t-elle.
Revenir aux fondamentaux
Le projet de Nadia se précise. Elle veut "revenir aux fondamentaux, vivre au pays, faire un métier concret et avoir les mains dans la terre". Elle passe un bac pro agricole à distance avec un objectif : s'installer dans la ferme familiale. "Je me souviens du moment où j'ai soutenu mon projet devant mes examinateurs. L'un d'entre eux m'a confié qu'il adorait cette idée de la petite exploitation en bio, mais qu'il n'y croyait pas du tout!", sourit la bergère.
Deux petits-dejeûners
Après quelques temps à travailler avec son oncle, l'ex-professeure d'espagnol prend seule les rênes de l'exploitation. Un changement de quotidien qui lui convient bien.
"En ce moment, je descends à la bergerie vers 7 heures du matin pour la traite. Ensuite, je donne à manger aux brebis. J'essaie de les sortir tous les jours de la semaine. Dès qu'elles sont dehors, je nettoie la bergerie, je paille, je remplis les mangeoires… Et en fin d'après-midi, je rentre les brebis pour faire la traite. Je finis mes journées vers 19 h 30".
Des grosses journées entrecoupées, quand elle le peut, d'une sieste et de deux petits-déjeuners. "Un avant la traite et un autre après". En été, Nadia et ses bêtes prennent la route des estives pour s'installer en altitude pendant trois mois.
Voir notre reportage à Anhaux
L'élevage, un secteur qui se féminise
Les femmes ont toujours été nombreuses dans le secteur agricole. Pourtant, alors que leur travail était indispensable, un grand nombre n'a, pendant longtemps, eu aucun statut dans les exploitations familiales, si ce n'est celui de "femme d'agriculteur".
En 1970, 8% des chefs d'exploitation agricoles étaient des cheffes. Elles sont 24,2% aujourd'hui. Et selon la MSA, la Mutuelle santé agricole, c'est le secteur de l'élevage, qui est le plus féminisé aujourd'hui et concentre 46% des cheffes d'exploitations françaises.
En tant que femme, je ne pense pas avoir rencontré de difficultés particulières. Je pense que ces difficultés sont surtout dans notre tête : on a du mal à être sûre de soi, on doute, on se remet en question, et cela se ressent aussi, on le voit dans le regard des gens.
Mais si on est sûre de ce qu'on veut, il faut faire fi de ce regard et de ces doutes. Il faut tenter. Quand bien même ça ne marche pas, on aura essayé et on n'aura pas de regrets.
De même, son statut de néo agricultrice a laissé ses voisins indifférents."Je n'ai pas été accueillie, ni eu droit à des remarques, qu'elles soient positives ou négatives.
Ici, les gens s'observent beaucoup et attendent de voir ce que ca va donner. Tant que tout va bien, on ne parle pas trop. Le jour où ça n'ira pas, peut-être que les langues vont se délier !"
"Nos revenus dépendent surtout de la façon dont on a rempli les formulaires PAC"
Nadia produit un peu mois de 10 000 litres de lait par an, revendus en intégralité à la fromagerie des bergers de Saint-Michel, située à une dizaine de kilomètres de son exploitation. Entre la vente et les aides européennes, elle réussit à se dégager un revenu.
"Des fois, je me dis que je suis toute autant fonctionnaire en tant que paysanne que lorsque j'étais enseignante, reconnaît-elle. Surtout quand on se rend compte que nos revenus dépendent surtout de la façon dont on a rempli les formulaires PAC !"
Bon sens paysan
Au-delà des tracasseries administratives, la vie de la bergère est aussi faite de petits moments privilégiés. Comme sa relation avec Césaria, née en novembre d'une césarienne et ayant perdu sa mère. Depuis novembre, Nadia la nourrit au biberon. "C'est ma fille adoptive!", sourit-elle.
Années après années, je suis de plus en plus à l'aise dans le métier. J'acquiers du bon sens paysan, et je réalise la chance que c'est de pouvoir vivre au rythme des saisons, de travailler à l'extérieur, d'être maître de ses décisions. Et de savoir que, même si on doit en assumer les conséquences, ces décisions nous sont propres.
Alors… heureuse ? À la question, la bergère se fait philosophe. "Être heureuse, c'est un aboutissement. Je ne vois pas ma situation actuelle, et ma vie de manière générale, comme un aboutissement.
Je pense que c'est plutôt une quête. Je suis aujourd'hui épanouie, et je tends vers le bonheur!"
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