Les chiffres sont là : en Nouvelle-Aquitaine, on déplore 394 décès. En Euskadi, 1513. Données communiquées hier (jeudi 28 mai) par l’Agence Régionale de Santé de Nouvelle - Aquitaine et par le département de la Santé du gouvernement autonome basque
Quelles raisons pourraient expliquer ces différences ?
Indiscutablement la densité de population. C’est un fait que l’on retrouve dans tous les pays. Les zones ultra densifiées, hyper urbaines, comptent plus de victimes de la pandémie. Ainsi en Euskadi, Vitoria-Gasteiz, capitale de l’Alava, a-t-elle été plus durement touchée que le reste de la province (agricole et peu peuplée). 327 décès dus au Coronavirus pour une population de 225 000 habitants. 23 sur les 30 000 habitants du reste de la province. Des différences infra régionales d’importance dans la Communauté autonome d’Euskadi. La Nouvelle-Aquitaine, plus peuplée, mais moins densément, tire mieux son épingle du jeu.Nouvelle Aquitaine Euskadi
Population: 5 956 978 hab | Population: 2 181 919 hab |
Superficie: 84 036 km2 | Superficie: 7234 km2 |
Densité: 71 hab/ km2 | Densité: 302 hab/ km2 |
Mais les virus ne connaissent pas de frontière comme nous le rappelle Mikel Sanchez, directeur de Planification et de Gestion sanitaires du département de Santé du gouvernement basque. Cependant les modes de vie peuvent aussi expliquer des différences de gravité d’épidémie d’une région à l’autre. Ainsi comment comprendre que les villes d'Irun et de Hendaye n’aient pas été touchées de la même façon, alors que les deux cités ne sont séparées que par la rivière Bidassoa. Là encore, densité et population sont des facteurs de différenciation, mais pas que ...
Mais les modes de vie pèsent aussi sur la santé publique : côté espagnol ou sud comme l’on dit souvent au Pays basque (pour estomper l’idée de frontière, et pas que chez les nationalistes), il est coutume de dire que l’on vit dehors. Txikiteo ou poteo, ces tours de bars et cafés de quartiers en groupes d’amis ou en famille, parfois conséquents ont pu être des vecteurs de transmission au début de l’épidémie. D’où très vite les mesures de confinement beaucoup plus draconiennes prises en Espagne qu’en France (les enfants par exemple ne pouvaient absolument pas sortir de chez eux, même pour une petite promenade).
Cette vie sociale est une des pistes de réflexion que me soumet également le géographe Pierre Laborde. En Nouvelle-Aquitaine, sauf fêtes, férias, événements sportifs et culturels, « on vit au quotidien beaucoup plus chez soi, à la maison, qu’en Espagne en général. La vie à l’extérieur est la norme. La contamination est plus aisée. C’est un élément à prendre en considération ». On reçoit moins chez soi également.Même si les mesures sanitaires ont été acceptées et en général respectées, nombre de familles s’interrogeaient tout de même sur le fait que l’on puisse sortir les chiens pendant le confinement, même très rapidement, et pas les enfants !
Franck Dolosor, journaliste à ETB Télévision basque
Autre facteur selon Pierre Laborde : les activités économiques. L’emploi industriel et donc secondaire est encore très présent en Guipuzcoa, Biscaye et Alava (grandes usines de montage d’automobiles, autocars, trains ; aciéries ; chantiers navals ; et réseau très dense de PME). Quid des gestes de distanciation avant le confinement quand on ne savait pas encore ce qu’était le Coronavirus et comment s’en prémunir ?En Espagne, on vit également beaucoup plus dans de l’habitat collectif. Partout on trouve des immeubles, même dans des villages. Alors qu’en Nouvelle-Aquitaine, on est plus sur du pavillonnaire.
Pierre Laborde, Professeur de Géographie urbaine à Bordeaux III et directeur du Centre d'études des espaces urbains
A quelques exceptions près en Nouvelle-Aquitaine, et notamment dans la conurbation bordelaise, « on est moins dans la configuration de régions industrielles espagnoles économiquement et industriellement plus ouvertes sur le monde et la Chine notamment, comme la Catalogne, Euskadi ou Madrid (régions durement touchées par le virus). Chez nous, l’économie est plus autocentrée, sur la région. Voici encore une piste de réflexion » complète Pierre Laborde. Euskadi compte deux aéroports internationaux (Vitoria et Loiu-Bilbao), deux ports industriels à grand trafic international, Bilbao et Pasaia-Pasajes. La Nouvelle-Aquitaine, l’aéroport et le port de Bordeaux sont comparables à eux cités en Euskadi. Les risques de flux ont été moindres. Toute choses égales par ailleurs, un peu comme la situation entre la Catalogne et la région Occitanie.
« Les transports en commun aussi, ont pu être un facteur de propagation alors ignoré ». On pense au métro à Bilbao, au tram à Vitoria et Bilbao, et à ce réseau très dense de bus partout en Euskadi, très utilisé. A Bordeaux, Limoges Poitiers, Pau et Bayonne cette offre de transport collectif existe aussi évidemment, sans oublier les TER. Mais avec une densité de population moindre comme nous l’avons souligné la donne est différente et comme le rappelle Pierre Laborde, « chez nous, le transport individuel est encore très utilisé ».
Rencontrée lors du point de presse du 28 mai, Heidi Wille, Chef de Service des Maladies Infectieuses au Centre hospitalier de Bayonne évoque les mêmes paramètres pouvant expliquer les différences constatées entre les deux régions transfrontalières, dans l’attente d’études comparées et scientifiques (comme en avertit également Pierre Laborde). Elle souligne aussi le fait que l’Espagne a été l’un des pays d’Europe parmi les premiers à avoir été atteint du Coronavirus comme l’Italie. La France a appris de ces pays, et très vite, les gestes barrières, les mesures de confinement ont été mis en place. Le 17 mars commençait le confinement et dès le 15, bars, restaurants, cinémas etc. étaient fermés. L’Espagne qui recensait déjà nombre de cas déclaré et ses premiers morts, le confinement ne fut décrété que deux jours plus tôt.
Les relations entre les établissements publics de santé de chaque côté de la frontière sont très étroites et anciennes (grâce à la coopération transfrontalière encouragée au sein de l’Euro région Nouvelle-Aquitaine, Navarre, Euskadi). Les échanges entre professionnels sont nombreux. Mais au plus fort de la crise l’hôpital de Bayonne n’a pas été appelé « au secours ».
Nous n’avons pas eu demande d’accueil de patients basque espagnols. Mais au plus fort de la crise, surtout à Vitoria où la situation était très tendue, si nous avions été sollicités, nous aurions répondu favorablement. Nous étions prêts comme pour l’accueil de malades venus de l’Est de la France. Six, d’ailleurs tous rentrés chez eux !
Michel Glanes Directeur du Centre hospitalier de la Côte basque
Les deux services publics de santé coopèrent notamment en oncologie, urgences etc. Ce service dans la Communauté autonome d’Euskadi dépend exclusivement du gouvernement de Vitoria-Gasteiz depuis 36 ans. Le statut d’autonomie dit de Guernica a permis ce mode de gouvernance. Osakidetza, le nom en euskara de ce service de santé a permis par son maillage du territoire avec des centres relai de médecine adossés à ses hôpitaux « centraux » de Bilbao, Saint Sébastien et Vitoria de contenir la pandémie et d’éviter le pire. «Mais on ne baisse pas la garde, il faut rester vigilants comme cela se fait partout ailleurs » souligne Mikel Sanchez.
Dernière précision, les mesures sanitaires ont été définies et prises par le gouvernement central espagnol. Cette politique nationale ne voulait pas empiéter sur les compétences des autonomies mais assurer une réponse globale à la pandémie. A charge aux gouvernements autonomes et régionaux de les organiser et appliquer. L’Espagne heureusement est en phase de sortie de pandémie également. 38 décès ces sept derniers jours et 301 hospitalisations, face aux 27 119 décès et 123 804 hospitalisations dues au Coronavirus depuis le début de l’épidémie. En Euskadi ce 28 mai, on compte deux décès et cinq nouveaux cas déclarés.Notre système de Santé publique est l’un des postes les plus importants du budget du gouvernement d’Euskadi. Un tiers lui est consacré. Soit 1 810 euros par habitants.
Mikel Sanchez directeur de Planification et de Gestion sanitaires du département de Santé du gouvernement basque
Enfin, parce que le fait transfrontalier et euro régional est une réalité, concluons avec cette demande conjointe des présidents de la région Nouvelle Aquitaine Alain Rousset et du gouvernement basque Iñigo Urkullu, d’assouplir les conditions de passage de la frontière entre les trois régions frontalières que sont la Navarre, la Nouvelle-Aquitaine et Euskadi. Demande remise aux premiers ministres respectifs des gouvernements français et espagnol, Edouard Philippe et Pedro Sanchez.
Article du quotidien Deia du 28 mai 2020
https://www.deia.eus/actualidad/politica/2020/05/28/urkullu-pide-carta-sanchez-ampliar/1041735.html