Nouvel espoir d'énergie verte ou "énième mirage" ? La recherche d'hydrogène naturel dans les Pyrénées est lancée

C'est une grande première en France : en Béarn, la recherche d’hydrogène naturel à des fins d’exploration a été officiellement autorisée par le gouvernement. Mais l'exploitation de cette source d'énergie, présentée comme décarbonée, suscite quelques réticences.

L'hydrogène "blanc" ou naturel est-il la pierre philosophale qui nous permettra de passer à une énergie verte ? Présent dans le sous-sol pyrénéen, ce gaz, invisible et inodore, est souvent présenté comme une nouvelle source d’énergie décarbonée, et donc un pas de plus vers la transition énergétique.

Sa présence dans les sous-sols marins est connue depuis longtemps. En revanche, sa découverte dans les sous-sols terrestres est plus récente. L'hydrogène blanc est déjà considéré comme une manne d’énergie décarbonée pour ses chantres. Dans l'Hexagone, les premiers gisements potentiels ont été décelés, en Moselle et dans les Pyrénées-Atlantiques. Et c'est en Béarn que, pour la première fois, la France a autorisé la recherche de réserves d'hydrogène naturel.  Un permis attribué pour cinq ans, sur une zone de 225 km², à la société TBH2 Aquitaine.

Une énergie vantée par le ministère de la Transition écologique

L’une des principales qualités de l’hydrogène est que sa combustion n’émet pas de dioxyde de carbone.  Par ailleurs, cette ressource est à priori renouvelable, bien que les études sur ce point ne font que débuter. Enfin, l’hydrogène blanc présente l’avantage d’être une ressource directement disponible dans le sous-sol, qui ne nécessite aucune transformation. Toutes ces qualités sont vantées sur le site du Ministère de la transition écologique.

"Un game changer"

Isabelle Moretti, a été recrutée depuis 2019 par l’Université de Pau-Pays de l’Adour, pour travailler en tant que chercheuse sur les sources naturelles d’hydrogène. Elle a fait partie des personnes qui ont travaillé à modifier la loi des sous-sols et à inscrire l’hydrogène dans celle-ci à compter de 2022. Quand elle évoque les possibilités de l'hydrogène, la scientifique parle de "potentiel Game-Changer", c'est-à-dire un élément qui peut faire basculer la donne.  

À l'heure actuelle, l'hydrogène, principalement utilisé dans l'industrie chimique et spécialement afin de réaliser des produits phytosanitaires tels que les engrais, est à 95 % fabriqué à base d'hydrocarbures. D'autres tentatives de production ont été expérimentées, mais ne se sont pas révélées concluantes.   "On essaye de faire de l'hydrogène à partir d’électrolyseur, mais c’est trop cher", explique Isabelle Moretti. C'est pourquoi la perspective de trouver de l'hydrogène naturel dans des gisements un peu partout dans le monde et facilement accessibles, peut apparaître comme une manne. 

L’espoir est de trouver des quantités non négligeables, qui peuvent servir pour la chimie et être une source d’énergie.

Isabelle Moretti

Chercheuse à l'Université de Pau et des pays de l'Adour

Les Pyrénées dans la boucle

La découverte de la présence d'hydrogène dans les Pyrénées ne date pas d'hier. De l'autre côté de la frontière, à Monzon en Espagne, un puits d'hydrogène a été mis à jour en 1963. Situé à 3 600 m de profondeur, celui-ci a reçu l'autorisation de rouvrir à des fins d'exploitation.  La zone de 225 km de prospection, accordée à la société TBH2 Aquitaine pour cinq ans s'étend, elle, des environs de Sauveterre-de-Béarn jusqu’à Navarrenx, ainsi qu’en Soule. 

L'arrêté du 23 novembre, signé par la Ministre de la transition écologique, le Ministre de l'Industrie, et  annoncé dimanche dans le JO, précise qu'il s'agit d'un " permis exclusif de recherches de mines d’hydrogène natif, hélium et substances connexes dit Sauve Terre H2". 

Impact environnemental et couts réduits ?

Quel avenir alors pour ce gisement potentiel pyrénéen ? Isabelle Moretti cite l'exemple du Mali. Elle raconte comment, en 1987, l'un des ouvriers à la recherche d'eau potable a vu sa cigarette brûler au contact du gaz, et a compris qu'il n'avait pas découvert de l'eau, mais bel et bien de l'hydrogène.  "Aujourd'hui, ils brulent l'hydrogène blanc pour 50 centimes de dollars le kilo", explique-t-elle.  L'extraction de l'hydrogène des hydrocarbures, appelé hydrogène gris, est quant à elle estimée à 2 dollars le kilo. La chercheuse insiste sur l'impact environnemental de l'hydrogène naturel, " bien meilleur que celui de l'hydrogène gris et bien moins cher". 

Prenant le pas à cette découverte, l'Australie a, elle aussi, commencé à exploiter ses propres ressources. Depuis deux ans, l'Australie du Sud a délivré une trentaine de permis d'exploration.  Ses premiers prélèvements ont permis de mettre à jour des gisements composés à 76 % d'hydrogène et à 4 % d'hélium, "un gaz très cher", précise la scientifique. 

En tête des pays également dans la course à la ressource, les États-Unis. Et à la barre, Bill Gates et sa société Koloma, déjà à l'origine de sept forages. "Bill Gates, généralement, ne perd pas d’argent", insiste Isabelle Moretti. 

"Je suis très sceptique "

Cette agitation autour de l'hydrogène laisse perplexe Nicolas Goldberg. Ce spécialiste énergie chez Colombus Consulting conseille les entreprises, afin de s'adapter aux enjeux climatiques. 

"Je suis très sceptique pour plusieurs raisons", énonce-t-il. Parmi elles : les montants des coûts de prospection, d'extraction et de production.  "De cela dépendra son usage" indique-t-il. Selon lui, la pérennité des gisements et leur capacité posent question. 

Par ailleurs, Nicolas Golbertg s'inquiète de l'impact environnemental de tels gisements et du fait qu'ils puissent accélérer le réchauffement climatique. "Comment on gère les fuites, sachant que l'hydrogène rallonge la durée de vie du méthane dans l’atmosphère et son pouvoir réchauffant ?", s'interroge-t-il.

Ce sera utile dans certains secteurs comme ceux de l'acier, du fioul ou de la chimie, mais il ne faut que ce soit un énième mirage.

Nicolas Goldberg

Consultant énergie Columbus Consulting

De plus, l'expert insiste sur le fait que l'hydrogène est un gaz peu dense.  "On peut le stocker, mais mal, avec une capacité cinq fois moins grande que le gaz naturel et un risque de fuite bien supérieur." Outre cette densité faible, l'expert évoque également les difficultés de transports. "Vous avez forcément un impact écologique comme pour toutes les ressources. Il faut toujours quantifier", insiste-t-il.

 

"Il faut éviter les mirages" 

"Je ne dis pas que l'hydrogène blanc ne sera pas utile, mais je n’y vois pas une potentielle révolution" insiste l'expert/conseiller auprès des entreprises.  "Dans le monde, 40 % de l’électricité produite est à partir du charbon" rappelle-t-il. "Des technologies existent déjà et on a du mal à passer à l’échelle de façon compétitive". 

Il faut, selon lui, arrêter de s'éparpiller : "on aura besoin de technologies de rupture.  Mais à chaque fois qu’on arrive à un problème avec une technologie existante, il y a une fuite en avant vers autre chose"

Vers un mix énergétique? 

Pour Isabelle Moretti, la raison réside dans l'équilibre. "Ce que j’appelle de mes vœux, c'est un mix énergétique adapté aux capacités et aux besoins de la région".  Elle explique raisonner en circuits courts et adaptés au milieu. "Déjà, si on trouvait de l'hydrogène et qu’on l’utilisait localement, je trouverais ça sympathique".

Les délais de prospection et d'exploitation sont également à prendre en compte. L'Australie, pionnière en la matière, depuis 2021, vient tout juste de forer son 1ᵉʳ puits et devrait s'attaquer au 2ᵉ, avec une mise en production d'ici à 2 à 3 ans.  Il faut donc imaginer que les exploitations du potentiel bassin d'hydrogène des Pyrénées ne seraient pas efficientes avant cinq ans. 

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