A Adriers, dans le sud Vienne, la famille Berthomier poursuit sa conversion au bio. La mort en peu de temps de deux voisins agriculteurs en charge de pulvériser les produits phytosanitaires pour leur coopérative a servi de déclic.
"On est moins pris pour des hurluberlus qu'avant", lance Damien Berthomier en embrassant du regard les 250 brebis à l'abri de la pluie dans son étable. A 35 ans, il vient de reprendre avec sa femme Laëtitia, l'exploitation de son père, André, récemment parti à la retraite. Il sait que sa démarche de conversion au bio est observée.
On a eu des enfants et on veut être en bonne santé pour eux.
"On nous regarde pour voir si ça marche !", explique-t-il. "Comme on ne met plus d'engrais depuis 10 ans, forcément on rigolait de nous au début parce qu'on produisait moins, mais au final, on produit à peine moins que les autres et, surtout, on produit sans avoir le coût de l'engrais. Donc, ça fait réfléchir autour de nous", ajoute le jeune père de famille qui sait désormais que son choix est "respecté". Mais sa femme et lui ont aussi une autre raison d'être passés au bio. "On a eu des enfants et on veut être en bonne santé pour eux", confie-t-il sous le regard approbateur de Laëtitia.
Attentif à la conversation, le père, André, ajoute alors : "On travaillait en Cuma" (soit en coopérative pour le partage du matériel agricole), commence-t-il. "En à peine quelques temps, on a perdu deux membres qui passaient le pulvérisateur dans nos champs, tous les deux morts d'un cancer. Ca nous a foutu la trouille." Puis il complète : "Quand le soir, à la fin de la journée, vous descendez du tracteur avec un mal à la tête, on se dit que c'est pas normal."
Pourtant, convient-il, les cancers de ses deux voisins agriculteurs n'ont pas été formellement liés à l'utilisation de pesticides. Mais, lui le premier, a choisi de se remettre en cause.
L'agriculteur fait vivre plein de monde autour de lui, mais lui, il ne vit pas!
Retraité depuis quelques semaines seulement, André explique n'avoir "jamais été trop dans une politique productiviste". "On a essayé, on s'en est éloigné", ajoute-t-il. "Pour espérer beaucoup vendre, il fallait beaucoup produire. Et pour produire beaucoup, il fallait aussi beaucoup acheter. Au final, on brassait beaucoup d'argent, mais il ne nous restait pas grand chose." Lucide, il lâche : "L'agriculteur fait vivre plein de monde autour de lui, mais lui, il ne vit pas!"
Puis il poursuit : "L'industrie nous apportait une réponse à chacun de nos problèmes mais le coût que ça avait nous bouffait nos marges, donc on est en train d'en sortir. Il faut réapprendre à produire. C'est dur d'arriver à la retraite et de se dire qu'il faut tout réapprendre! Mieux vaut tard que jamais; il était temps de prendre le virage", juge-t-il aujourd'hui.
L'enjeu de l'autonomie
La famille s'est donc engagée dans un changement de ses pratiques "pour vendre nos bêtes au meilleur prix", avec le soutien du Civam Poitou-Charentes qui accompagne ce type de démarche. "Si on compte tout le temps passé à vendre nos animaux, on gagnerait pareil à les vendre dans le circuit traditionnel." Pour la famille, l'enjeu de "garder l'autonomie de la ferme" se révèle donc "un acte militant", assure André.
Les animaux naissent et sont engraissés sur l'exploitation familiale. "Au début, on faisait de la vente directe", racontent Damien et Laëtitia. "On faisait découper nos animaux, mais c'était plus ou moins bien fait. Donc, on a cherché à maîtriser la découpe. On savait qu'il fallait qu'on fasse notre propre atelier de découpe avec un vrai boucher. Ca a pris 7 ou 8 ans à se concrétiser!"
Vendre aux particuliers, c'est très valorisant. Je vous assure que ça a changé ma fin de carrière!
L'abattage se fait désormais à quelques kilomètres de là. La viande revient ensuite à Adriers où elle est désormais travaillée par un boucher. Avec la famille Berthomier, plusieurs producteurs réunis en Cuma, ont créé "Mont-terroir" à Adriers : leur propre atelier de découpe et de transformation aux normes CE. En tant qu'exploitant adhérent, Laëtitia et Damien consacrent une partie de leur temps à la transformation de la viande (mise sous vide des pièces de viande à vendre, préparation de saucisses ou de viande hâchée, par exemple). La production est ensuite écoulée via les magasins de producteurs, des épiceries locales, en vente directe, mais aussi via des collectivités, telles que des écoles ou des Ehpad.
"Nourrir nos animaux avec notre production"
On se fait un petit Smic. La vente directe permet de valoriser notre travail mais on ne vend pas assez cher pour dire qu'on vit bien.
Pour le couple, le désir d'autonomie se crée ainsi progressivement. "On veut nourrir nos animaux avec notre production sur la ferme et on veut que notre production nous fasse vivre, nous, avant de faire vivre toute l'industrie autour", poursuivent-ils. L'exploitation agricole dégage un chiffre d'affaires moyen de 120.000 euros mais reste encore dépendante à 45% des subventions. "Sans les subventions, nos produits seraient beaucoup plus chers", reconnaissent-ils.
"C'est un peu compliqué, mais on vit de notre travail", reconnait Laëtitia. "On se fait un petit Smic. La vente directe permet de valoriser notre travail mais on ne vend pas assez cher pour dire qu'on vit bien."
Une vie passée à observer le fonctionnement de l'économie agricole, André ajoute : "Vendre aux particuliers, c'est très valorisant, parce qu'il y a la relation humaine. Je vous assure que ça a changé ma fin de carrière!" Il poursuit : "Le problème est structurel. La PAC a dit que l'alimentation ne serait pas chère, alors il a fallu subventionner!"
Quand dans les lycées agricoles, les enfants de paysans interpellent leurs professeurs pour dire 'mais mon père, il a toujours fait comme ça!', vous prenez conscience des dégâts énormes sur juste une génération d'agriculteurs !
"On est à un moment charnière pour l'agriculture", reconnait André. "Quand dans les lycées agricoles, les enfants de paysans interpellent leurs professeurs pour dire 'mais mon père, il a toujours fait comme ça!', vous prenez conscience que les dégâts sur juste une génération d'agriculteurs sont énormes !"
Mais déjà, la famille, dans son mode de production, se détache progressivement de ce monde d'avant. "Par exemple, dans le monde classique, on va nous dire que nos bêtes ne sont pas aux normes. Dans la vente aux clients, on est déconnecté de ce monde-là et notre viande est parfaite et parfaitement découpée. Elle est d'autant meilleure que le boucher a pris le temps de bien la dégraisser et de la préparer", ajoute Damien.
Juste avant de s'éclipser, son père, André, l'oeil toujours vif, ajoute non sans satisfaction : "Nos voisins agriculteurs (qui sont en conventionnel) viennent aussi acheter notre production."
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