Face à l'inflation et à la hausse des prix de l'énergie comme des matières premières, les boulangers craignent même la fermeture. Si la hausse des prix de vente à ses limites, les aides annoncées début janvier par le gouvernement aussi. Illustration dans la Vienne.
"On est obligé d’augmenter les prix. Quitte à perdre des clients", déplore Julien Croisy. Au Fournil de Biard, situé près de l’aéroport de Poitiers, le boulanger et gérant est assez fataliste : "Et si malgré cela, on ne fait pas notre chiffre, on va devoir faire des licenciements économiques ou ne pas renouveler de contrats." La hausse des tarifs de l’énergie et des matières premières est passée par là. Des difficultés censées être atténuées par les aides annoncées par le Bruno Le Maire, le 3 janvier 2022. La réalité n’est pourtant pas si simple.
En ce début d’année, la traditionnelle galette des rois en est le symbole. "Nous avons augmenté de 30 centimes par part de galette, soit 10 % d’augmentation", détaille Sophie Croisy. Quand la galette frangipane pour 6 personnes chiffrait à 18 euros l’an dernier, Le Fournil de Biard la vend désormais 19,80 euros. "En mars 2022, on a dû réaliser une augmentation sur le pain et la viennoiserie, et en octobre, une deuxième augmentation sur tous nos produits", continue Sophie Croisy.
Le prix des matières premières bondissent
Une hausse justifiée en partie par celle des matières premières. "Tous les ingrédients de la recette ont augmenté", résume la cogérante. Le blé coûte plus cher, le beurre également, presque tous les produits subissent une montée des prix. Une hausse parfois considérable, comme en témoigne Julien Croisy : "On a eu 12 % de hausse en moyenne sur le chocolat. Sur le beurre, on est à 100 % d’augmentation. Il y a 6 mois, on était à 4 euros le kg, maintenant c’est 9 euros, même si ça redescend gentiment."
Pour avoir les meilleurs tarifs, il faut commander en grosse quantité. Mais encore faut-il avoir la trésorerie pour le faire. "Nous, on peut se le permettre grâce au prêt garanti par l’État (PGE) sinon ce serait impossible, on ne l’a pas trop utilisé pendant le Covid, mais il sert maintenant", affirme Sophie Croisy.
En attendant, les boulangeries font face mais à l’inflation s’ajoutent les difficultés de recrutement. "Depuis le Covid, c’est difficile de trouver du monde", regrette Julien Croisy. "Même pour nos employés, continue-t-il. Eux aussi ont besoin d’être payé plus, car eux aussi subissent l’inflation." Dans la situation actuelle, avec les charges, impossible pour eux d’augmenter le personnel.
Une hausse spectaculaire du prix de l'électricité
Le point le plus sensible concerne surtout l’électricité. Depuis le début du conflit en Ukraine, les prix s’envolent. Les gros consommateurs comme les commerçants sont forcément touchés. Les boulangers en tête. "Depuis août, on est à 12 000 euros par mois de facture d’électricité, déplore Julien Croisy. Avant, on payait 2 500 euros par mois." Le tarif a été multiplié par 5 en seulement quelques mois. Ajouté, aux matières premières, l’addition est salée.
Il faudrait que les aides soient plus claires, car c'est compliqué de s'y retrouver et de faire les demandes.
Sophie Croisy, Le Fournil de Biard
Pourtant, Le Fournil de Biard, a "la chance d’avoir du matériel récent qui consomme moins et un four bien isolé", sinon le constat serait pire. "Notre comptable nous a dit que si on voulait garder notre marge, il fallait tout augmenter de 15 %, mais nous avons préféré ne pas aller au-delà de 6 %", poursuit le boulanger. Mais le manque à gagner pour l’entreprise de 23 salariés est difficile à évaluer pour le moment. "On ne peut pas encore le mesurer, car si on perd des clients avec l’augmentation, ça ne se verra pas tout de suite", souligne Sophie Croisy.
Des dispositifs d'aides peu lisibles
Pour tenter de limiter la casse, le gouvernement a mis en place plusieurs aides, à destination des boulangers en particulier. "Les boulangers ont l'augmentation du prix du beurre, de la farine, de toutes les matières premières et de l'électricité, ce sont les seuls dans ce cas", a justifié le 4 janvier 2023, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire au micro de France Inter. Mais malgré cela, ce dernier ne juge pas la situation alarmante. Seule "une centaine" de boulangers est en "réelle difficulté", assure le ministre.
Parmi la multitude de différents dispositifs d’aides, s’y retrouver est parfois compliqué. Bouclier tarifaire, remise de 20 % sur la facture, aide au paiement des factures, report de cotisations sociales,… Chaque dispositif à des conditions bien spécifiques qui rende ces aides difficilement lisible par les boulangers, comme le raconte Sophie Croisy : "Il faudrait que ce soit plus clair à ce niveau-là, parce qu’on ne savait pas ce dont on pouvait prétendre."
C’est peut-être d’ailleurs à cause du report de charges durant le Covid que certains se retrouvent à devoir tout payer maintenant et coulent.
Julien Croisy, Le Fournil de Biard
"On ne rentre pas dans le cadre du bouclier tarifaire, car c’est uniquement pour les compteurs électriques inférieurs à 36 kVA de puissance, indique Julien Croisy. Rien que notre four fait l’équivalent de deux fois cela." Le Fournil de Biard va tout de même avoir droit à une remise sur sa facture : 2 000 euros par mois pendant deux mois. Mais cela reste assez peu quand la facture dépasse les 10 000 euros mensuels. "Pour le moment, notre demande est rejetée. Initialement, ils demandaient 4 documents, on les a envoyés et ils nous ont dit qu’ils nous manquaient d’autres documents", explique Sophie Croisy, quelque peu fatiguée de ces démarches administratives.
La crainte d'une situation qui dure
Comme il l’avait fait pendant la pandémie de Covid-19, le gouvernement a laissé la possibilité de reporter les charges et les cotisations sociales des commerçants en difficulté. "Ça ne nous intéresse pas, coupe aussitôt Julien Croisy. Il faudra bien les payer au bout d’un moment donc ça ne change pas grand-chose." Selon lui, "beaucoup se font aujourd’hui rattrapé" par ce report de charges pendant la période de Covid, "c’est peut-être d’ailleurs à cause de cela que certains coulent".
Tout n’est pas à jeter pour autant selon le couple de boulangers. La possibilité de résilier sans frais leur contrat d’énergie est pour eux un soulagement. "Pour avoir un prix à peu près correcte, on a été obligé de signer pour 3 ans avec un fournisseur. Mais, dans les mois à venir, les prix vont surement baisser", espère Sophie Croisy. Le fait de pouvoir se désengager quand le tarif de l’électricité redescendra, pourrait alors représenter un vrai bol d’air.
En attendant, au Fournil de Biard comme ailleurs, on ne peut qu’espérer que cette baisse du prix de l’énergie arrive rapidement. Ce qui inquiète Sophie Croisy : "Notre trésorerie nous permet de couvrir 1 an d’électricité, pas plus. Donc si c’est amené à durer, ça risque de ne pas tenir."
Reportage d'Anne-Marie Baillargé et Stéphane Hamon