En 2019, le mot "féminicide " a été élu mot de l’année par le Petit Robert. Mais au 19e siècle, il avait une tout autre signification. Interview de Frédéric Chauvaud, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Poitiers, spécialisé en justice et crimes.
Frédéric Chauvaud s’intéresse depuis 2012 aux violences faites aux femmes. Il fait partie, en tant qu’historien, d’un groupe de l’Université de Poitiers qui travaille sur le sujet. A l’époque, le mot féminicide existait à peine, il était très peu utilisé. Le terme n'est réellement apparu qu'en 2015.
Quatre ans plus tard, le Petit Robert lance son concours annuel du "mot de l’année " et parmi les 10 propositions, "féminicide" remporte une triste palme en cette année 2019, année qui compte 146 décès dans le cadre des violences conjugales.
Frédéric Chauvaud est remonté dans le temps et les écrits pour découvrir l’origine de ce mot. « Au 19e siècle, féminicide signifiait : Contrainte que peuvent faire peser les femmes sur les hommes », explique l’historien. « Une définition en totale contradiction avec son sens, un siècle plus tard ».
Au 20e siècle, le terme désigne les lois tournées contre les femmes. Ce sont les suffragistes ( à ne pas confondre avec les suffragettes) qui œuvrent pour ce nouveau sens.
Et pourtant en fouillant dans la littérature, Frédéric Chauvaud fait une autre découverte . "Paul Scarron au 17e siècle utilise le mot féminicide, dans son sens actuel, avec l’idée de tuer une femme parce qu’elle est une femme".
En France, si le terme apparaît et disparaît au fil des siècles, aux Etats-Unis il reste bien présent grâce notamment à l’écrivaine et sociologue éminente Diana Russell.
C’est même à elle que revient la création du nouveau mot composé de "féminin " et "homicide ": féminicide.
Aujourd’hui ce mot signifie littéralement "tuer une femme parce qu’elle est une femme ". Dans le droit pénal, il n’a pas de valeur même s’il est souvent employé dans les faits divers, voire au moment des audiences. " Le mot féminicide ne peut exister selon les juristes, car dans ce cas il faudrait réintégrer les mots "parricide" et "infanticide " qui ont disparu du Code Pénal en 1994 " explique Frédéric Chauvaud.
Cet historien poitevin a déjà bien fait le tour de la question, mais il lui reste encore une partie à explorer : les archives des féminicides, qui remontent au Moyen-Age. Même si le nom n’est pas le même, la notion est bien présente. Il s’agissait aussi de femmes tuées sous les coups d’un homme, parce qu’elles étaient des femmes.
(NB : Et preuve qu’il reste encore un peu de travail, le mot " féminicide " n’est pas reconnu par le correcteur orthographique de l’ordinateur utilisé...)
Bibliographie
Frédéric Chauvaud et Lydie Bodiou : "On tue une femme. Le féminicide." Histoire et actualités, Paris, Hermann, 2019, 461 p.
Frédéric Chauvaud (co-directionà "Une femme sur trois. Les violences faites aux femmes d’hier à aujourd’hui", Poitiers, Éditions de l’Atlantique, 2019, 80 p.