Lancée par le ministère de l'Économie il y a quelques semaines, une campagne nationale vise à réduire le nombre d'arrêts de travail, en accompagnant les médecins qui seraient trop enclins à les prescrire. Dans la Vienne, huit praticiens sont pointés du doigt.
La feuille d'arrêt de travail est dans le viseur de l'Assurance Maladie. Dans la Vienne, sur les six premiers mois de 2023, le nombre de ces arrêts a augmenté de 4,7 % par rapport à la même période en 2022. La Caisse Primaire d'Assurance Maladie (CPAM) a donc épluché les chiffres du département, et elle a repéré huit médecins, sur les 403 que compte le territoire, qui seraient "atypiques" dans leurs prescriptions, selon l'organisme. "Aujourd'hui, on a seulement besoin de comprendre pourquoi ces praticiens ont des prescriptions qui sont, en termes de volumétrie, plus importantes que des confrères comparables sur la même zone géographique", explique Sylvie Landriaud, la directrice de la CPAM 86. "L'idée de cette campagne c'est d'échanger avec eux pour mieux comprendre cette situation."
Il n'est pas question de sanctionner les praticiens concernés, mais d'engager un processus de dialogue avec des objectifs à tenir. Cette campagne de vérification est toutefois peu appréciée par le syndicat de médecins MG France, dont le représentant dénonce une logique comptable : "Ça ressemble à une chasse aux sorcières", dénonce Franck Girault, secrétaire MG France pour la Vienne, "une chasse aux sorcières qui nous montre du doigt alors que nous ne sommes que des témoins de ce qui se passe dans la société. On est en train d'accuser le thermomètre d'être responsable de la fièvre."
Si les médecins mettent des arrêts de travail de manière plus importante, c'est que les gens vont mal, et pas parce que les médecins sont devenus déviants.
Franck GiraultSecrétaire MG France 86
Un mal-être souvent lié au monde du travail
Selon l'Observatoire de l'absentéisme de l'assurance AXA, 44 % des salariés français ont été arrêtés au moins une fois en 2022, et l'épidémie de Covid ne peut expliquer à elle seule ces chiffres records. Interrogées dans les rues de Poitiers, de nombreuses personnes confirment ce constat : "J'ai eu ma maman qui a été en arrêt maladie", confie une jeune femme, "ça fait 25 ans qu'elle est instit' et c'était la première fois." Pour une autre, qui travaille dans le secteur agroalimentaire, c'est le rythme de travail qui l'a menée à s'arrêter : "Le fait de devoir aller plus vite a engendré que je me blesse au travail", ajoute-t-elle.
Clément Grignoux, psychologue de l'Association du Service de Santé au Travail dans la Vienne, entend régulièrement ces arguments dans son bureau. De nombreux facteurs peuvent conduire à la souffrance au travail, comme la surcharge de travail ou l'intensité des temps de travail, le manque d'autonomie, ou encore "la dimension éthique", avec "des salariés qui peuvent s'interroger quant au sens de leur travail."
Selon lui, les salariés n'hésitent plus à solliciter des rendez-vous : "Si j'ai en face de moi un salarié qui présente des signaux cliniques de détresse psychologique ou de souffrance psychique et si la personne n'est pas en arrêt maladie, je vais lui préconiser d'aller consulter son médecin traitant pour appréhender la possibilité d'un arrêt maladie temporaire pour permettre à la personne de se remobiliser."
En 2022, les arrêts maladie ont coûté 14 milliards d'euros à l'Assurance Maladie, soit 8,2 % de plus qu'au cours de l'année précédente. Outre cet accompagnement des médecins généralistes, d'autres actions et contrôles dans les entreprises et auprès des assurés sont prévus, avec l'objectif de récupérer 250 millions d'euros en 2024.