Témoignage. “Ma fille ne pourra jamais se reconstruire” Le combat d’une mère face à l’inceste et au silence de la justice

Publié le Écrit par David Segal

Sa fille a subi des agressions sexuelles et des viols de la part d'un membre de son ancienne belle-famille. Depuis sa plainte déposée il y a quatre ans, cette mère de famille attend toujours une date de procès. Elle nous livre son parcours du combattant et dénonce les difficultés rencontrées pour protéger son enfant.

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“Ça a été la descente aux enfers”, raconte Emy lorsqu’elle évoque la première fois où sa fille lui parle des attouchements qu’elle a subis. À ce moment-là, Céline* a 9 ans, elle confectionne des petites poupées pour passer le temps. C’était en plein confinement, au printemps 2020. La discussion s’oriente sur le corps et l’intimité. La petite fille évoque alors une anecdote : “si je veux des gâteaux ou des bonbons, j'ai juste à mettre le zizi de papi dans ma bouche et après il m'en donne”, se remémore la mère de famille pour qui chaque mot est à jamais gravé dans sa mémoire. 

Emy a toujours eu foi en la justice, elle se rend le jour même à la gendarmerie et livre ce qu’elle vient d’entendre : “Comme elle était mineure, j’ai porté plainte pour elle, pour viol. Ma fille aurait dû être entendue tout de suite malheureusement, ils ont attendu quinze jours avant de l'interroger.”

Depuis la séparation du couple, la jeune fille était en garde alternée chez son père, lui-même retourné vivre chez ses parents : “les choses se sont passées pendant les périodes de garde, donc les week-ends et vacances scolaires. Il s'avère que ça a commencé, quand elle avait 2 ans.”

Je m'en veux terriblement de ne pas avoir vu les choses avant étant donné que j'ai été victime.

Emy, mère d'une victime d'inceste

Emy a l’impression que l’histoire se répète. Elle a aussi connu des agressions sexuelles de la part d’un oncle dans sa famille quand elle était enfant. Elle va alors remuer ciel et terre pour protéger sa fille. 

Un long combat commence

“Elle a été vue par un psychiatre et par un gynécologue à Fontainebleau dans l’unité médico-judiciaire, explique Emy, puis entendue par la brigade de mineurs de la gendarmerie.” C’était en mai 2020. De son côté, le grand-père paternel est gardé à vue seulement deux mois plus tard, puis placé sous contrôle judiciaire. “Quelques membres de la famille ont été interrogés. Après ça, il ne s’est plus rien passé. Une cousine qui a passé du temps avec ma fille chez le grand-père et donc possiblement victime n’a même pas été entendue comme témoin à ce jour.”

Dans un premier temps, les ponts sont coupés entre la jeune fille et sa famille paternelle. Puis, un juge aux affaires familiales va autoriser le père à avoir un droit de visite deux jours par mois, uniquement de jour. Avec une interdiction d’entrer en contact avec le reste de la famille pendant six mois.  “Après ces six mois, le juge a permis un retour un week-end sur deux et la moitié des vacances. Comme si de rien n'était.” 

Emy dénonce le fait que la justice n'a pas appliqué le principe de précaution dès le dépôt de plainte. Tout du moins, le temps de l’enquête.

 En France, on peut avoir un droit de la famille qui peut être assez protecteur avec l’agresseur. 

Me Carine Diebolt, avocate

Pour Me Carine Diebolt, avocate parisienne, spécialisée dans la défense des victimes de viol et d’agression, ces situations sont récurrentes :  “la justice priorise la présomption d'innocence et très fréquemment elle maintient des liens tant que la personne n’est pas condamnée définitivement. La mesure d’éloignement n’est pas systématique.” 

Maître Diebolt regrette que la justice ne soit pas assez rapide et ne prenne pas en compte la protection des enfants : “il y a des procédures qui peuvent durer jusqu'à onze ans."

“Je me sens complètement bloquée”

De son côté, Emy a attendu quatre ans avant d’être reçue une première fois par une juge d'instruction au tribunal de Sens, en mai 2024. Céline* alors âgée de 13 ans est enfin entendue par la magistrate : “la juge d'instruction a dit mot pour mot à ma fille que ce genre de choses était inacceptable. Elle lui a promis un procès donc ça m'a rassuré, je me suis dit : enfin c’est bon”, soupire Emy. 

L’institution judiciaire va à nouveau se murer dans le silence pendant plusieurs mois. Aucune autre audition n’est programmée : l’affaire est au point mort. La mère de famille finit par appeler son avocate : “elle me dit qu’un courrier a été envoyé par le tribunal, un avis de fin d’information. Depuis le 4 novembre, la juge a clôturé le dossier.” 

J'ai le sentiment d'impuissance, de dégoût, d'injustice

Emy* mère d'une victime d'inceste

C’est l’incompréhension. Elle a désormais trois mois pour adresser des observations écrites à la juge et éviter la clôture de l’instruction. Aujourd’hui, sa fille bénéficie d'un suivi psychologique et présente de nombreux traumatismes : “Sans procès, elle ne pourra jamais se reconstruire”.

80% des plaintes classées sans suite

Pourquoi la justice est-elle si lente pour résoudre ce genre d’affaires ? “80 % des plaintes sont classées sans suite”, souligne Isabelle Aubry. Elle a fondé l’association Face à l’Inceste en 2000 et elle est aujourd’hui présidente d’honneur. Un chiffre à mettre en parallèle avec un autre : 160.000. C’est le nombre de victimes en France, chaque année, selon la Commission Indépendante sur l’Inceste et les violences sexuelles faites aux enfants. (CIIVISE) Majoritairement dans un cadre familial. 

Mi-novembre, le Sénat a voté pour renforcer un dispositif de protection de l’enfant victime de violences intrafamiliales, dont l’inceste, en vue de remédier à une carence observée dans le droit actuel. Un mécanisme d’urgence qui prévoit désormais d’élargir l’ordonnance de protection aux cas de violences commises sur des enfants dans leur cercle familial proche et non plus uniquement aux violences commises au sein du couple.

(*) les prénoms ont été modifiés

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