Justice. Témoignages poignants des rescapés du bombardement de Bouaké qui a tué neuf soldats français en 2004

Au 3e jour du procès du bombardement de Bouaké, attendu depuis plus de 15 ans par les dizaines de familles de soldats français morts ou blessés, la cour d’assises de Paris s’intéresse aux témoignages des soldats rescapés de l’attaque sur le camp de l’armée française.

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Que s'est-il passé le 6 novembre 2004 lors du raid de l'armée ivoirienne sur un camp militaire français ? Les familles des neuf soldats originaires de Poitou-Charentes, tués dans l'attaque attendent des réponses à l'occasion du procès qui a débuté ce lundi devant la cour d'assises de Paris. 

Le procès se tient jusqu'au 16 avril en l'absence des trois accusés, des pilotes biélorusses et ivoiriens qui restent introuvables, et sans que l'enquête ait déterminé les commanditaires.

Les familles des neufs soldats tués en Côte d’Ivoire, veulent connaître les circonstances qui ont abouti à la mort de leurs proches. 

En novembre 2004, les forces françaises s’interposent entre les rebelles ivoiriens et les forces gouvernementales. C’est dans ce contexte de guerre civile que se déroule le bombardement du camp militaire français de Bouaké.

En ce troisième jour d'audience, les militaires présents lors du bombardement témoignent à tour de rôle devant la cour d'assises.

"On ne peut pas oublier, on a été touché dans notre chair, on a été blessé, on est encore blessé actuellement, je pense que c'est très important de parler, de dire que les avions nous ont vraiment tiré dessus", réagit Patrick Chevalier, victime du bombardement.

Témoignage de Cédric sergent-chef à l’époque de l’attaque

Cédric, sergent-chef en 2004 à Bouaké semble se souvenir parfaitement des dates mais aussi des missions qu'il devait accomplir au camp de Bouaké.

"C’est la première fois que je reparle de l’affaire depuis 2005 devant le juge", a annoncé Cédric devant la cour d'assises, il cite de mémoire presque parfaitement tous les noms de ses camarades. Il se souvient des bombardements de l’armée ivoirienne sur les positions des rebelles les jours avant l’attaque.

"On le savait toujours à l’avance, on se préparait avec les casques. Le jour de l’attaque, je me souviens qu’il y a eu un gros boum, un bruit fracassant, assourdissant. Poussière, odeur de poudre, j’ai compris qu’on avait été frappé. J’ai porté secours aux blessés, au foyer où les gars prenaient un café. Un gars était blessé à la tête, il n'entendait plus rien".

On a commencé à relever nos neuf camarades, à les recouvrir avec des draps blancs pour pas les laisser comme ça. Il y avait encore un peu d’incendies dans les chambres et le préau, mais les réserves avaient été percées.

Cédric, sergent-chef

"J’ai vu l’intérieur de l’infirmerie, toutes les compresses rouges, c’était impressionnant. Je pensais que tout allait bien mais en fait j’étais polytraumatisé sur un bras et une jambe. J’ai été évacué par la suite par hélico". Le sergent-chef retient ses larmes en pensant aux morts.

Cédric raconte alors qu’il ne voulait pas rentrer en France mais souhaitait repartir au combat. Il a été rapatrié malgré tout, soigné, arrêté trois semaines, avant de reprendre les manœuvres.

Son avocat l’interroge alors sur son retour à la maison après l’attaque.

On l’a caché aux enfants avec ma femme. On n'en a jamais parlé avec eux pendant 15 ans. On vit avec sans en parler. On vient juste de commencer à évoquer le sujet avec le procès.

Cédric, sergent-chef

Mario, le chef d'escouade du 515e RT

"Dès le 4 novembre, nous avons eu un début de survol d’avion. Quand il y a eu l’alerte, on est parti s’équiper, on s’est rassemblé. Et là il y a un avion qui arrive vers nous. Mais pour nous, ce n'était pas une menace. Au moment où je sors du bâtiment, j'ai un trou noir lors de l'attaque à la roquette. Il fait tout noir, chaud, il y a de la fumée", se souvient Mario.

Je me relève avec des cadavres au sol, je ne comprends rien. Je réalise que je suis touché. Je file à l’infirmerie, où le tri est fait entre blessés graves et moins graves. Et là, il y a eu une deuxième alerte. Des gars m’ont pris pour me filer les premiers secours. 

"Je me relève avec des cadavres au sol, je ne comprends rien. Je réalise que je suis touché. Je file à l’infirmerie, où le tri est fait entre blessés graves et moins graves. Et là, il y a eu une deuxième alerte. Des gars m’ont pris pour me filer les premiers secours". 

Mario revient alors sur son souvenir des morts dans l’attaque.

"Le lendemain j’ai été récupérer des vêtements pour habiller les blessés. On a été emmené ensuite à Abidjan puis en France à l’hôpital de Percy. Je me sens coupable d’avoir laissé mes hommes sur le terrain". 

Pendant ces trois jours j’ai bien compris que c’était difficile de comprendre si cette attaque était une erreur ou pas.

"Alors j’ai apporté ceci, un drapeau, qui équipait chaque véhicule. C’est un grand drapeau orange qui, selon le militaire, était déployé sur chaque véhicule, qui était donc clairement identifiables depuis le ciel. En cas d’alerte aérienne, les consignes étaient de se mettre sous le préau. C’est ce sentiment de culpabilité qui vous revient, pourquoi lui et pas moi ? J’étais à la place d’un des tués quelques secondes avant l’attaque".

Maître Jean Balan, avocat de nombreuses parties civiles, lui demande alors son sentiment sur le fait que les pilotes aient été libérés après leur capture.

Qui sont ces gens, qui les à payé ? Je souhaite des révélations au cours de ce procès. Je suis venu ici pour trouver la vérité, un soulagement. 

Mario, le chef d'escouade du 515e

Les pilotes biélorusses et deux copilotes ivoiriens avaient brièvement été interpellés à l'époque mais sans jamais avoir été interrogé par la justice. Poursuivi pour assassinat, l’un des pilotes est mort, les autres sont toujours en cavale. 

Les anciens ministres Jean-Pierre Raffarin, Dominique de Villepin et Michel Barnier viendront témoigner au procès, a annoncé mardi le président de la cour d'assises. Parmi les anciens ministres cités comme témoins, seule la ministre de la Défense de l'époque Michèle Alliot-Marie a indiqué qu'elle ne viendrait pas, estimant avoir tout dit sur cette affaire en témoignant devant une juge d'instruction en 2010.

Concernant l'absence de la ministre de la Défense, le chef d'escouade a vivement réagi lors de l'audience.

La vie de neuf soldats Français ne mérite peut-être pas le déplacement de certaines personnes.

Mario, chef d'escouade

Le président de la cour d'assises de Paris a alors précisé qu’il avait demandé à Mme Alliot-Marie de reconsidérer sa position.

Témoignage d'André : "Je suis blessé physiquement et moralement"

"Ça tape fort, très fort. Ensuite, un silence. Le silence le plus terrible de ma vie. On va au plus près des personnes touchées, on fait du mieux qu’on peut. On essaye de se protéger car on ne sait pas si on va être envahi, s’il va y avoir autre chose. On se porte volontaire pour amener les blessés aux hélicos", soupire André, ému, "Je me rends compte que je suis poly-criblé" poursuit le militaire en larmes.

"J’ai eu peur de ne plus être apte. Je suis blessé physiquement et moralement. Je ne supporte pas l’idée de repartir en France. Dans l’hélico, on a cette sensation de lâcheté, d’abandonner un endroit où on doit être. Ce jour-là, on m’a volé ma confiance, une confiance aveugle envers l’institution. Je ne voulais pas assister au procès mais mes enfants m’ont dit « Papa c’est maintenant que tu peux parler. » Je suis là devant vous grâce à mes enfants. Je me dois d’être devant vous pour tous les absents".

Pour tous ces soldats venus témoigner, le bombardement de Bouaké est comme une plaie ouverte, c'est le sentiment partagé par plusieurs officiers de l’armée de terre. "J’espère que tout ça va porter ses fruits", conclut André.

Tous ont évoqué la surprise, le fait qu'ils ne devaient pas être ciblés, c'étaient des soldats de paix et ils ont été délibérément visés par cette attaque qui est une attaque criminelle.

Maître Lionel Bethune de Moro, avocat des parties civiles

L'hypothèse d'une "manipulation politique française" qui aurait mal tourné ?

Le 6 novembre 2004, deux chasseurs de l'armée loyaliste ivoirienne, qui tentait de reprendre le contrôle du nord du pays aux rebelles, ont bombardé à Bouaké un camp militaire des forces de paix françaises chargées de faire tampon entre les deux camps.

Cette attaque surprise a tué neuf soldats français et un civil américain, et fait une quarantaine de blessés. A ce jour, l'enquête n'est pas parvenue à déterminer qui a donné l'ordre de bombarder les Français et pourquoi. Les ministres et l'état-major français ont toujours privilégié l'hypothèse d'une "bavure" ivoirienne. Mais certaines tergiversations et déclarations contradictoires de ministres français de l'époque ont semé le doute chez des familles de victimes, au point que certains de leurs avocats voient le bombardement comme le fruit d'une "manipulation politique française" qui aurait mal tourné.
Les enquêteurs ont examiné le rôle à l'époque de Michèle Alliot-Marie, Dominique de Villepin et Michel Barnier, et une juge d'instruction a demandé en vain leur renvoi devant la Cour de Justice de la République (CJR), seule habilitée à juger des anciens ministres.

 

Pour suivre le procès en direct ce mardi, retrouvez le fil d'actualité de notre équipe sur place qui assiste à l'audience.


Compte-rendu d'Antoine Morel, sur place à Paris

 

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