Prix Renaudot des lycéens. Dans "L'Enragé", Sorj Chalandon raconte l'histoire bouleversante d'un enfant placé en maison de redressement

Sorj Chalandon est en lice pour le prix Renaudot des lycéens remis à Loudun le 14 novembre pour son livre "L’enragé" (Grasset). Il relate l’histoire d’une émeute dans un centre de redressement pour jeunes garçons, à Belle-Ile-en-Mer, qui fait suite aux mauvais traitements dont sont victimes ces enfants.

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Impossible de sortir indemne de L'Enragé (Grasset), l'un des livres événements de la rentrée littéraire. Dans ce roman, en sélection pour le prix Renaudot des lycéens remis le 14 novembre à Loudun (86), Sorj Chalandon emporte le lecteur dans une histoire aussi dramatique que rocambolesque. Il relate l’histoire de jeunes garçons enfermés dans une maison de redressement à Belle-Ile-en-Mer où ils sont maltraités et, prêts à se révolter.

La violence, la maltraitance sont omniprésentes pour ces enfants, qui, pour la plupart, n’ont pas commis de crime, autre que celui de voler de quoi manger. Ils ne sont juste pas nés au bon endroit, au bon moment. Leur origine défavorisée et leur relation délétère avec leurs parents, ne leur a laissé aucun choix.

'C’est un lieu où on met les mauvais garçons qui me regardent mal comme toi', me disait mon père.

Sorj Chalandon

Romancier, en lice pour le prix Renaudot des lycéens

Cette maison de redressement, l’auteur la connaissait en raison des menaces que proférait son père à son encontre. Dès qu’il n’agissait pas exactement comme son géniteur le souhaitait, il le menaçait de l’envoyer là-bas. "Il me disait : « c’est un lieu où on met les mauvais garçons qui me regardent mal comme toi », raconte l'auteur.

C'est un livre à lire impérativement. Pour en parler. Pour qu’il suscite une prise de conscience collective de ce que l’on a pu faire subir aux enfants. D’autant plus qu’aujourd’hui, dans des circonstances certes différentes, des enfants peuvent encore souffrir d'abus autoritaires de la part de parents. Sorj Chalandon en parle sans honte et, ainsi, peut permettre à d’autres de s’exprimer sur ce genre de sévices. Il exprime, dans ce roman, qu’un enfant n’est pas responsable de ce qu’il subit, même si le tortionnaire essaie de lui faire croire le contraire.

Rencontre avec Sorj Chalandon. Propos recueillis par Isabel Hirsch.

L’histoire de cet enfant placé en maison de redressement vous touche personnellement ?

Sorj Chalandon : "J’étais un enfant battu, menacé par mon père d’être envoyé en maison de redressement plusieurs fois par mois parce que j’avais renversé un verre d’eau sur sa moquette. Pour ces choses-là, il demandait à ma mère de faire ma valise en pleine nuit et il prétendait m’emmener en maison de redressement. Je vis avec ça, ces coups, cette violence, cette menace. J’en parle encore avec véhémence, cette terreur de l’enfant battu, je l’ai toujours."

Quand je découvre que 56 gamins s’évadent du centre d'éducation surveillée et que l’un d’entre eux n’est pas repris, je me suis dit 'ben, c’est moi papa, je vais aller dans ton centre, je vais souffrir avec ces gamins, je vais m’évader et tu ne me retrouveras jamais.'

Sorj Chalandon

Romancier, en lice pour le prix Renaudot des lycéens

Quand votre père vous menaçait, vous aviez une idée de ce que ça représentait ?

Sorj Chalandon : "Il me disait : « c’est un lieu où on met les mauvais garçons qui me regardent mal comme toi ». Lorsqu’en 1977, j’apprends que le centre d’éducation surveillé de Belle-Ile a fermé, je fais la relation avec mon père qui me parlait de ce centre pénitentiaire. Quand je découvre cette dépêche de 1977, je suis effondré. La fermeture de ce centre me renvoie à mon histoire. Dès que j’ai décidé d’aller voir, je me suis plongé dans la presse de l’époque, je suis cet enragé-là, je me suis enfui à 16 ans, j’ai été SDF, mes compagnons de route, c'était Jules Vallès, c’était tous les enfants malheureux, battus, martyrs dans la littérature. Je m’en emparais et ça devenait un copain. Dans L’enfant, c’est comme si Jules Vallès me dédiait ce livre, moi qui étais rossé par mes parents et châtié par mes enseignants.

Mon père me battait. Mon frère m’a rappelé que lorsqu’on était enfant, on mangeait tellement peu qu’on jouait à manger du poulet, on avait faim.

Sorj Chalandon

Romancier, en lice pour le prix Renaudot des lycéens

"Mon père me battait, j’étais sa propriété, à aucun moment, je ne me suis dit qu’il n’avait pas le droit. Mais certaines choses ne me semblaient pas normales, par exemple, je n’avais pas les clés de chez moi, mon frère et moi, on restait dehors, même si notre père rentrait tard. Un jour, j'ai trouvé une clé dans la rue, je me suis fabriqué un porte-clé et je disais que c'étaient les clés de ma maison. Ce sont des choses qui marquent un enfant à vie.

"J’ai repris un autre exemple dans L’enragé, quand le père mange la viande et l’enfant le bouillon. C’est ce qui se passait à la maison. Mon frère m’a rappelé que lorsqu’on était enfant, on mangeait tellement peu qu’on jouait à manger du poulet, on avait faim."

Votre père avait de nombreuses facettes...

Sorj Chalandon : "Il s’inventait un métier par jour : il n’était pas menuisier-ferblantier, il avait créé les Compagnons de la chanson, Piaf était tombée amoureuse de lui, il a été pasteur-presbytérien, prof de judo, champion de France de football. Et moi, je le croyais. Alors que c’était ma mère, petite fonctionnaire, qui faisait bouillir la marmite, il était en pyjama à la maison et ma mère me disait qu’il rentrait de mission secrète. Il soutenait l’OAS au moment de la guerre d’Algérie et m’a entrainé pendant deux mois pour que j’aille tuer Charles de Gaulle. Je vis là-dedans avec l’envie de l’amour d’un père, de lui plaire, et je ne comprends pas pourquoi en plus, il me frappe et me menace de m’envoyer en maison de correction."

Ne laissez jamais plus faible que vous sur le bord de la route, aidez-le, relevez-le, protégez-le.

Sorj Chalandon

Romancier, en lice pour le prix Renaudot des lycéens

L’enragé, il vient de là ?

Sorj Chalandon : "Mon père voulait que j’aille dans ce centre et quand je découvre que 56 gamins s’évadent et que l’un d’entre eux n’est pas repris, je me suis dit 'ben, c’est moi papa, je vais aller dans ton centre, je vais souffrir avec ces gamins, je vais m’évader et tu ne me retrouveras jamais.' Il faut ajouter sur la chasse à l’enfant avec une prime de 20 francs et la présence de Prévert au moment de cet événement. Son poème La chasse à l’enfant raconte cette histoire."

Si vous vous retrouvez devant des jeunes qui ont lu votre livre, qu’avez–vous envie de leur dire ?

Sorj Chalandon : "Ce sont des enfants qui ont vos âges, ils vous appellent à l’aide. Il ne faut pas que ça se reproduise. Ne laissez jamais plus faible que vous sur le bord de la route, aidez-le, relevez-le, protégez-le. Si vous laissez un plus faible que vous sur le bord de la route, c’est vous qui aurez perdu la guerre. C’est un livre moderne qui nous en met en garde pour l’avenir."

Jules, mon personnage, je l’aime parce qu’il est droit. J’ai pu faire de lui un personnage dont je suis fier, lui faire tendre la main à des adultes, alors qu’il n’avait été que face à des poings.

Sorj Chalandon

Romancier, en lice pour le prix Renaudot des lycéens

Aujourd’hui, vous êtes en paix avec votre histoire ?

Sorj Chalandon : "J’ai rencontré les bonnes personnes, qui m’ont logé, instruit, aidé. J’ai choisi d’être correspondant de guerre pour évacuer toute la violence que j’avais en moi. Après, j'ai pu devenir père.

"Jules, mon personnage, je l’aime parce qu’il est droit. J’ai pu faire de lui un personnage dont je suis fier, lui faire tendre la main à des adultes, alors qu’il n’avait été que face à des poings. J’ai pu me rendre compte par moi-même que ça faisait énormément de bien, c’est d’ailleurs le thème de mon livre. Et quand je rencontre des lecteurs, ils me parlent de leur enfance, de leurs parents. Je repars avec un cœur plus gros que quand je suis arrivé."

Que représente un prix remis par des lycéens ?

Sorj Chalandon : "J’ai déjà connu ça avec le Goncourt des lycéens. Lorsque j’ai eu ce prix, je crois que c’est celui qui m’a le plus ému, parce que ce sont des gamins qui ne connaissent pas le monde de l’édition, les enjeux, et qu’ils ne s’intéressent qu’au livre qu’ils ont lu. La différence entre les deux est que pour le Goncourt, on se présente devant les jeunes avant les votes, ce qui n’est pas le cas pour le Renaudot."

L’intérêt du Renaudot c’est que les jeunes ne voteront que pour le livre ?

Sorj Chalandon : "C’est assez formidable, le lycéen est seul avec le texte, c’est formidable, troublant et galvanisant ; c’est le livre qui compte et pas celui qui l’a écrit."

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