Témoignage. "J’ai perdu ma vie, j’ai perdu mes amis, mon travail", Cloé atteinte de Covid long depuis quatre ans

Publié le Mis à jour le Écrit par Morgane Knoll

"Je m’appelle Cloé, j’ai 25 ans et tout ce qui compte pour moi, c'est la fast-life. Je veux que ça aille vite, je veux que ça bouge, ce qui m'importe, c'est travailler, avoir des coups d’un soir, boire des verres tous les soirs, aller en soirée, voyager. Mon univers, c'est ça. Faire du 70 h par semaine, sortir et à côté de ça beaucoup de sport."

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De la fast-life au "handicap"

Depuis 4 ans, Cloé, 29 ans, est atteinte de Covid long. Une pathologie difficile à diagnostiquer, handicapante, mais non reconnue comme tel, qui ne lui offre aucune certitude de pouvoir un jour recouvrer l’ensemble de ses facultés. Accepter cette maladie puis se rééduquer, un parcours du combattant pour cette femme résiliente qui a monté depuis peu, en parallèle de son mi-temps, un média d’information en ligne.

J’étais une bonne vivante. Et BAM, du jour au lendemain, il n’y a plus de fast-life du tout.

Cloé

Atteinte de Covid long depuis quatre ans

Cloé contracte le premier variant du Covid-19 en 2020 sans ressentir de symptômes particuliers. Elle ne sait pas qu’elle est malade. Mais c’est à la suite d’une nouvelle infection, en 2021, que sa vie devient un enfer. Hyperactive et sportive, sans aucune prédisposition génétique à une maladie chronique, elle est soudainement dans l’impossibilité de sortir de son lit, dans l’incapacité totale de se lever, respirer, marcher normalement. Comme avant.

Elle perd son travail. Ses proches. Pendant près d'un an, ses journées se résument à attendre dans son lit et espérer une amélioration.

"Pour moi, c'était inconcevable. Je viens de sport-études, mon papa était malade et il ne s’est jamais plaint de sa vie. Je viens d’un univers où tu la fermes et tu fais jouer ton mental."

La Haute Autorité de santé (HAS) définit l’affection post-Covid-19 comme un ensemble de symptômes qui se manifestent au-delà de quatre semaines après la date présumée de contamination et qui ne peuvent pas être expliqués par une autre maladie. Les patients souffrent de plusieurs symptômes associés, différents d’un patient à l’autre et d’intensité inégale. Le diagnostic est long et se fait par l’élimination d’autres pathologies.

De maux de têtes à l’impossibilité de tenir debout seule

De janvier à juin 2021 elle souffre de multiples symptômes et vit une errance diagnostique.

Au tout début, Cloé cumule des symptômes bénins de type grippaux qui ne l’inquiètent pas. Migraines, fièvre occasionnelle... La deuxième semaine, elle commence à se sentir épuisée sans raison. Mais la principale gêne se trouve dans sa poitrine : "J’avais l’impression qu’un chat faisait ses griffes dans mes poumons."

Officiellement diagnostiquée positive au premier variant du Covid-19 le 13 janvier 2021, son état empire rapidement. En télétravail, elle se sent si faible qu’elle devient incapable d’écrire un seul papier, ses yeux la brûlent, elle est fatiguée et se sent ''bizarre''. Elle transpire énormément, se sent fébrile, angoissée et fait des malaises régulièrement.

Puis c’est la descente aux enfers. Elle fait dix repas par jour, mais se sent faible, commence à ressentir de vives douleurs articulaires et ne peut plus rien tenir dans ses mains. Ses émotions sont démultipliées et instables, elle n’est plus elle-même. On lui prescrit une prise de sang qui indique une hyperthyroïdie, mais les médecins, saturés, minimisent la situation au vu de son jeune âge. Ses symptômes très variables sont difficilement cernés et la prise en charge médicale, encore mal organisée.

Un matin, elle convulse tellement qu’elle ne peut ni marcher ni respirer correctement. Son rythme cardiaque est irrégulier. Le SAMU débordé par la situation sanitaire n’a aucun véhicule disponible pour venir la chercher. Elle est obligée de ramper jusqu’à sa voiture, où sa mère, incapable de l’y porter, la conduit à l’hôpital. Elle est gardée une nuit aux urgences et bien qu’elle reparte le lendemain, une endocrinologue prend son cas au sérieux.

Là, je me suis dit OK, ça va mal, mais on va me prescrire des médicaments pour réguler ma thyroïde et enfin, j'irais mieux.

Cloé

Atteinte de Covid long depuis quatre ans

Une errance médicale faute de diagnostic précis

Au-delà de l’épuisement qu’elle ressent et des problèmes déjà présents, de nouveaux symptômes s’accumulent au fil des mois. Essoufflement, palpitations, vives douleurs osseuses et pulmonaires, inflammations des yeux et de la sphère ORL, malaises répétitifs et longs, tremblements et transpiration excessive. Quand certains symptômes s’estompent, d’autres apparaissent. Toutes ses glandes sont déréglées. Elle sécrète beaucoup trop de cortisol (hormone régulant le métabolisme, l'inflammation et la tension artérielle), a des problèmes d’hypoglycémie, mais ne peut plus manger de sucre. Son corps ne régule plus sa température. Son rythme cardiaque est irrégulier. Et ses capacités cognitives se détériorent : elle a des pertes de mémoire, souffre de confusion mentale et ne peut plus se concentrer, ni écouter toute forme de musique.

Je ne pouvais pas lire de livre ou regarder des écrans, car mes yeux me brûlaient. J’avais mal partout.

Cloé

Atteinte de Covid long depuis quatre ans

« À ce moment, j’en suis au point où je ne peux plus sortir de mon lit. Ma mère me lavait les dents, je ne pouvais pas me lever pour aller aux toilettes ni me doucher. Je pouvais juste attendre que ça passe. Je ne pouvais pas m’occuper. Rien faire d’autre qu’attendre. »

Le corps médical ne peut officiellement pas diagnostiquer l’affection post-Covid-19. Et en 2021, les scientifiques pensent encore que les jeunes ne sont pas impactés de la même manière que les personnes âgées : "J’étais face à des médecins qui ne me croyaient pas, qui m’ont dit ‘il faut retourner travailler, c’est psychologique’ alors que je ne pouvais pas marcher."

C'est après plusieurs mois et de nombreux examens que l’hypothèse de l’hyperthyroïdie est écartée et celle du Covid long commence à faire son chemin. Aucun médicament ne peut lui être prescrit : il faut 'attendre que ça passe' : "Quand le médecin m’a annoncé au téléphone, car j’étais incapable de me déplacer, qu’il s’agissait du Covid-19 et qu’aucun médicament ne pouvait régler l’ensemble de mes symptômes, j’ai hurlé de détresse, impuissante face à mon calvaire."

S'adapter

Elle tente alors de se rééduquer comme elle peut avec l’aide de quelques proches, installe un système de chaises tout autour de son appartement afin de pouvoir s’asseoir en cas de malaise, essaye d’abord de rester assise plusieurs minutes, puis se force à remarcher. Elle met 6 semaines à descendre les marches de son appartement : "A 26 ans, c'est la mère de ma demi-sœur, 70 ans, qui me tient pour descendre les escaliers. C’est le monde à l’envers."

"Ce qui m’a le plus frustrée, c'est qu’on te dit ‘fais jouer le mental’. J’ai fait de la gymnastique rythmique en compétition pendant des années donc le mental, je connais. Et tu as beau faire jouer le mental, quand ton corps ne veut pas, il ne veut pas."

Après six mois, les symptômes les plus lourds s’estompent peu à peu, et les médecins lui parlent d’une rémission.

Ayant utilisé tout son chômage durant la première année de la pandémie, elle se retrouve rapidement sans moyens. Pigiste, elle n’est pas reprise dans son ancien CDD, mais doit trouver une source de revenu. Malgré l’épuisement, elle commence une alternance à la rentrée 2021, toujours dans le journalisme, monte à Paris et vit un deuxième calvaire. Celui de l’invisibilisation de sa maladie : "À Paris, quand je demandais à m’asseoir dans le bus, car j’allais faire un malaise, les passagers me riaient au nez."

Dans la tête des gens, quand ton handicap est invisible, tu es forcément faible, menteur et tu te victimises.

Cloé

Atteinte de Covid long depuis quatre ans

Dès 2023, après une deuxième hospitalisation et plus de deux ans de détresse physique et psychique, elle sort enfin la tête de l’eau et de son isolement social. Elle accepte qu’elle ne guérira pas, réapprend à respirer grâce à de la kinésithérapie, du yoga et de la sophrologie, et se fait aider par une psychologue et par quelques personnes pour son quotidien, comme ses courses.

Comme une scientifique, elle prend des notes quotidiennement sur son état afin de comprendre son nouveau fonctionnement et anticiper ses malaises et phases basses.

Bien qu’elle vive au ralenti, se pose la question de sa vie professionnelle. Elle n’a aucune aide sociale, pas de reconnaissance de sa maladie comme handicap, aucune source de revenu, pas d’arrêt maladie et a dû emprunter de l’argent afin de ne pas finir à la rue.

Là, je me suis dit, OK, j’ai tout perdu. J’ai perdu mon corps, j’ai perdu ma vie, j’ai perdu mes amis, mon travail, mon identité, j'ai tout perdu. Qui suis-je maintenant et qui ai-je envie de devenir ?

Cloé

Atteinte de Covid long depuis quatre ans

Vivre, ne plus survivre

Pour reprendre le contrôle de sa vie professionnelle et se donner une chance de ne pas être dans la précarité, elle cherche un travail à mi-temps que par chance, elle trouve dans la région, car elle ne peut pas quitter l’ensemble des spécialistes qui la suivent. Elle mobilise ses forces pour tenir les 17 h par semaine de son contrat et avec le temps y arrive, ce qui lui garantit 900 € par mois.

Mais Cloé veut vivre, pas survivre ni subir son handicap.

Elle créé donc en parallèle son média d’information généraliste Micro Canap’ : "Un clin d’œil, car ces trois dernières années, j'étais dans mon canap’ " et espère à terme pouvoir améliorer ses finances grâce à cette seconde activité.

Récemment, son Covid long a été accepté par l’Assurance Maladie comme une affection longue durée pour une durée d’un an, ce qui lui permet de ne plus avancer ses frais médicaux et pouvoir enfin recommencer la kinésithérapie.

Aujourd’hui, outre des douleurs physiques et l’impossibilité de faire du sport, ce qui est le plus dur pour elle actuellement, ce sont ses capacités cognitives amoindries. Car pour cette journaliste, s’adapter à ses pertes de mémoire et de mots, signifie ne plus exercer son métier dans les mêmes conditions. Elle ne fait par exemple aucun direct. Micro Canap’ est aussi pour cette passionnée de journalisme, un moyen adapté qui lui permet de continuer à s’informer.

Mais finalement, c'est la personne qu’elle était avant d’être malade qui reste le plus compliqué à accepter pour elle : "J’ai appris à accepter qui je suis désormais, à rester seule avec moi-même et créer de meilleures relations". Une belle leçon de résilience et d'adaptation. 

Selon une récente étude de Santé Publique France, plus de 2 millions de personnes majeures présentaient une affection post-COVID-19 fin 2022 en France. La recherche continue afin de trouver un remède à cette maladie chronique difficile à diagnostiquer. 

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