Un chirurgien du CHU de Poitiers a conçu, modélisé et imprimé en 3D un moule, lui permettant de reconstruire fidèlement le nez d'une patiente mordue par son chien.
Le 9 décembre dernier, le Dr Antoine Julienne, chef de clinique en chirurgie plastique reconstructrice au CHU de Poitiers, officiait au Centre Médico-chirurgical de Montmorillon. Son "défi du jour" était de reconstruire le nez d’une patiente, mordue par son chien. Le problème est que l’animal, décidemment joueur, a avalé le morceau de nez qui fait défaut, et avec, le cartilage qui aurait pu permettre de le remodeler.
Un prélèvement au niveau de l’oreille, "parfaitement invisible", permet de récupérer le cartilage manquant. Reste désormais à le mettre en forme, pour que ça ressemble à un nez …
"Habituellement on fait une bonne dizaine d'essais. On modèle le cartilage, on le met en place, on l’enlève pour le modifier, on refait un essai, on le retire pour le remodeler, on réessaye, on remodifie …". Mais cette fois, le Dr Julienne est venu de Poitiers avec un joker. Le CHU disposait en effet d’une image virtuelle de la patiente, réalisée à l’occasion d’un scanner, passé il y a peu pour une toute autre pathologie.
"En fait j’ai extrait les données du scanner, que j’ai ensuite utilisées pour modéliser son ancien nez en 3D. Ça m’a permis de réaliser un moule négatif, à l’aide d’une imprimante 3D". Enveloppé d’un film stérile pour pouvoir l’utiliser "en live" au bloc opératoire, ce moule a permis de positionner le cartilage prélevé sur l’oreille. "J’ai ainsi pu le remodeler, pour recréer à l'identique le cartilage nasal manquant, ce qui allait constituer la structure du nez reconstruit".
C’est un raffinement d’une technique chirurgicale existante, qui utilise l’impression 3D pour la rendre plus précise. Avant on faisait ça un peu à l’œil, en essayant de regarder de l’autre côté pour voir comment c’était fait. Alors que là c’est exactement l’ancienne narine.
Les tâtonnements qui constituaient une bonne partie de la chirurgie opérée au bloc, sont désormais réalisés en virtuel, avant. "C’est comme si on opérait un petit peu en avance, sur son ordinateur, tranquille à la maison. On va faire notre chirurgie dans le monde virtuel, pour la repasser dans le monde réel via l’impression 3D".
Le logiciel qu'adolescent, il utilisait pour les jeux vidéo
Formé à la reconstruction nasale par le biais du virtuel, à Paris à l’hôpital Tenon, le Dr Julienne n’était pas pour autant néophyte en la matière. Adolescent, sa pratique du jeu vidéo l’avait amené à investir un logiciel de modélisation 3D, Blender, pour créer des maps [des cartes] dans Counter-Strike, un jeu de tir. C’est donc tout naturellement à l’aide de ce logiciel libre, qui permet tout à la fois de faire du film d’animation, de l’architecture ou du contenu pour les jeux vidéo, que le praticien a modélisé le nez de sa patiente montmorillonnaise. "Au CHU de Poitiers on a Solid Works, une suite logicielle développée par Dassault, avec laquelle je serais probablement arrivé au même résultat, mais ça m’aurait pris beaucoup plus de temps parce que je ne sais pas l’utiliser".
A 13 ans j'apprenais utiliser Blender pour créer des maps Counterstrike. Maintenant je l'utilise en chirurgie reconstructrice. Les jeux vidéos c'est terrible. Ok Boomer Brigitte #Fortnite pic.twitter.com/WrxBiGCxUF
— Antoine Julienne (@BisousBiceps) February 5, 2021
La technologie d’impression 3D appliquée à la médecine, bien que récente, n’en est déjà plus à ses balbutiements. 5% des dentistes hexagonaux seraient déjà équipés, et à Toulouse, un chirurgien orthopédique travaille sur des prothèses de hanches sur mesures en titane, imprimées en 3D. Mais jusqu’à présent la mise en œuvre de cette technologie était confiée aux prothésistes, pour des solutions commerciales donc.
La performance réalisée par le Dr Julienne tient à ce que cette fois, tout a été réalisé au CHU de Poitiers. "Que tout soit fait en interne, c’est très rare. L’acquisition avait été réalisée il y a quelques mois sur le scanner de l’hôpital, la conception assistée par ordinateur c’est moi qui l’ai faite tout seul, quand à l’impression du moule, j’ai eu recours à l’imprimante 3D du laboratoire d’anatomie".
Le coût de la réalisation du moule s’en trouve ainsi très fortement réduit. Radicalement même, puisqu'il ne revient qu'à 50 centimes d’euros.
Des bénéfices à tous les niveaux
Mais c’est surtout sur l’intérêt médical que le Dr Julienne souhaite insister.
Ça augmente la précision chirurgicale. Du coup ça diminue d’autant le temps d’intervention et donc la dose d’anesthésiant. Les complications potentielles s’en retrouvent elle aussi diminuées, permettant ainsi de faire l’intervention en ambulatoire, alors que sinon on l’aurait probablement gardée une nuit à l’hôpital. Là c’est son fils qui l’a emmené le matin, on l’a opéré, et elle est repartie pour être le soir à la maison.
"Très emballé par la technique", le fils a d’ailleurs émis le souhait de récupérer le fichier numérique du nez de sa mère. "Etant donné que les données médicales appartiennent à la patiente, je lui ai donné le fichier 3D. Je ne sais pas l’usage qu’il en fera, mais c’est possible que ça fasse naitre des vocations".
L’usage de l’impression 3D appliquée à la médecine se développe rapidement et les réalisations en interne devraient se généraliser.
"Ça va assez vite, et je pense que dans un futur proche on pourra probablement avoir des solutions de sur-mesure développées en interne dans les hôpitaux. Il faut juste qu’il y ait des gens comme moi qui soient un peu motivés, pour partager leur savoir et sensibiliser les plus jeunes qui sont souvent les plus ouverts à ce genre de choses. Tout simplement parce qu’ils sont nés avec un ordinateur entre les mains, et que pour eux la modélisation 3D et l’utilisation des objets dans le virtuel, c’est beaucoup plus simple que pour quelqu’un de plus âgé".
Un projet de sensibilisation des jeunes praticiens devrait normalement voir le jour dès l’année prochaine. Les nouveaux internes de chirurgie et probablement d’anesthésie/réanimation seront ainsi initiés dès leur pré-rentrée, juste avant de prendre leurs fonctions. Une formation leur permettra de se faire une idée du champ des possibles, afin qu’ils puissent s’en saisir et mener des sujets de recherche sur le sujet s’ils le souhaitent.
Les technologies existent, mais les applications pratiques sont encore limitées. Notamment parce que les praticiens n’ont souvent pas les compétences nécessaires pour prendre en charge la partie conception. Or c’est souvent là que le bât blesse, parce que la conception est faite par des ingénieurs qui n’ont pas les mains dans le malade. Ils vont réaliser un très beau guide de coupe qui se révélera parfois trop large pour se glisser dans l’incision. D'autres fois c'est l’angle de vissage qui n’est pas le bon. Si c’était un chirurgien qui avait conçu la pièce, il s’en serait rendu compte et aurait anticipé ce genre de choses. C’est un peu la différence entre l’architecte et le maçon.
Ça préfigure la médecine de demain.
"On s’oriente de plus en plus vers le sur-mesure. On le voit sur les chimiothérapies et les immunothérapies : on caractérise les patients pour leur offrir une médecine qui soit adaptée à leur personne et pas la même pour tout le monde. Et comme ça s’accompagne d’une diminution énorme des coûts de santé, ces initiatives-là vont être amenées à se généraliser".