Les cloches ont résonné à la Cathédrale de Mende ; autour de leur abbé à Manduel, les hommes sont allés voter en groupe. Nous sommes en 1848, et l’obtention du droit de vote pour les hommes est vécue dans une certaine euphorie. Un siècle et demi plus tard et deux Républiques après, que reste-t-il de cet engouement ? La France, une terre dont les passions politiques furent souvent à vif, s’endort-elle dans une léthargie citoyenne ? La question vaut déjà réponse.
Pourtant, dans un champ politique dont on tarde à voir une quelconque reconstruction, il est un emblème, un symbole qui semblait échapper à cette ère de l’indifférence : la commune. Filles de la Révolution et cœur même du processus républicain, les municipalités rencontrent aussi cette forme d’éloignement sensible et affectif de leurs habitants. Pourtant, la France plus que d’autres nations –il suffit de rappeler les 36 000 communes de notre carte administrative- est terre de ces « petites nations » dont on parlait au temps de la 3ème République. Le désenchantement serait-il le lot de notre pays, une sorte de mélancolie dont le seul remède serait l’illusion d’un passé enchanteur ?
« Le devoir électoral » appartient au passé
Oui, l’on vote de moins en moins, cette expression sociétale est un marqueur des nouvelles identités. La transformation même de la fabrication de la Société. Un auteur, longtemps oublié, Tocqueville en avait dessiné l’esquisse au retour de son célèbre « Voyage en Amérique ». La « Société des Individus » allait faire son œuvre ! D’ailleurs, le philosophe contemporain, Marcel Gauchet, le souligne : »nous sommes passés d’une démocratie de masse à une démocratie des individus ».
Finies les grandes organisations encadrant les citoyens et fixant le cap d’un absolu, terminée la prégnance de l’éducation populaire (exemple : la Jeunesse Agricole Chrétienne dont furent issues bien des élites locales), jeté par-dessus bord le sentiment d’appartenance et les groupes de référence : la modernité a inventé une certaine forme de solitude qui poursuit aussi bien l’homme tout autant qu’elle frustre le citoyen.
Oui, même la commune, ce lieu de résidence et éventuelle terre d’efflorescence personnelle, ne recueille plus les suffrages. Le recueil statistique du CEVIPOF nous éclaire sur ce processus de démobilisation : en 1983, la participation est de 78,4% au premier tour, lors des dernières élections municipales de 2008, seulement 66,5% des électeurs accomplissent « leur devoir électoral ».
L’éclipse de « l’être ensemble » et de « l’agir ensemble » se reproduit aussi dans la réalité spatiale. La naissance des territoires dits archipels précipite ce mouvement : on consomme là, on travaille par ailleurs et on dort ici. L’éclatement de ces activités humaines participe à ce lien moins tenu à son « lieu ». L’urbanisme a renforcé aussi ce sentiment de solitude, avec ses zones pavillonnaires aux murs hauts et aux relations avec le centre des villages souvent peu présents. D’ailleurs, le sociologue parle d’un »Poujadisme Villageois » dont, évidemment, l’essence est protestataire.
Désabusement global, abstention locale
Dans l’horizon immédiat, tout indique un renforcement de l’abstention. Tout d’abord, un contexte national dont la multiplication des affaires et un entre-soi entre politiques –dont la mire médiatique grossit les traits- conduisent les élus à un niveau de crédit proche des politiciens de l’Amérique Latine. La croissance exponentielle des listes sans ancrage partisan et des candidats solidement implantés dans des appareils politiques mais ne plaçant aucun logo sur les documents de campagne traduit cet état de fébrilité.
Par ailleurs, l’effacement de l’Etat-Providence et la mise à mal de ce goût si prononcé des Français pour l’égalité et l’émancipation redoublent la défiance offerte aux politiques. La non-participation est une manière de dire une protestation ; elle s’en trouvera renforcée.
Sur le plan local, la campagne a été morne, sans relief dans la plupart des cas. Peu de documents, parfois pas de controverse, l’agitation n’a concerné, semble-t-il, que les entourages immédiats des listes. Ce caractère affadi s’explique par un double phénomène : la prégnance de la proximité, nouveau sésame du politique, face aux idéologies démonétisées et le resserrement des finances publiques interdisant toute promesse pharaonique. Le contribuable est las de sa facture fiscale. D’ailleurs, ce fut là un argument bien partagé par tous les candidats, quelque soit leur position sur l’échiquier politique. Ainsi, bien souvent, un sentiment que les programmes des « grands candidats » sont interchangeables et que rien ne contribuera à modifier la vie quotidienne. Le désenchantement semble s’emparer de tous les échelons de la vie politique.
En effet, il sera intéressant de noter le niveau de participation dans les villes comprises entre 1000 et 3500 habitants. Bien sûr, l’abstention sera moindre ici parce que le rôle de la municipalité et l’interconnaissance individuelle y tiennent une place bien plus grande qu’en ville ou dans le peri-urbain. Toutefois, le changement de la loi électorale –son but : obliger à la parité sexuée- supprimera le délice du panachage. Elle retire un droit de co-écriture ou de co-création donné aux citoyens et renforcera le caractère « présidentialiste » du maire, dont, de manière régulière, le nom était plus raturé sur les listes. Là aussi, il n’est pas insensé de penser à une hausse de l’abstention, certainement plus modérée qu’en secteur urbain.
De toute façon, ces élections municipales marqueront, par l’abstention, l’impuissance concédée aux politiques et l’autisme des pratiques partisanes dans les appareils. Un monde las, d’individus sans repère. « On aimait l’or parce qu’il donnait le pouvoir et qu’avec le pouvoir on faisait de grandes choses. Maintenant, on aime le pouvoir parce qu’il donne l’or et qu’avec cet or on en fait de petites » déclarait Le Maître de Santiago de Montherlant. Une résonnance bien contemporaine dans un monde désabusé, même au village…
Toute l'information