C'est un globe-trotteur de la médecine. Fraîchement diplômé, Martial Jardel s'est organisé un tour de France des remplacements, pour voir l'exercice de la médecine générale dans sa diversité. Avec son camping-car et sa moto, il aura travaillé dans 11 départements. Nous l'avons rencontré en Ariège.
"Ah, vous êtes revenus voir le Docteur?!"
Devant la maison de santé de Lézat-sur-Lèze, en Ariège, les gens se sont habitués aux caméras. Il faut dire que le Docteur Jardel a sa petite dose de célébrité. France 2 avec Envoyé Spécial, les stations régionales de France 3, France 5, TF1... les médias s'intéressent à juste titre à son aventure médicale et humaine.
Le tour de France des cabinets
Après 9 ans d'études de médecine, ce jeune diplômé originaire du Limousin aurait pu reprendre le cabinet de son père sur le point de partir à la retraite. Mais à 30 ans forcément, on rêve de découvertes plus que de certitudes. « J’ai fini mes études, je suis libre ! Tout est ouvert, dans la médecine générale il y a beaucoup de demandes, c’est un métier que je peux exercer partout… C’était évident pour moi d’aller voir plusieurs départements. »
Diplômé en 2020, il commence à caler tout ça. Il propose ses services sur les réseaux sociaux.
Rapidement le carnet se remplit. « J’ai organisé ça sous forme de 15 jours dans un département pour ne pas faire 2 jours par ici, 2 jours par là. En fait, ce sont les médecins qui se sont adaptés à mon organisation en prenant leurs vacances au moment où je pouvais les remplacer. »
Il se donne 5 mois pour cette expérience ; 5 mois aussi pour découvrir les territoires et voir où il aimerait bien exercer plus tard. Son long périple débute le 22 mars dans le Cher. S’en suivent la Meuse, le Morbihan, Jura, Nord, Landes, Haut-Rhin, Manche et Ariège où il se trouve depuis la semaine dernière. Avec à chaque fois des découvertes.
« Les patientèles sont différentes. Dans le Jura, c’est un population plus rustique sans que ce soit péjoratif. La densité de population est moins importante et les rapports plus conviviaux. Dans les Côtes-d’Armor, les gens sont fiers, dans le sud-ouest comme ici en Ariège, la population est extrêmement accueillante, avec beaucoup de bonhomie. Il y a aussi la Manche où je me rendais à reculons et où j’ai été agréablement surpris. »
Vendredi soir, le Limougeaud repartira de l’Ariège pour aller dans le Vaucluse. Dernière étape : la Corse, un département qui lui tenait à cœur et qui clôturera son tour de France.
La galère des médecins pour trouver un remplaçant
A la maison de santé de Lézat-sur-Lèze, Martial Jardel remplace une consœur qui fait partie d’un cabinet médical où se trouve aussi Nicolas Roussel. Quand il s’est installé dans cette ville ariégeoise de 2.300 habitants, il était le seul généraliste. Il connaît les difficultés pour trouver un remplaçant pour assurer la continuité. « Je crois qu’on ne va pas laisser repartir Martial ! On va trouver quelque chose pour trafiquer le camping-car ou mettre des barbelés ! »
Une plaisanterie bien-sûr mais qui en dit long sur les galères des remplacements en zone tendue. 8 ans qu’il est installé et il n’a jamais vu de remplaçant itinérant comme Martial.
« En France, il y a une grosse pénurie de remplaçant, encore plus cet été où certains sont mobilisés pour la vaccination. Quand on veut prendre des vacances, il faut s’y prendre 6 mois à l’avance et on ne choisit pas ses vacances. Du coup, on essaie de lui offrir des conditions idéales. » Le Dr Roussel ne prend aucun pourcentage sur les honoraires de son remplaçant qui peut aussi bénéficier d’un logement de fonction dans la maison de santé.
En France, aucun service de remplacement structuré n’est prévu. Grosse galère en perspective quand on se trouve en zone rurale dans les déserts médicaux. « J’ai eu 3-4 confrères qui m’ont appelé en pleurs, au bord de l’épuisement pour que je vienne les remplacer» confie Martial Jardel.
Une association pour un service de remplacement et bientôt un livre
Dans son camping-car loué chez un concessionnaire limousin, Martial Jardel retrouve ses repères. « Je fais mon tour de France et le camping-car me permet de me sentir chez moi. C’est très important. Le camping-car rajoute une dose d’aventure avec un point fixe. Un petit côté baroudeur mais de luxe ! »
La démarche du Dr Jardel est toujours réfléchie. Rien n’est laissé au hasard. Sa moto rangée dans la soute du véhicule lui permet d’aller visiter les territoires en quête d’aventures humaines. « C’est l’occasion rêvée de multiplier expérience et d’avoir un large panel des choses très concrètement. Aujourd’hui, je sais ce qu’est une maison de santé pluridisciplinaire, je connais la variété d’exercice de la médecine générale, soins infirmiers, les relations médecins-pharmaciens. On cherche toujours des recettes miracles mais là où ça marche, ce ne sont pas des solutions légales mais des histoires humaines qui fonctionnent bien. »
Toutes ces connaissances empiriques personnelles, il veut désormais les rendre collectives. « Ca m’a beaucoup apporté, énormément enrichi. Ce serait dommage de ne pas continuer en incitant les jeunes médecins à faire l’expérience de la mobilité. Ce genre de projet n’est profitable que s’il est structuré et global. »
A 30 ans, il veut monter une structure associative pour récolter des financements publics et proposer à des jeunes médecins une allocation logement qui leur permette d’exercer dans des conditions optimales. Un service qui pourrait prendre à sa charge les démarches administratives, des locations attractives dans des Airbnb ou chez l’habitant pour se sentir mieux que dans un logement de fonction impersonnel juste au dessus de son lieu de travail.
Il ne sait pas encore où et quand il posera son stéthoscope et son tensiomètre pour ouvrir son propre cabinet. Pour l’heure, il a juste envie de consigner tous ces beaux souvenirs d’aventure humaine dans un livre.