Le grand public a tendance à oublier son nom. Mais pour le monde des mathématiques, Alexandre Grothendieck est l'une des figures les plus importantes du XXe siècle. Allemand d'origine puis naturalisé français, il finira ses jours isolé dans un petit village d'Ariège. Ses manuscrits, restés inconnus de longues années, intègrent la Bibliothèque Nationale de France.
Des dizaines de milliers de pages de manuscrits. Essentiellement, les recherches mathématiques mais aussi de théologie, de la philosophie, de l'astrophysique... Voilà les dernières acquisitions de la Bibliothèque Nationale de France. Des documents exceptionnels, tous retrouvés chez un homme, Alexandre Grothendieck.
En héritage, le mathématicien laisse derrière lui 100.000 pages, le travail d'une vie. La moitié d'entre elles va donc être collectées, numérisées et proposées à la consultation par la BnF. L'autre moitié, d'après Libération, aurait été vendue à un mystérieux milliardaire américain, mais le sujet semble tabou chez les institutions chargées du dossier.
Si ces archives attirent les convoitises, c'est parce que leur auteur est considéré comme l'un des plus grands mathématiciens du XXe siècle. Alexandre Grothendieck est l'un des pionniers de la géométrie algébrique, un domaine liant à la fois les sciences de l'espace et les équations mathématiques. L'un des hommes les plus brillants de son temps, devenu, à la fin de sa vie, un ermite reclu dans le petit village de Lasserre, en Ariège.
Une intelligence remarquable
Né en 1928 à Berlin, Alexander Grothendieck de son vrai nom, grandit en Espagne, puis en France, pendant la Seconde Guerre mondiale. Son père, un juif d'origine russe, est déporté puis assassiné à Auschwitz. Alexander (devenu plus tard Alexandre) est interné dans un camp de concentration près de Mende avec sa mère.
Après la guerre, il entreprend des études de mathématiques à l'Université de Montpellier. Il se révèle un élève brillant.
Plus tard, il dirige un institut spécialement créé pour lui, l'Institut des Hautes études scientifiques, à Bures-sur-Yvette. Là, il développe sa vision de la géométrie algébrique.
En 1966, il remporte la médaille Fields (équivalent d'un prix Nobel pour les mathématiques). Mais il refuse de se rendre en Russie pour récupérer son prix.
L'habitant le plus secret d'Ariège
Petit à petit, le mathématicien va se démarquer par son engagement en matière d'écologie, très influencé par le mouvement hippie. En 1990, à sa retraite, il tourne le dos à sa famille (il était père de cinq enfants), ses collègues, ses amis, pour s'installer dans une maison de Lasserre, un petit village d'Ariège. Il en deviendra l'habitant le plus prestigieux, et paradoxalement, le plus secret.
A sa mort en 2014, des journalistes de France 3 Midi-Pyrénées s'étaient rendus à Lasserre pour tenter d'en apprendre plus. La tâche s'avèrera difficile. "Nous on ne le voyait jamais, s'avance un premier habitant. Il vivait en ermite."
C'est à la nuit tombée qu'Alexander Grothendieck se laissait le plus souvent apercevoir, à travers la fenêtre de son bureau. Le jour était le temps de la méditation, la nuit, celui du travail.
Tout un hiver sans toit
Si aucun des 200 habitants de Lassere n'a pu établir de contact, certains ont des histoires à raconter, parfois surprenantes. "Une année, sa maison a brûlé. Il est resté tout l'hiver dans sa chambre, alors qu'il n'y avait plus de toit. Il regardait les étoiles", se souvient un voisin.
Le maire aussi, se rappelle de cet incendie. Alain Bari assure que le mathématicien reclus avait même refusé l'intervention des pompiers. Misantrophe jusqu'au bout. L'édile a d'ailleurs tenté en vain de nouer le dialogue, mais il a reçu une lettre de l'ermite, précisant qu'il "ne voulait avoir de contact avec personne et d'aucune nature qu'elle soit professionnelle, officielle ou privée".
Y'en a un qui a dormi dans une tente pendant une semaine pour essayer de lui parler
Un habitant de Lasserre
Mais dans le monde des mathématiques, personne n'a oublié le français d'adoption. Des admirateurs du monde entier viennent à Lassere, en pèlerinage, pour tenter d'approcher, et de communiquer avec cette figure scientifique du XXe siècle. Rien n'y fera.
"Des chinois, des japonais, des américains..., se rappelle un voisin. Y'en a un qui a dormi dans une tente pendant une semaine pour essayer de lui parler. Il n'a jamais réussi."
Une vie de solitude qui s'achèvera le 13 novembre 2014, à l'hôpital de Saint-Girons.
Un trésor de papier
Neuf ans après sa mort, ses notes, ses recherches, ses pensées vont donc être en partie rendues publiques grâce à la Bibliothèque nationale de France. Des correspondances ont aussi été retrouvées, avec d'autres scientifiques, ou le président de la République de l'époque, Jacques Chirac. Un carnet, regroupant les noms de 76.000 juifs déportés pendant la Shoah a également été mis au jour.
Mais les plus de 50.000 pages de manuscrit restantes, vendues par les enfants de Grothendieck à un discret milliardaire, resteront un mystère.