Aymeric a choisi de devenir paysan et de pratiquer une agriculture respectueuse de l'animal et de l'homme. Il élève des cochons de race ancienne le Mangalitza en Ariège. Un métier contraignant exercé avec conviction.
C'est l'histoire d'une reconversion professionnelle, celle d'Aymeric Voisin qui s'est installé avec sa famille en 2018 au lieu-dit le Moulin de l'Estanque pour être paysan. Je l'ai rencontré en avril dernier pour préparer le tournage qui s'est déroulé le mois suivant. Il faisait froid et le relief ariégeois était recouvert d'une fine neige. Aymeric m'a offert un café et a commencé à me raconter son parcours.
Auparavant, Aymeric était réalisateur en vidéo dans le milieu de la mode et de la publicité. Un changement de vie radical, qui s'est concrétisé au fil du temps et des expériences dans le monde agricole.
Aymeric a fondamentalement envie de donner du sens à ses actes et à sa vie familiale. Aymeric parle de résilience, essayer d'être moins consommateur, redevenir producteur pour diminuer son impact, son "empreinte carbone" et tendre vers une relocalisation des productions. Se nourrir et nourrir les autres en devenant paysan est une des voies possibles mais dont le cheminement est semé de difficultés. La démarche d’Aymeric est globale, respectueuse de l’animal et de nos congénères.
Paysan-éleveur un métier fondamental mais difficile
Il y a eu la difficulté de trouver le lieu pour développer son activité de paysan. Deux ans ont été nécessaires pour la recherche et l'acquisition d'un terrain avec une habitation " le moulin de l'Estanque" situé au fond d'un vallon sur la commune d'Esplas de Sérou et de Rimont en Ariège. De l'ombre, de l'eau, un bâtiment ancien, beaucoup de charme et de quiétude mais un lieu qui se mérite au quotidien, qui est dur à gérer. Les pentes abruptes qui accueillent les parcs des cochons, qu'il faut gravir quotidiennement pour soigner les animaux. La végétation foisonnante qu'il faut canaliser surtout au printemps. Lorsque je suis revenue avec l'équipe de tournage la nature était luxuriante autour du moulin. La nouvelle herbe et les jeunes feuilles des arbres laissaient passer la lumière créant une ambiance féérique.
Aymeric trouve dans la pratique de cette activité agricole, ce qui est essentiel dans une vie professionnelle, comme se réapproprier les savoir-faire : construire un couloir pour canaliser les cochons par exemple en se servant des arbres de la propriété, des châtaigniers, pour construire sur place la structure. Cela prend du temps, demande de l'ingéniosité mais évite l'achat d'un couloir en acier galvanisé et contribue ainsi a diminuer son empreinte carbone.
C'est une philosophie de vie.
La difficulté c'est un bénéfice ... trouver les solutions, avancer, faire face, c'est un truc que je trouve très gratifiant en fait
Aymeric Voisin éleveur de porcs Mangalitza
Des propos à entendre dans le reportage qui suit et qui relate le parcours d'Aymeric.
Le choix d'élever des cochons rustiques une voie d'exception
La filère porcine en Occitanie compte 650 éleveurs et si le bien-être animal semble être une des préoccupations actuelles au même titre que les questions environnementales, dont la pollution générée par l’élevage intensif, en milieu clos, le type d’élevage ancestral, traditionnel, reste minoritaire.
On dénombre quelques élevages de porcs gascons « noir de Bigorre » et quelques éleveurs de Mangalitza, cochons laineux, une race rustique hongroise que quelques éleveurs ont développé en Occitanie.
Aymeric fait partie de l’un d’eux et pratique le sylvo-pastoralisme, c'est-à-dire qu'il élève des cochons laineux en plein air au milieu de la forêt de châtaigniers. Sa rusticité et son alimentation naturelle donne à la viande une saveur incomparable.
Pour que nous puissions les filmer, Aymeric nous a amené à la rencontre des cochons. Il s'agit bien d'une rencontre avec une technique d'approche dont la discrétion et la retenue sont nécessaires. D'abord on les aperçoit, masses mouvantes entre les troncs et les branchages qui jonchent le sol de la forêt. On est médusé par la physionomie de cet animal, qui navigue au gré de son groin dans le bois. Quand notre présence est remarquée, ils hésitent, nous jaugent puis se montrent curieux et gourmands! L'arrivée d'Aymeric est souvent synonyme de nourriture!
Le fait que cela soit des animaux rustiques tu as plein de bénéfices à plein de niveaux, santé, organisation sociale, au niveau de l'éducation des petits, de la reproduction, des mises bas, et après tu as des inconvénients : ils sont intelligents!
Aymeric Voisin
Elever des cochons de race rustique en pleine nature est un métier de patience, le temps naturel de croissance est respecté et il faut deux ans pour que le cochon atteigne un poids de 130 KG. C'est à ce stade qu'il pourra être abattu.
Ces cochons ont besoin d'espace pour s'épanouir et croître, et les femelles sont peu prolifiques. La viande est donc rare mais d'une saveur unique et de qualité, avec du bon gras contenant les fameux oméga 3 si nécessaire à notre organisme.
Le choix de la vente directe
De l'élevage fermier qu'Aymeric pratique, découle une commercialisation en circuit court de sa production. De la viande fraiche est proposée aux particuliers en Ariège et à Toulouse. La renommée de son élevage et la qualité de sa viande ont aussi séduit des restaurateurs parisiens. Chaque mois il informe les clients via les réseaux sociaux de l'abattage d'une bête. Chaque personne intéressée réserve son colis, qui est ensuite acheminée à domicile ou en point retrait à Toulouse. Une charge de travail supplémentaire dans l'emploi du temps déjà fort rempli de l'éleveur. La commercialisation d'un produit agricole est une des facettes du métier de paysan trop souvent ignorée.
Si Aymeric ne cherche pas le rendement à tout prix, la situation économique actuelle, avec l’envolée du prix des céréales et des carburants, le contraignent à revoir le mode d’élevage. Il ambitionne de réorienter sa production et de s’en tenir à de l'élevage de cochons de lait moins onéreuse. Le jeune porcelet de moins de 15 kg nourri seulement du lait de sa mère, est alors abattu quand il a environ six semaines pour être cuit entier.
La finalité de tout élevage à des fins bouchères est une dure réalité tant au niveau économique qu'au niveau sentimental. Aymeric ne tarie pas d'éloges sur l'intelligence de ses cochons, et son attachement à ses bêtes est perceptible. Il ne se lasse pas de les observer et d'apprendre à mieux les connaître. Avec le temps Aymeric commence à comprendre ce qu'ils expriment par les variations de leurs grognements.
Dans le reportage suivant, nous vous proposons une immersion totale : Aymeric au milieu des truies et de leurs petits. Il ne se lasse d'évoquer les qualités du cochon Mangalitza.
Rencontrer Aymeric, c'est rencontrer un homme lucide, qui s'interroge sur le sens de son métier de paysan et qui nous permet de saisir l'importance majeure du rôle que nous avons en tant que consommateur. Nos achats sont déterminants pour pérenniser et valoriser une agriculture qui s'intègre aux paysages occitans, maintient une diversité génétique animale, et favorise l'installation de nouvelle population dans ces contrées trop souvent en déshérence.