Entendu comme témoin lundi matin, l’ex-patron des renseignements intérieurs toulousains a suscité l'émoi des parties civiles : il a révélé que Mohamed Merah était sur une liste de suspects dès le 15 mars 2012, après l'attentat de Montauban et avant celui de l'école juive.
Mohamed Merah aurait-il pu être stoppé plus tôt ? La question, 5 ans et demi après les faits a quelque chose de presque dérisoire et pourtant elle est un élément de souffrance supplémentaire pour les familles de victimes.
L’ancien directeur (aujourd’hui retraité) des services de renseignements intérieurs de Toulouse n’a pas mâché ses mots lundi matin devant la Cour d’assises spéciale qui juge les complices présumés du terroriste toulousain.
A plusieurs reprises, il a décrit les couacs des services de renseignement, sans pour autant en tirer des conclusions sur la possibilité de stopper les attentats si ces erreurs d’appréciations des services centraux du renseignement intérieur avaient été évitées. Et affirmé que ses services, tenus à l'écart de l'enquête pendant les attaques, auraient pu identifier Merah plus tôt.
Merah identifié dès le 15 mars ?
L'ancien policier a expliqué, très ému, qu'il a été, malgré son déplacement à Montauban dès le 15 mars, le jour de l'assassinat des deux militaires, tenu à l'écart de l'enquête. Ses services n'ont pas pu visionner les images des caméras de surveillance, l'enquête étant alors verrouillée par la police judiciaire. Répondant à Maître Carole Masliah, avocate de la partie civile représentant l'école Ohr Torah de Toulouse, il estime aujourd'hui qu'il aurait été possible, en raison de sa silhouette notamment, d'identifier alors Mohamed Merah "à 60 %". C'est à dire 4 jours avant la tuerie de l'école juive.Ses services n'ont malheureusement pu avoir accès aux images qu'après le lundi 19 mars et l'attentat de l'école. Le mardi 20 mars, ses agents identifient alors Merah "à 80 %".
En cas d'attentats, plus on échange les infos au plus près des attaques et plus vous avez de chances de détruire l'ennemi. La réforme de 2008 avait tout bureaucratisé".
Le nom de Mohamed Merah sur une liste de suspects dès le 16 mars
Il y a ensuite, le lendemain de la tuerie de Montauban le 15 mars 2012, cette liste d'une douzaine de nom de jihadistes locaux, dont Mohamed Merah, établie par les services locaux de renseignement. Le directeur régional la transmet en central à Paris mais la direction nationale penche alors pour la piste de l’extrême droite. Il rappelle le samedi 17 mars et attend la réponse. Mais le dimanche 18 mars son téléphone ne sonne pas. Le lendemain matin à 7h55, c’est la tuerie de l’école juive.
A noter que l'ex-policier a refusé de dire devant la Cour si le nom d'Abdelkader Merah figurait sur cette liste. La pièce n'a en effet pas été déclassifiée et tombe sous le secret défense.
Un "mensonge d'Etat" selon les parties civiles
Les avocats des parties civiles ont remercié l'ancien policier pour sa franchise mais ont surtout fustigé l'Etat qui n'a pas déclassifié tout les documents. C'est "un mensonge d'Etat" indique Maître Patrick Klugman, avocat de la famille Sandler. Maître Morice, avocat de la famille Legouad, en appelle "au président de la République pour déclassifié les documents liés à cette affaire".
Pour les parties civiles, si les policiers locaux avaient été écoutés, il y avait une chance d'arrêter Mohamed Merah avant la tuerie de l'école juive.
Paris veut recruter Mohamed Merah comme informateur
Il y a aussi la note du 21 février 2012, quelques semaines avant les attaques. Ce jour-là, après avoir “débriefer” quelques mois plus tôt Mohamed Merah pendant 2 heures 30 à Toulouse à son retour du Pakistan, les experts de la direction centrale parisienne estiment non seulement que l’homme n’est pas dangereux mais insistent en plus sur son caractère “ouvert et voyageur” pour demander aux agents toulousains de mesurer sa fiabilité afin de tenter de le recruter comme informateur.C'est un peu comme si médecin généraliste j'envoyais un client à un cardiologue pour des problèmes coronariens et qu'il me le renvoit en disant qu'il n'y a rien mais "voyez quand même"
Le directeur régional et son équipe sur le terrain "refusent catégoriquement". Cependant, à ce moment-là la surveillance de Mohamed Merah est desserrée.
Le rôle d'Abdelkader Merah est central selon l'ex-policier
Quant à Abdelkader Merah, dans les radars du renseignement intérieur depuis 2006, il avait selon l’ex-policier “vocation à devenir un émir, un sachant, pour devenir un homme ayant l’ascendant religieux sur le reste du groupe”.Pour lui, il a un rôle central :
Les attentats de Toulouse et Montauban sont le fruit d'un projet collectif dont Abdelkader Merah fait partie, c'est une conviction, je n'en ai pas la preuve, et dont Mohamed Merah était le bras armé.
Pour l'ex-policier, lors de son long séjour au Caire entre mars 2009 et février 2011, Abdelkader Merah aurait été en contact avec toute une partie du clan, Essid, Clain et évidemment son frère Mohamed.