"Soit vous payez, soit on coupe" l'électricité : la situation intenable de boulangers face à des factures exorbitantes

Alors que le bouclier tarifaire mis en place par l’État va progressivement disparaître à partir du 1er août, des commerçants sont déjà en grande difficulté face aux prix de l’électricité. Dans l’Aude, deux boulangers ont reçu des factures de plusieurs milliers d’euros qui les mettent en grande difficulté.

Alors que sa femme accueille les derniers clients de la journée derrière le comptoir, Jean-Philippe François s’affaire dans son laboratoire en arrière-boutique pour préparer la pâte de son pain du lendemain. Ce boulanger originaire du Vaucluse s’est installé il y a quelques années dans le petit village d’Alaigne, 350 habitants, considéré comme une zone rurale à revitaliser dans l'Aude. 

Un rattrapage de 10 000 euros

Dans sa boulangerie, La cigale et le fournil, tout est fait maison et une partie épicerie met en avant des produits locaux. Seulement, Jean-Philippe François n’est pas sûr de pouvoir continuer bien longtemps.

En cause, la hausse des tarifs de l’électricité, qui prennent cet artisan à la gorge. Même s’il "fait très attention" à sa consommation, en n’allumant qu’une partie de son four à pain ou en veillant à éteindre sa chambre de pousse dès que ses croissants ont bien levé, le boulanger a reçu une mauvaise surprise par la Poste de la part d’EDF, son fournisseur.

"Certes, je ne suis pas éligible au bouclier tarifaire de l’Etat, mais je pensais payer 1 200 euros d’électricité par mois. Là, je me retrouve avec 2 000 euros par mois à payer, plus un rattrapage de 10 000 euros sur les cinq premiers mois de l’année. Mais je ne peux pas les payer, je n’ai pas la trésorerie !"

"Soit vous payez, soit on coupe"

Le boulanger tente de comprendre et échange avec EDF pour trouver des solutions face à ces sommes colossales à régler. "Ils m’ont proposé de payer en six fois, en plus de 4 000 euros au départ et des factures en cours, ce qui me ferait des mensualités de 3 500 euros. Je ne peux pas !", s’insurge l’artisan. Le fournisseur l’accuse alors de ne pas vouloir payer ses factures. "Je leur ai répondu, ce n’est pas que je ne veux pas payer, c’est que je ne peux pas !, se défend-il. Puis ils m’ont dit : soit vous payez, soit on coupe."

Jean-Philippe François songe maintenant à se tourner vers le tribunal de commerce pour "voir ce qu'il est possible de faire" et trouver une solution pour se sortir de cette impasse. "Je ne me verse pas de salaire depuis le début de l’année, et je ne peux pas augmenter mes prix… On l’a déjà fait et on a perdu des clients, qui m’ont dit qu’ils iraient plutôt acheter leur pain au supermarché", souffle le boulanger, qui craint de finir par devoir mettre la clé sous la porte.

Une perte pour la commune

Dans la boutique, les clients s’émeuvent du sort de leur commerçant de proximité. "C’est vraiment triste ce qui se passe", regrette une habitante, tandis que l’adjoint au maire, venu lui aussi acheter sa baguette, souligne une perspective "un peu tragique" pour le village si la boulangerie venait à disparaître. "C’est le seul commerce local, c’est un lieu dans lequel les gens viennent et se rencontrent… Pour nous, c’est quand même préoccupant", appuie l’élu.

"J’ai vu une cliente ce matin, qui s’est mise à pleurer en me disant que ce n’est pas possible, qu’ils ne peuvent pas faire ça", témoigne dans l’arrière-boutique l’épouse de Jean-Philippe, qui réalise des tournées le matin pour apporter du pain aux habitants des villages alentour. L’artisan, lui, regrette qu’EDF lui applique des tarifs "trop importants" - 23 centimes d’euros le kilowatt/heure – et aimerait que le fournisseur "prenne moins d’argent aux petites entreprises" et plus aux gros industriels. "C’est comme prendre l’ISF à quelqu’un qui touche le RSA", conclut-il.

Contacté, EDF assure regretter que des petits commerces comme celui-ci soient mis en difficulté par les tarifs élevés, mais rappelle que ses prix sont indexés sur ceux du marché et que l’entreprise ne peut pas vendre à perte. De plus, le fournisseur explique qu’il y a eu, durant les trois premiers mois de l’année, une absence de facturation des commerces pour prendre en compte les mesures gouvernementales, comme le bouclier tarifaire, et éviter d’envoyer des factures erronées. Un rattrapage s’est ensuite imposé, qui expliquerait, selon EDF, les sommes très importantes demandées à certains commerces, comme les 10 000 euros que doit payer le boulanger alaignois.

Coupure de courant et marchandise à la poubelle

À quelques kilomètres de là, dans le village de Montréal, les explications du fournisseur français ne satisfont pas Christian Doumerc, gérant de la boulangerie Pain des lys. Installé dans cette commune de 2000 habitants depuis 2018, l’artisan a lui aussi reçu des factures exorbitantes : EDF lui réclame 9 042 euros pour la période de mars à juin. Pourtant, il est éligible au bouclier tarifaire. "Je devais avoir une hausse de 15% maximum sur les prix, mais aujourd’hui, mon tarif a été multiplié par 4, et personne n’est capable de me donner une explication, déplore le boulanger. On se sent vraiment lésés. Aujourd’hui, c’est impossible pour moi de sortir cette somme de ma trésorerie."

L’artisan a échangé plusieurs courriers avec son fournisseur, pour tenter de comprendre et de négocier. Il a fini par recevoir une lettre lui indiquant que sans paiement de sa part, le courant lui serait coupé. "Et c’est ce qui s’est passé le jour J, à 9h du matin, pas une minute de plus ni de moins, raconte Christian Doumerc. On n’a pas pu faire de production, une partie de la marchandise a été détruite, et on a aussi perdu de la clientèle ce jour-là, puisque rien ne marchait. On ne peut pas fonctionner sans électricité !"

Après une journée entière passée au téléphone, EDF accepte de remettre le courant et d’échelonner le paiement. Mais là encore, le boulanger se sent floué par son fournisseur. "Ils m’ont dit 'On a réussi à réduire votre tarif' mais en réalité, ce n’est pas ce qu’ils ont fait. Ils ont réduit d’un mois la facture, qu’ils m’ont reporté sur la suivante ! Et on a eu la surprise en recevant la facture d’après", fulmine l’artisan.

Une somme de 9 000 euros qui, au bout du compte, doit être payée. Mais par quels moyens ? "Franchement, je n’en sais rien, soupire Christian Doumerc. Je ne sais pas." "Augmenter les prix, c’est un fait, mais je vais perdre de la clientèle. C’est de l’argent qui ne rentrera pas et si je ne fais pas rentrer l’argent, je vais devoir mettre l’entreprise en liquidation. Ça mettra encore des gens au chômage, ça mettra un commerce de moins dans un village… Mais à un moment donné, on ne pourra plus. On n’aura plus le choix."

Écrit par gentiane Goubet. 

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