Pendant cinq ans, elle a été la confidente d'Arnaud Beltrame, exécuté par un terroriste à Trèbes le 23 mars 2018. Stéphanie Vinot raconte le gendarme mais surtout l'homme. "Il avait en lui de sauver les autres, de porter secours, d’être là pour protéger."
Ils se sont rencontrés à Avranches, dans la Manche, à la fin de l'été 2010. Arnaud Beltrame venait de prendre le commandement de la compagnie de gendarmerie. Elle, était journaliste au bureau de France 3. "On échange nos cartes, il veut travailler avec les medias. Un premier contact simple."
Il avait à coeur de mettre en avant le travail de la gendarmerie
Stéphanie Vinot est appelée à suivre une opération de gendarmerie, en coeur de ville. "Je remarque un homme très enthousiaste, très volontaire et très demandeur nous concernant. J'ai très vite compris qu'il avait à coeur de mettre en avant le travail de la gendarmerie. Il voulait faire savoir que les gendarmes étaient présents. Et le faire savoir auprès des gens, c'était forcément en passant par les médias."
Confidents
Deux ans et demi de relations professionnelles journaliste-gendarme vont passer. "Et puis un jour, il arrive au bureau, sans prévenir, vers 17h. Comme ça, une visite de courtoisie. Et il a fini par me parler de lui, tout simplement. A me raconter qu’il avait le goût de la marche, qu’il aimait être seul, aller en forêt, qu’il avait cet amour de la nature. J’étais une grande randonneuse à l’époque. On a commencé à se tutoyer. Et puis il finit par me dire : "je fête bientôt mes 40 ans, tu veux venir ?" J’ai dit oui. Le début de cinq ans d'amitié."
Arnaud, était un grand énergique qui parlait beaucoup, très volubile, speed avec un franc parler
"Arnaud, était un grand énergique qui parlait beaucoup, très volubile, speed avec un franc parler. Je me suis un peu reconnue," explique Stéphanie. "A partir du moment où nos vies professionnelles se sont séparées géographiquement en 2014 (lui est parti à Paris et moi à Clermont-Ferrand), qu’il n’y avait plus cette relation journaliste-gendarme, nous sommes devenus les confidents l’un de l‘autre. On avait besoin l’un de l’autre. On se comprenait. Il avait toujours de bons conseils. Il me disait « je te connais bien, il te faut ça et ça. Il avait toujours raison. J’ai toujours écouté ses conseils.
Une quête spirituelle
"Arnaud m’a très vite parlé de sa quête spirituelle, de son engagement dans la foi catholique. C’est devenu notre principal sujet de conversation, le fondement de notre amitié. On s’appelait sans arrêt pour savoir où on en était. Il avait la conviction que ce monde n’était pas que matériel.
Etre au service de l’autre
C’est quelqu’un qui ne pouvait pas se contenter du quotidien. Pour lui, il y avait quelque chose de plus grand au dessus de nous. Le message évangélique dit "aimer vous les uns les autres comme je vous ai aimé". Il s’y retrouvait et cela confortait sa mission de gendarme : être au service de l’autre. Il avait en lui de sauver les autres, de porter secours, d’être là pour protéger. Arnaud était un protecteur.
Il était totalement dévoué, le soucis que tout soit en ordre, que les gens vivent bien. C’était en lui. Il avait besoin de protéger l’autre. Il y avait une telle sincérité qu’il en était touchant."
La patrie avant la famille
Pour Arnaud Beltrame, la patrie passait avant la famille. "Un jour il m’a raconté tout son parcours militaire et il a fini par me dire : "tu vois aujourd’hui, je suis chez les gendarmes mais si je suis amené à retourner dans une unité combattante, j’irais tu sais. Je retournerais me battre et ça mettra peut-être ma vie en jeu".
Je lui dis : "mais un jour, tu auras une famille, des enfants, tu ne feras pas ça." Il me répond : "si, même avec une famille, même avec des enfants, je le ferai".Je retournerais me battre et ça mettra peut-être ma vie en jeu
La blessure de sa vie
L'école de guerre est la voie royale pour devenir Général. Mais Arnaud Beltrame échoue concours. Plusieurs fois. Ce sera la blessure de sa vie. "Cela a été très difficile à vivre pour lui car il rêvait vraiment de grimper dans la hiérarchie. Pas par ambition personnelle mais c’était toujours dans l’idée de servir et selon lui, on sert mieux si on grimpe dans la hiérarchie."
Départ pour Carcassonne
Une chance, la gendarmerie lui propose ensuite une formation en intelligence économique : "Il était relancé. Il exultait, il était heureux." Arrive le départ pour Carcassonne. "Il a accepté pour Marielle. Lui, il rêvait d’un poste en Bretagne, chez lui. Sa compagne, qui travaillait dans le sud ne pouvait pas bouger tout de suite donc il s’est dit "pour le prochain poste je me fais muter dans le sud. Si ce n’est pas ce coup-là pour la Bretagne, ce sera le coup d’après."
On partageait notre spiritualité. Il n’abordait pas les dangers de son métier avec moi. Mais il savait qu’il y avait un risque.
Le déni
Arrive cette funeste journée du 23 mars 2018. J’ai été dans le déni toute la journée. J’étais en reportage. J’ai dit à ma collègue "ne me dis rien, je ne veux rien savoir". Et je me suis inventé plein de choses. Carcassonne, c’est une zone police. Et puis ça ne peut pas être lui, c’est le GIGN. Bon il doit quand même être dans le commandement, il faudra que je l’appelle. Je me suis menti toute la journée.
Et c’est le soir, quand je suis arrivée chez moi, j’ai allumé mon ordinateur et là, il y avait sa photo et j’ai compris."
Rester derrière, ce n’était pas possible pour lui. Il n’aimait pas qu’on touche à ses hommes
Le Colonel Beltrame a pris la place d'une otage dans un supermarché à Trèbes et a été tuer par le terroriste. "Je savais qu’il était capable de ce genre de chose. Rester derrière, ce n’était pas possible pour lui. Il n’aimait pas qu’on touche à ses hommes. Un jour, je me souviens, à Avranches, il n’avait pas supporté qu’on menace ses hommes. Pour être sûr qu’il ne se passe rien pour eux, autant qu’il y aille lui.
Et puis, il y avait une donnée supplémentaire : l'otage était une femme. Arnaud était très protecteur. Pour lui, cette situation n’était pas possible.
Arnaud a fait le choix de mettre en danger son propre bonheur pour sauver quelqu’un qu’il ne connaissait pas
Arnaud a eu un comportement qui n’est plus habituel aujourd’hui. Du devoir vers l’autre, s’oublier pour l’autre et cela ne correspond aux valeurs de notre société. Que de se soucier de l’autre, c’est plus important que soi même.
Arnaud a fait le choix de mettre en danger son propre bonheur pour sauver quelqu’un qu’il ne connaissait pas. Aujourd’hui, c’est rare et cela interpelle.
On se sent attaqué depuis quelques années par les attentats et là, il y a quelqu’un qui a montré qu’il prenait notre défense
Je suis contente que le monde reconnaisse sa valeur. Il avait envers moi un comportement de grand frère, un grand frère qui prend soin de sa petite sœur. Et c’était très rassurant d’avoir un grand frère comme lui. Ça me donnait l’énergie et la confiance pour me lancer dans des projets ou oser des changements de vie, pas toujours simples, pour une fille seule.