Alors que la saison vient de commencer, le documentaire "La guerre des ballons" nous raconte l'esprit rugby d'hier et d'aujourd'hui. S’inspirant de l’histoire de deux équipes d'Armissan et Vinassan, deux villages de l'Aude et évoquant le monde sportif en pleine mutation, il nous questionne : L'âme du rugby est-elle en train de disparaître ?
"La guerre des ballons" un documentaire de Jonathan Safir et Bruno Sauvard à voir le jeudi 19 septembre 2024 à 22h50 et sur france.tv. Une coproduction France 3 Occitanie, Pintxos et Tikkoun films.
Dans le stade d’un petit village audois, en bordure du terrain où les palissades blanches séparent habituellement les joueurs des spectateurs, la limite est franchie. Un bruit de claques fait soudainement monter la pression. Des hommes s’agitent. Le ton monte et nous plonge tout à coup dans un brouhaha d’interjections "braillardes" et viriles.
Autour, les femmes observent. Certaines s’en mêlent, bien qu'en retrait, donnant de la voix et tirant vers elles leurs ouailles. Bref, la machine est lancée, le vin est tiré et la pression, maximale. Et pour cause ! Les clubs de rugby des deux villages d’Armissan et de Vinassan dans l’Aude s’affrontent sur le terrain. "C’est un derby historique" dit l’un d’eux. "Dans 50 ans on en parlera encore" souligne l'un des protagonistes.
D'autant plus que ces deux villages voisins nichés au pied du massif de la Clape, tout près de Narbonne, sont en rivalité depuis une éternité.
La guerre, avant les ballons
Les Armissanais sont les renards (traduisez les filous) et les Vinassanais, les pantigues (des sauterelles à petite tête et au ventre bien dodu). Bien décidés à défendre leurs couleurs et leur honneur, ces hommes vont se livrer sur le terrain, une guerre sans merci.
Le documentaire nous ramène à des mythes et légendes, notamment à l'époque d'Attila, roi des Huns qui, vers l'an 540, avec ses cavaliers "beaux comme des astres", se livraient à des duels sanguinaires où les vaincus avaient la tête tranchée. Le but du jeu consistait à apporter la tête sur le sommet de l'arbre, le plus haut des environs.
Retour dans les vestiaires du stade audois. Ici point d'Attila, mais une bande de solides gaillards, bras dessus, bras dessous, qui jurent que, pendant 80 minutes, ils vont tout déchirer ! "La guerre ! La guerre saine, oui, mais la guerre partout !" hurlent-ils.
Les deux villages d'Armissan et Vinassan, situés près de Narbonne (Aude), au cœur du massif de la Clape, se touchent et se font face. Ils sont en rivalité depuis une éternité. Mais qui se souvient vraiment depuis quand et pourquoi ?
Il faut parfois remonter des siècles en arrière. "Si par exemple on cherche à comprendre pourquoi Béziers et Narbonne ne peuvent pas s’encadrer" raconte la voix off, "on a peut-être des éléments de réponse dans les tréfonds de l’histoire". Des histoires enfouies dans la mémoire collective qui nous ramènent lors des croisades contre les Cathares, lorsque le Languedoc était à feu et à sang. Et lorsque Béziers s’est liée à sa cousine de Montpellier, Perpignan à Barcelone et au clan du Roussillon, tandis que Narbonne faisait bande à part.
Devenues indénouables, ces rivalités de clochers entretenues par l’homme, font encore aujourd’hui partie de l’histoire mais aussi du folklore. Minimisées par les uns : "L’être humain a toujours besoin de se jauger. Quoi de mieux que de petites chamailleries pour se donner une appartenance à un maillot, à un club, à un clocher", "humorisées" par d'autres, prétextant que ça ne dépasse pas le stade de la jeunesse comme dans "La guerre des boutons", elles peuvent aussi être complètement assumées, voire même revendiquées par les gens du cru : "Au-delà des anecdotes, cela fait partie de notre histoire depuis des générations".
"Quel sport plus beau que le rugby ?"
Le film nous emmène à Gruissan où d’anciens joueurs des deux villages audois se retrouvent pour un moment convivial. Ensemble, ils évoquent les souvenirs d’un temps révolu, non sans nostalgie. Ils sont unanimes : le rugby véhicule des valeurs à nulle autre pareille. "La clé c’est l’amitié" disent-ils, tous ! "Tu crées un lien que tu ne trouves pas ailleurs" explique l’un d’eux. Et puis comme dit la chanson : "Si tu n’as jamais joué, comment peux-tu comprendre…"
Dans les campagnes, le rugby était inscrit dans les gènes. Il se transmettait de père en fils. De joueurs, les hommes devenaient souvent entraîneurs, parfois dirigeants. Une grande famille. "À l’école, on prenait un ballon et on allait jouer. À part la pêche ou la chasse, on n’avait que ça" explique un des anciens : "Le bonheur, tu allais le chercher dehors".
Pour nous la question ne se posait pas, c’était le rugby ou… le rugby, ou tu étais déshérité rajoute un ancien en riant.
Des anciens joueurs de rugby
Mais la société change et les mentalités avec : " Aujourd’hui, les gamins n’ont plus la même vie qu’avant (…)
A la troisième mi-temps aujourd’hui, il n’y a plus personne.
Un rugbyman
Une étape conviviale et rituelle pourtant incontournable pour les rugbymen aux esprits festifs "À l’époque, après le match, la troisième mi-temps c’était le plus important, si tu t’esquivais à l’entraînement, le jour d’après tu te faisais allumer".
L’âme du rugby est-elle en train de disparaître ?
Depuis quelques années, au rugby, initialement considéré comme un sport essentiellement masculin, les femmes sont entrées dans le jeu. Encore jeunes, elles en parlent avec beaucoup d’attachement mais aussi de lucidité. Notamment sur les clichés, encore bien ancrés "les garçons sont toujours là à nous charrier (…) Si tu fais du rugby, tu es considérée comme un homme et tu n’es pas élégante", raconte l’une d’elles. Qui a dit que le rugby n’était pas un sport pour les filles ?
C’est un sport comme un autre avec des règles qui se posent.
Une rugbywoman
Mais les filles sont-elles en quête des mêmes valeurs que leurs comparses masculins ? "Nous, ce qu’on veut c’est la gagne, mais on ne cherche pas la confrontation ou le conflit avec l’équipe d’en face" confie une joueuse. Leurs mots-clés : confiance, cohésion, partage. "Les filles ne lâchent rien et s’encouragent entre elles tout le temps" confie un des garçons à la caméra. La relève est-elle assurée ? Les femmes sont-elles l’avenir du rugby ?
Malgré tout, absorbé par un monde sportif capitaliste, le rugby en a aujourd’hui un peu perdu son latin. Dominé par l’argent, le profit, et la compétition à outrance, son statut professionnel l’aurait-il rendu moins beau, moins spectaculaire et surtout, moins authentique ?