Deux fois par jour, Yannick Agnel plonge dans le bassin extérieur de la piscine Meadowbrook, près d'une autoroute de la triste banlieue nord de Baltimore dans le Maryland, et nage plus de 14 kilomètres. Loin de la côte d'Azur et de son Gard natal, il n'a pourtant aucun regret.
A 21 ans, le champion olympique et du monde a fait le grand saut il y a quelques semaines, passant du confort douillet de Nice et de Nîmes, à la côte est américaine, nettement moins glamour. Il pense rester au moins trois ans à Baltimore, ville industrieuse surnommée "Charm City".
Le jeune Français a fait ce pari pour s'entraîner sous la houlette de Bob Bowman, le mentor de Michael Phelps, l'athlète le plus titré de l'Histoire des jeux Olympiques avec ses 22 médailles, qu'il a dirigé ici même durant des années.
"Ce qui est certain, c'est que je suis ici au moins trois ans, au moins jusqu'à Rio (les JO-2016), déclare le chef de file de la natation française. "Après on ne sait jamais ce qui peut se passer. Je sais qu'aujourd'hui, j'ai profondément envie de nager, de m'entraîner plus. J'aime ce que je fais. J'aime cet environnement, donc je ne m'interdis absolument pas de faire plus que trois ans ici".
Sur ce départ qui en a surpris beaucoup dans l'Hexagone, il évoque une sorte d'évidence:
"Je me suis dit, l'Amérique, pourquoi pas? Bob Bowman, encore plus, pourquoi pas ?".
L'emblématique entraîneur l'a accueilli à bras ouverts. Le technicien, 48 ans, sourit même en se rappelant qu'Agnel l'a contacté sur Twitter.
Quelques emails et une rencontre plus tard, il se faisait un plaisir d'ajouter le Français à son écurie de nageurs, qui comprend notamment les Américains Conor Dwyer, médaillé d'or aux JO de Londres sur le 4x200 m, Tom Luchsinger, ou la nageuse paralympique Jessica Long.
"Il est assez similaire à Michael par certains aspects: son approche mentale, son sérieux à l'entraînement, ce genre de choses. Mais il est également assez différent et je pense qu'il peut exister par lui-même. Il n'a pas besoin d'être comparé à quelqu'un d'autre", explique-t-il.
Et pour ceux qui voudraient le comparer à Phelps, il insiste: "il est le premier Yannick"
"Apprendre la partition"
Située à côté d'une épicerie bio et d'un Starbucks, la piscine de Meadowbrooks, construite en 1930, accueille de nombreux habitants des alentours qui viennent nager à côté des médaillés olympiques. Phelps lui même s'y arrête encore régulièrement.
Cette décontraction toute américaine a séduit Yannick Agnel, qui habite pour l'heure un petit appartement à quelques minutes à pied du bassin, en attendant de passer son permis de conduire américain et de pouvoir trouver un logement plus spacieux.
"Les Américains ont une philosophie du sport qui est différente. Ils ont un esprit qui me correspond tout à fait: on s'entraîne sérieusement sans se prendre au sérieux. C'est l'essence même du sport, c'est ce que je recherche ici", dit-il.
"On se prend dans les bras, on se réconforte, on s'encourage jusqu'à la fin (...). C'est un environnement plutôt sympa. Je suis vraiment content de le trouver comme ça", ajoute celui dont l'accessibilité et l'humour ont déjà conquis ses camarades d'entraînement.
"Oh mon Dieu, il est si humble. Même si je suis une athlète paralympique il me traite comme son égale", sourit ainsi Jessica Long, 21 ans et vainqueur de 12 médailles paralympiques, alors qu'elle réajuste ses prothèses de jambes en sortant du bassin. Mais l'humilité n'exclut pas l'ambition.
"Ce qui change, c'est qu'on a un plan et qu'on peut l'appliquer", explique le Français. "Comme le disait Bob cet été, on la joue à l'oreille jusqu'aux Mondiaux de Barcelone et ensuite on apprendra la partition. On a trois ans jusqu'à Rio et un plan de route".
Pour l'entraîneur américain Bob Bowman, nouveau coach de Yannick Agnel, le champion olympique et champion du monde français "n'a besoin d'être comparé à personne". Pas même à Michael Phelps, qu'il a conduit à ses 18 titres olympiques.
"Dans les moments clés, il a l'habitude de produire ses meilleures performances, ce qui est la marque de fabrique d'un grand nageur", a-t-il expliqué dans un entretien à l'AFP.
Q: Est-ce qu'Agnel est le nouveau Michael Phelps?
R: "Non, il est le premier Yannick. Il est assez similaire à Michael par certains aspects: son approche mentale, son sérieux à l'entraînement, ce genre de choses.
Mais il est également assez différent et je pense qu'il peut exister par lui-même. Il n'a pas besoin d'être comparé à quelqu'un d'autre... Dans les moments clés, il a l'habitude de produire ses meilleures performances, ce qui est la marque de fabrique d'un grand nageur".
Q: Comment vous êtes vous rencontrés tous les deux?
R: "Il m'a contacté sur Twitter alors que j'étais dans un camp d'entraînement au Colorado. Il a pris un vol pour venir me voir et m'a posé des questions sur la façon de s'entraîner. Après l'avoir rencontré, j'étais persuadé qu'il correspondait à notre programme et que peut-être nous pourrions l'aider, donc on a décidé d'essayer (...). Tout le monde l'apprécie et il semble heureux à l'entraînement".
Q: Vous avez une réputation de coach ultra-exigeant, mais vous avez pris du temps récemment pour vous consacrer à vos autres passions comme la cuisine, la musique et les courses de chevaux. Le coach a-t-il changé ?
R: "Je pense être beaucoup plus patient et je suis bien moins (...) agressif lorsque j'essaie de faire avancer les choses. J'ai plus d'outils dans ma boîte (...). Il existe de nombreuses autres façons de convaincre les gens de faire des choses que de les forcer, même si cela pourrait être le moyen le plus rapide".
Q: Au niveau international, vous conseillez la Turquie et Dubaï. Quelles impressions vous ont laissé ces deux nations?
R: "Je suis surpris par leur potentiel. Il y a vraiment beaucoup de nageurs de grand talent. Il existe des équipements, nous essayons d'en obtenir plus. Il y a des entraîneurs qui veulent réellement travailler très dur. Clairement, ils manquent un peu d'organisation et c'est sur ce point que je tente de les aider".
Q: Vous êtes toujours proche de Phelps, vous partagez d'ailleurs la propriété d'un cheval de course. Et on l'aperçoit souvent ici près du bassin. Peut-on s'attendre à son retour ?
R: "Il s'entraîne de temps en temps pour rester en forme. Il a arrêté de s'entretenir pendant un an et il se sentait hors de forme, donc depuis six semaines, je crois, il est revenu et a fait des séances. Je ne sais pas si ça correspond à un retour. Je pense que si vous le voyez participer à un meeting, alors vous saurez qu'il est de retour".
Propos recueillis par Robert MACPHERSON AFP.