Curieuse histoire que celle du meurtre de ce sous-directeur de mine dans le bassin de Decazeville (Aveyron) en 1886. Le roman nous replonge dans un contexte social et politique agité, inspiré à l’auteur toulousain par un conflit social bien plus contemporain.
5 octobre 2015 à Roissy, deux hommes s’enfuient d’une réunion portant sur le projet de restructuration d’Air France. Les chemises de ces deux représentants de la direction sont en lambeaux, l’un se retrouve torse nu. Sous les huées des salariés, ils escaladent un grillage avant de s’en aller, escortés par des CRS. L’image fait le tour du monde.
Pas de vidéo en 1886 à l’époque de la mort de Jules Watrin, mais une presse engagée de part et d’autre des protagonistes, ouvriers ou direction des mines. Le meurtre (assassinat ?) de ce sous-directeur des mines de Decazeville va rapidement devenir une affaire politique.
« Germinal » accusé !
Zola sera même accusé de l’avoir inspiré avec "Germinal" un an plus tôt. D’ailleurs le personnage du député de la Seine Basly, très présent dans le roman de Dessaint, aurait même donné le personnage de Lantier à Zola.
L’enquête menée par Pascal Dessaint pour ce récit nous rappelle qu’il est historien de formation. Des chapitres courts mais ultradocumentés, l’impression parfois de lire un rapport de police ou un compte-rendu de presse, de quoi créer un rythme nerveux qui fait mouche.
Histoire d’un lynchage
Retour aux faits. 26 janvier 1886, des ouvriers veulent demander des comptes au sous-directeur des mines. La discussion s’envenime, les protestataires se massent autour de l’ancien bâtiment de la direction. Ils ne seront pas contenus indéfiniment. De multiples fois battus, Watrin sera finalement défenestré avant encore d’être piétiné, puis déclaré mort un peu plus tard.
Dessaint publie le télégramme officiel reçu alors par la direction des mines à Paris lui annonçant le décès d’un de ses membres et y ajoutera ce commentaire :
Il s’agit de lire entre les lignes. Un responsable de l’Etat était présent et qu’a-t-il donc fait ? Des troupes ont été envoyées sur place, mais trop tard. La compassion pour la victime sera pour une autre fois.
D’ailleurs à peine la mort constatée et annoncée, elle passe au second plan. Ce qui compte désormais, c’est la grève qui vient d’être déclenchée et qui s’annonce dure. Le conflit social et la mort de Watrin se politisent et donnent lieu à des débats passionnés à l’Assemblée Nationale.
La misère du bassin houiller
Cette cacophonie parlementaire et cette "ceinture tricolore du maire Cayrade qui n’a impressionné personne" au moment du meurtre, résonnent avec notre actualité. La compagnie minière reproche à ce même premier maire républicain de Decazeville, médecin de son état, de ne pas voir prodigué les premiers soins à la victime et de ne pas avoir appelé la gendarmerie.
Seulement comment juger ce qui s’apparente à un lynchage ? Comment trouver dans cette cohue les seuls meurtriers ? Comment trancher s’il y a eu préméditation ou non ? A plusieurs reprises, l’audience fera fausse route, jugeant parfois la compagnie voire Watrin à la place de ses meurtriers. Elle invoquera aussi la misère sociale en alibi ou mobile.
La partie civile a agité le cadavre de Watrin. Eh bien ! Comptons nos morts à nous les victimes des batailles sociales ! Pensons aux capitaines mais pensons aussi, et j’ajouterai surtout, aux soldats… Il est temps que vienne un verdict de justice sociale, sinon cette germination d’hommes surgissant des entrailles de la terre fera éclater le monde…
Maître Laguerre, avocat de l’un des accusés
Peyron, l’avocat d’un autre accusé n’hésitera pas à clamer : "la cause du meurtre, messieurs les jurés, est l’immense misère qui étreint le bassin houiller". Bilan, "la préméditation sera écartée, et les circonstances atténuantes admises pour tous". La peine la plus forte sera de 8 ans de travaux forcés. Pas de quoi empêcher la chambre syndicale des mineurs de l’Aveyron de fêter la fin des 108 jours de grève.
"1886. L'affaire Jules Watrin" de Pascal Dessaint. Editions Rivages.