L'épidémie de coronavirus se propage. Médecins et personnels soignants au sens large doivent faire face à la maladie, au manque de moyens et aux inquiétudes des patients. Les infirmières libérales sont aussi en première ligne. Reportage dans le village de Banhars, en Aveyron.
La journée de Laurence Dupont n’est pas terminée. Les cloches du petit village de Banhars rattaché à la commune de Campouriez, dans l’Aveyron, viennent de sonner comme partout en France à 19h30 précises en signe de solidarité avec toutes les victimes du virus et ceux qui luttent contre la maladie ou doivent continuer leur travail malgré les risques.
Aux côtés du personnel hospitalier, des cliniques privées ou des Ehpad, les infirmières libérales sont aussi en première ligne. Le village est désert. Laurence gare son véhicule, et sort masque sur le visage, avec une affichette collée sur son pare-brise arrière « Restez chez vous ».
Elle connaît depuis longtemps la plupart de ses patients comme cette femme de 102 ans qu’elle vient retrouver tous les soirs. Elle doit lui poser une perfusion, lui faire deux piqûres avant de l’aider pour le coucher, une heure de travail en tout. La centenaire est prise en charge par sa famille mais elle nécessite des soins palliatifs plusieurs fois par jour.
L’infirmière de 52 ans roule 35 000 km par an. Jusqu’à présent, elle n’allait jamais voir ses patients la peur au ventre. Depuis le début de l’épidémie et bien que la maladie n’ait pas officiellement fait son apparition dans son secteur, tout a changé :
«Lorsque nous aurons des soins de personnes atteintes par le virus à faire à domicile, nous sommes aussi très inquiètes de l’absence de matériel. »Ma crainte, c’est de transmettre le virus au patient. On bouge beaucoup et nous savons que nous pouvons être porteurs sans symptômes, c’est ça qui nous inquiète.
Plus de masques dans dix jours
Pour se protéger, elle ne dispose que de simples masques chirurgicaux qu’elle change deux fois par jour : « Nous sommes quatre infirmières, on ne tiendra qu’une dizaine de jours avec ça ». Pas de sur-blouse, de lunettes de protection et des difficultés de commande de gel hydro-alcoolique. Pendant qu’elle et sa collègue font la tournée, les deux autres infirmières membres du même cabinet cherchent désespérément du matériel disponible.« Il y a des gens qui ont peur de nous »
Même si le virus n’a fait aucune victime dans sa commune de rattachement, la peur s’est installée chez certains de ses patients. « Certains annulent leurs prises de sang ou tiennent les portes à notre place. On prend mille précautions toute la journée et c’est une minorité de patients qui ont peur mais c’est difficile à vivre quand on connaît les gens depuis longtemps».Elle a connu l’épidémie du VIH à peine sortie de ses études en 1994 et y voit des similitudes : « J’étais bénévole dans un centre de soins et comme à l’époque, on entend des choses aberrantes dans un climat de suspicion » .
30 minutes pour une simple prise de sang
Ce mercredi, elle a dû voir une quarantaine de patients, c’est plus qu’habituellement et surtout cela prend plus de temps.Ce ne sont pas des patients qui ont un lien avec le virus mais qui souvent sont sortis plus tôt que prévu de l’hôpital et qui nécessitent un suivi à domicile.
Son travail ne s’arrête évidemment pas aux gestes médicaux. Aider, rassurer, écouter et même porter des provisions. Régulièrement elle prend du pain pour les personnes âgées qui en ont besoin et explique sans relâche l’intérêt de rester chez soi : « il y a des personnes âgées qui ont du mal à changer leurs habitudes ici. »En temps normal, si tout se passe bien, une prise de sang dure 15 minutes. Là, avec toutes les précautions à prendre, c’est le double.
Ce soir, elle retrouvera ses enfants de 20 et 23 ans encore à la maison, ainsi que son mari, gendarme. Elle ne les embrasse plus depuis le début de l’épidémie. Dans les semaines à venir, elle n’a aucune obligation de prendre en charge des malades du virus. « Mais cela fait partie de notre travail. C’est pour cela que nous espérons avoir du matériel pour le moment venu, nous protéger, tous.» Aucune colère pour l’instant, « on verra ça après l’épidémie, pour l’instant je pense à mes patients ».