Comment les soignants vivent-ils une fois rentrés chez eux ? Infirmiers et médecins nous racontent leur quotidien bouleversé par la peur de contaminer leurs proches.
Jessica Cleys est infirmière libérale à Narbonne. Elle continue ses tournées mais son quotidien de mère de famille ( elle a deux enfants de 7 et 9 ans) a complètement été chamboulé par l’arrivée du coronavirus.
Elle travaille une semaine sur deux. Une semaine sur deux, elle vit dans l’angoisse de contaminer ses enfants et son mari. Et ce d’autant plus que les masques promis arrivent au compte-gouttes, qu’il n’y a pas assez de protection surtout lorsqu’il s’agit d'être en contact avec des personnes infectées et qui ont une charge virale lourde susceptible d’être transmise par les soignants à des patients déjà fragilisés à cause de leur âge et de leurs pathologies.
« Je travaille déjà sur des tournées extrêmement chargées à la base. Je pars à 6h30 le matin donc je ne vois pas mes enfants. J’ai tout mon matériel de désinfecté dans ma voiture. Je rentre à la mi-journée. J’ai la chance d’avoir un garage en sous-sol de la maison. Là j’ai préparé des affaires à part pour la maison. Quand je rentre pour la pause de midi, je me déshabille complètement et je mets des vêtements de maison pour une heure ou deux".
Un garage transformé en sas de désinfection
De retour de tournée, Jessica va passer beaucoup de temps dans son garage transformé en sas de désinfection. "De retour de tournée, c'est le déshabillage complet dans mon garage où se trouve ma machine à laver. Je mets tout à laver.J’ai pu en acheter il y a trois semaines pour désinfecter mon matériel mais depuis je n’arrive plus à en avoir. Quand je n’en aurai plus il va falloir trouver d’autres systèmes pour désinfecter. Quand j’ai fini de tout décontaminer en bas, et tout mis dans la machine à laver, je monte direct à la douche, midi et soir de la tête aux pieds.J’ai réussi à me procurer un produit désinfectant pour le linge en plus cette semaine mais on est en rupture de stock dans les supermarchés.
Ce grand rituel lui prend énormément de temps. Il ne lui en reste alors plus pour voir des enfants le soir venu.
Epuisement
Jessica rentre deux fois plus épuisée que d’habitude. Epuisée par l’angoisse mais aussi l’agressivité des patients qui s’accroît de jour en jour car les infirmiers libéraux n'ont pas de masques et que les patients en réclament aussi .
"Hier ( mercredi 25 mars ) j’ai eu ma première dotation de masques chirurgicaux de l’Etat. Jusqu’à présent nous n’avions rien reçu, et c’était système D entre collègues.Ils nous harcèlent pour qu’on leur donne des masques.
Vecteurs de virus
En libéral, on a les personnes âgées et fragiles. Nous sommes le plus grand vecteur du virus. Pitié, qu’on nous donne du matériel !!! Jessica Cleys s'appuie sur son réseau d'infirmiers narbonnais : « On essaie de se dépatouiller comme on peut. L’angoisse au niveau de la famille est là".Angoisse pour eux. Angoisse de contaminer leur famille. La situation est compliquée. Heureusement Jessica et son mari communiquent beaucoup avec leurs enfants et leur ont expliqué dès le début de l'épidémie, ce qu’elle mettait en place pour éviter la contamination.Ils savent très bien qu’on part au front sans armure
"C’est surtout compliqué avec mon petit dernier qui est très affectueux. On fait quelques câlins mais pas de bisous. On sent qu’il y a un manque affectif par rapport à d’habitude même s’il le sait et s’il sait pourquoi. Maman est infirmière et son travail c’est soigner des gens".Si maman fait ça c’est pour te protéger
Aurélien* et Stéphanie*, eux, sont tous les deux soignants en Occitanie. Elle est médecin, lui infirmier dans une structure hospitalière. Ils ont une enfant en bas âge.
Lui aussi se déshabille complètement dans le jardin avant de rentrer chez lui et filer à la douche. "On n'a pas vraiment de directives précises sur la marche à suivre lorsque l'on rentre chez soi. Du coup, on désinfecte tout".On saît que l'un des deux sera contaminé
Après s'être posé beaucoup de questions, et avant l'arrivée des premiers cas de COVID 19 dans les hôpitaux, le couple a finalement décidé de laisser leur fille chez ses grands-parents paternels qui habitent un village à côté de chez eux "le temps qu'il faudra".
"Pour l'instant ça va, elle pense que c'est comme pour les vacances. Mais au bout d'une semaine comment réagira-t-elle ? Tous les soirs, on se parle par écran interposé et on ne sait pas quand on va pouvoir récupérer notre enfant".
** les prénoms ont été changés