C'est l'histoire d'une femme qui se bat depuis 25 ans contre les fractures de la vie et la fragilité du monde agricole. Alexandra Bousquet est sur le point de mettre la clé sous la porte de son élevage de volailles à Villefranche-de-Panat (12). Son ex-salariée a obtenu 60 000€ bruts devant les prud'hommes.
Au téléphone, Alexandra Bousquet explique sa situation et les blessures de la vie sans rancœur et sans haine. La vie lui a appris que la colère était mauvaise conseillère. Alors elle se bat pour que la ferme de son mari continue de vivre malgré une décision prud’homale du 11 octobre 2024 qui l'oblige à payer 60 000€ à son ex-employée pour des heures sups.
La poule aux œufs d'or
Depuis l'an 2000, elle élève des volailles près de Villefranche-de-Panat.
Son mari élevait des charolaises mais il a arrêté son activité en 1999. Il vend alors 60 hectares mais sa femme en garde 40 pour un autre type d'élevage : poulets, dindons, pintades, canards gras, canettes et autres chapons. Elle s'installe en bio pour ses volailles qu'elle nourrit avec 15 hectares de céréales produites à la ferme.
En 2009, tout se passe encore pour le mieux. Elle décide d'installer son propre abattoir et embauche un premier salarié pour cette activité. La solidarité n'étant pas un vain mot dans le monde agricole, elle prend la fille d'un voisin. "Il me fallait de la main-d’œuvre. Elle était sourde et muette mais très méticuleuse. On s'aidait également avec une femme d'agriculteur tantôt chez elle, tantôt chez moi au fil des besoins."
Solidarité et confiance sont les 2 mamelles de l'agriculture. Été 2018, un stagiaire arrive. À la fin du stage, il propose les services... de sa mère. C'est une femme d'une quarantaine d'années qu'Alexandra connaît car elle est native de Villefranche-de-Panat. "Je lui faisais confiance. Elle venait de se séparer de son mari et élevait seule ses 3 enfants. Je n'avais pas le moindre soupçon. Quand je l’ai embauchée j’avais entendu des propos sur elle mais j’ai laissé dire."
Solidarité quand tu nous tiens
Elle vient pour s'occuper de l'abattage en contrat Tesa, un contrat simplifié pour les petites exploitations mis en place par la MSA. "Nous sommes parties sur une base de 20 heures par mois pour le Tesa puis 75 heures en 2019 mais pas plus, à sa demande pour qu'elle continue de toucher sa pension handicap".
Tout se passe presque en autogestion et avec souplesse. "L’agricole ce n’est pas un bureau ou un magasin. On ne ferme pas les portes quand l'heure sonne. Quand on a commencé de labourer un champ, on le finit. Il faut aussi comprendre que quand il y a des heures stipulées -ici 75 heures par mois- c'est annualisé pour justement être souple. On sait travailler en bonne intelligence et elle avait beaucoup de temps libre."
Tombée de haut
En mars 2019, Alexandra Bousquet tombe du toit de sa poussinière. Le bilan est lourd : traumatisme crânien, pneumo thorax et poignet droit fracturé. Elle demande à son père et sa mère de l'aider car son mari à une autre activité. Ses enfants sont également appelés en renfort. Mais c'est surtout la salariée qui prend la relève. "Je faisais des marchés dominicaux. Je lui ai montré comment faire. Elle y a trouvé son intérêt pendant 2 ans. Je n'ai jamais eu la mentalité d'un patron et je n'ai pas cadré cette activité ni la caisse. J'ai été trop naïve et trop prise par mes soucis."
Physiquement, l'éleveuse a du mal à s'en remettre. Il y a des trous de mémoire qui lui font oublier ceux qu'elle pourrait constater au niveau de la caisse. "Je me suis fait entraîner par son optimisme et je n'ai pas été capable de dire stop." .
Été 2020, le mauvais sort rode encore. Son mari tombe également d'un toit sur un chantier. 2 ans d'hospitalisations au CHU Purpan de Toulouse, 1 an de réadaptation et de convalescence à Lamalou-les-bains (34). En vain. Il est aujourd'hui tétraplégique et ne la reconnaît plus. Elle élève seule ses 2 enfants dont 1 mineur.
Après un conflit, l'employée se met en arrêt maladie. Selon Alexandra, la salariée l'informe à 2 reprises par texto qu'elle entend démissionner. La preuve est recevable en justice mais les prud'hommes n'en tiennent pas compte.
Elle note ses heures sur un bout de carnet. L'éleveuse constate que certaines sont déclarées alors que la salariée était en Tunisie. "Ces notes laissaient entendre qu'il s'agissait d'un temps plein. Je ne l'ai pas contrôlée mais surtout, je ne le lui avais pas demandé et elle ne l'avait pas accepté pour pouvoir toucher sa pension de handicap."
Après 3 ans d'arrêt maladie, elle décide de la licencier en août 2023.
Sisyphe et son rocher
Dans le petit village de 700 habitants, l'affaire commence à faire du bruit. Alexandra Bousquet se retrouve devant le pénal en juillet 2020 par rapport au chômage partiel. Viennent ensuite les prud'hommes avec plusieurs appels et conciliations, de 2021 à 2024.
Durant ces 3 ans, Alexandra a remonté la pente et réussi à remonter sa structure. Elle embauche un nouveau salarié mais aussi pour quelques mois son fils et son filleul. Les résultats sont là balayés par la décision prud'homale du 11 octobre 2024. Le contrat est requalifié à plein temps. Elle doit payer 60 000€ bruts à son employée. "J’ai 2 solutions : soit je mets la clé sous la porte et la ferme va rester en jachère, soit je me bats. Ma famille a monté une cagnotte en ligne pour éviter la première solution. Mais si je fais ça, c'est pour mon salarié qui doit s'installer en GAEC avec moi cette année, avec un projet de poules pondeuses. Il n’a pas mérité ça. Je ferai tout pour m’en sortir. C’est mon amour-propre, mon orgueil. Je suis une bosseuse, je ne reste pas sans rien faire."
Partout, la solidarité s'organise et la Coordination rurale (syndicat agricole) la soutien et étudie d'éventuels recours. Une cagnotte en ligne a été lancée par sa famille pour trouver un financement. Une banque pourrait lui prêter de l'argent.
L'un des fils de son employée qui était venu en stage à la ferme lui réclamait 95 000€ lors d'une précédente procédure devant les prud'hommes. Il a été débouté. Mais si Alexandra Bousquet ne fait pas appel, elle devra payer avant le 11 novembre 2024 la somme qu'elle doit à sa mère. Le rocher retombe toujours sur Sisyphe.
"Je n'ai pas de rancœur et je ne suis pas d’un tempérament à faire des histoires. Je n'ai pas envie d’éprouver des sentiments, pas même de la haine. Je ne crois plus en la justice mais la roue va tourner. Je ne lui ferai pas de cadeaux sur ce qu’elle a volé à l’Etat et à moi."
Le monde agricole est fragile, il est parfois en colère et manifeste. Il sait aussi se montrer tenace et digne, comme cette éleveuse aveyronnaise.