A cause du coronavirus, les candidats qualifiés pour le second tour des élections municipales bouleversent leur façon de faire campagne. Tour d’horizon de 3 petites communes gardoises et audoises avant le démarrage de la campagne officielle, prévu lundi 15 juin.
Finis les contacts physiques avec les électeurs, pas de réunion publique, pas de porte à porte, les candidats aux municipales doivent réinventer leur campagne du second tour. Il faudra "faire campagne différemment" a déclaré Christophe Castaner, ministre de l'Intérieur. Dans ce contexte, certains misent sur le bouche-à-oreille, d’autres sur les réseaux sociaux.
A Espéraza dans l'Aude, les candidats s'adaptent
À Espéraza, au cœur de la Haute Vallée de l’Aude, les trois candidats à la mairie s’adaptent à la situation avec philosophie. Dans ce village de 1820 habitants, les électeurs se sont davantage mobilisés qu’au niveau national. Et pourtant la participation n’a pas rassemblé les foules. Le taux de participation s’est élevé à 55,76% contre 76,31 % en 2014.
Pour l’instant, l’élection du second tour n’est pas la priorité des trois candidats en lice. Georges Reverte, maire sortant, attend les recommandations du gouvernement pour adapter sa stratégie de campagne électorale. "On est dans l’expectative. Nous n’avons pas reçu de directives, on ne sait pas encore comment on va s’organiser. Une chose est certaine, nous ne prendrons aucun risque".
Pas question de multiplier les actions. Le candidat se contentera d’un tract dans les boîtes aux lettres. Âgé de 70 ans, l’élu ne mise pas sur la toile. Un blog sur Facebook a été créé mais il est peu utilisé.
Avec mes colistiers, nous sommes proches des Espérazannais, nous n’avons pas besoin d’en faire plus. Même si je suis en 2ème position, je ne ressens pas la nécessité d’être trop actif. Pour moi le plus important c’est de protéger la population.
Christian Soula, autre candidat à la mairie d’Espéraza, boude aussi l’outil Internet : "On ne fait pas de campagne virtuelle. C’est une petite ville, avec des personnes âgées. Je n’en vois pas l’utilité".
Pour convaincre les électeurs, il va distribuer des tracts dans les boîtes aux lettres. A la place du porte-à-porte, ses colistiers et lui vont téléphoner à leur entourage et cibler les candidats d’une liste du 1er tour qui s’est retirée. Pour ce dernier, la campagne électorale est complexe à gérer.
Les mesures sanitaires pourraient être revues, en particulier en zone rurale. Pourquoi interdire les réunions publiques, alors que tout rouvre ? Nous, c’est certain, on perd les dernières voix qu’on pouvait grappiller
Le dernier candidat, Johan Fiedos, beaucoup plus jeune (34 ans), utilise les moyens de communication Internet, même s’il est conscient que cela n’a pas un impact réel sur les habitants de la cité chapelière : 23 % des habitants ont plus de 75 ans. "Dans le village, dit-il, on fonctionne beaucoup par le bouche-à-oreille. Les gens se parlent et l’information circule. On va distribuer une circulaire dans les boîtes aux lettres et rencontrer les citoyens sur le marché en respectant les mesures barrières. Il me semble nécessaire de favoriser une convivialité malgré cette crise sanitaire."
Campagne 2.0 à Saint-Hilaire-de-Brethmas dans le Gard
A Saint-Hilaire-de-Brethmas près d'Alès, une commune de 4317 habitants, les électeurs ne se sont pas bousculés aux urnes lors du premier tour. Le taux d'abstention s’est élevé à 52,62%, contre 32,56 % en 2014. Les deux candidats à la mairie sont conscients qu’il faut rassembler les électeurs absents.
Sylvie Galtier est convaincue de l’intérêt d’une campagne 2.0. 67,8 % de la population de Saint-Hilaire-de-Brethmas a moins de 60 ans. "Dès le départ, explique-t-elle, nous avons mis en place une stratégie sur la toile, en complément des moyens traditionnels". Aujourd’hui, sa page Facebook rassemble 1042 abonnés. Elle est régulièrement mise à jour et alimentée par des photos et des vidéos.
Cela fonctionne plutôt bien. Au premier tour, nous avons réalisé notre réunion publique sur Internet. Il y avait un peu plus de 100 connexions en direct, la vidéo a été partagée et visionnée plusieurs fois après. C’est un outil intéressant car on touche d’autres personnes. On bascule toutes nos actions sur les réseaux sociaux. Il faut utiliser les nouvelles technologies, c’est indispensable.
Justement, pendant le confinement, l’équipe de Sylvie Galtier a créé sur Facebook un groupe d’entraide pour les habitants de Saint-Hilaire-de-Brethmas. Une manière de montrer les actions mises en place pendant l’épidémie, notamment la distribution de masques ou encore de pâtisseries dans un Ehpad. L'outil permet aussi à l’équipe de publier des sondages en tout genre.
Sylvie Galtier précise toutefois que la campagne via Internet reste complexe. "On a été la cible d’attaques. On a pu observer des faux comptes Facebook, avec des messages injurieux, des mensonges. Mais cela fait partie du jeu. Le problème, c’est que sur les réseaux sociaux, cela prend de l’ampleur, cela amplifie fortement les petites polémiques". La candidate regrette néanmoins que la campagne se joue essentiellement sur la toile.
On est privé de tout contact. Je suis quelqu’un de terrain. On va user des moyens traditionnels dont on dispose (distribution de tracts, appels téléphoniques, campagne d’affichage). On a quand même réservé une salle, au cas où nous pourrions faire une réunion publique, avec l’accord des autorités.
La candidate et ses colistiers estiment avoir bien occupé le terrain, via le web, à l’inverse du maire sortant, Jean Michel Perret qui n’a pas misé sur Internet : "J’ai préféré être discret pendant la période Covid-19. Je suis resté conscient que mes actions pourraient m'être reprochées par la suite. Pour cette nouvelle campagne, il est indispensable d’occuper le terrain sur la toile". Privé de réunion publique avant le 1er tour, Jean-Michel Perret met en place, malgré lui, une stratégie 2.0 en plus des moyens traditionnels dont il dispose.
A partir de lundi, avec ses colistiers, il va publier deux modules courts sur une page Facebook dédiée et sur sa page personnelle. "C’est une alternative, même si pour moi rien ne vaut le contact direct. Les postures, les regards, les gestes sont absents ou masqués. Ce n’est pas réel, cela reste une campagne virtuelle. C’est sans saveur. Je trouve aberrant que les élections aient été maintenues dans ces conditions. Dès janvier, on aurait pu prévoir un report. On l’a bien fait en 2007."
Une campagne particulière pour les maires ruraux
L’organisation d’une campagne est un vrai casse-tête pour tous les candidats, confirme Jean-Jacques Marty, président des maires ruraux du Languedoc-Roussillon et maire de Saint-Ferriol dans l'Aude. "Pour le monde rural, c’est encore plus compliqué. La communication est en général axée sur du porte-à-porte et des réunions publiques. Le relationnel est primordial pour débattre du programme en cours. Le candidat peut ainsi défendre ses idées. Les administrés font parfois des amalgames."
Jean-Jacques Marty cite ainsi l'exemple d'administrés reprochant la hausse du tarif des ordures ménagères à un maire. "Lors de réunions ou d’échanges verbaux, il est possible d’expliquer que ce n’est pas la compétence d’un maire aujourd’hui. Les citoyens sont privés d’information et ce n’est pas sur Internet qu’ils débattront. Les sites web, les réseaux sociaux, cela reste marginal dans le monde rural."
Il reconnait aussi que la crise sanitaire pourrait profiter au maire sortant.
Il est fort probable que des maires sortants, en ballottage au premier tour, bénéficie du contexte de crise. Ils pourront mettre en avant leurs actions. Du coup, cette élection sera biaisée.
Aujourd’hui, l’élu reçoit de nombreuses doléances des candidats en campagne, notamment à propos de la conduite à tenir lorsqu’un colistier se retire d’une liste. Certains s'interrogent sur des réservations de salles pour des réunions publiques, malgré les interdictions. Dernièrement, une candidate a reçu des tracts diffamatoires et se demandait comment démentir. Bref, les sollicitations ne manquent pas.
Conquérir les électeurs
Le principal enjeu de ce second tour est de parvenir à intéresser les électeurs. Directeur de recherche au CNRS en science politique, Emmanuel Négrier considère qu’une campagne électorale suppose une certaine agitation sociale dans l’espace public: "La campagne se déporte sur les réseaux sociaux, il faut donc prendre en compte la sociologie de ceux qui y sont particulièrement actifs en termes d'intervention ou de réception."
Emmanuel Négrier estime qu'un risque fort existe de voir une fracture numérique, non pas tant pour l'accès au matériel, mais pour la motivation à aller sur les réseaux pour obtenir ce type d’informations. "Une campagne, c’est souvent l’offre qui va à la rencontre de la demande. Or, pour être touché par les réseaux, il faut avoir déjà manifesté un intérêt à la chose politique, ou bien chercher soi-même. Toute la théorie de la campagne de substitution numérique repose sur le fait que les électeurs vont faire la démarche de s'informer sur ces réseaux et qu'ils vont recevoir de manière égale les informations relatives aux campagnes des différents candidats."
Convaincre des convaincus
La campagne virtuelle va convaincre des convaincus pense Emmanuel Négrier. Lors d’un déplacement de campagne électorale, sur le terrain, l’échantillon est aléatoire. Sur Internet, le débat politique est donc destiné à un public spécifique, une certaine catégorie sociale et une tranche d’âge. Il s'adresse à un nombre restreint de personnes déjà intéressées, comme c’est d’ailleurs le cas dans les meetings.
Cette campagne numérique sera biaisée. Les ménages les plus précaires ne s'y retrouveront pas et l'éloignement social ira de pair avec l’éloignement informationnel.
Pour mesurer l’impact de cette campagne électorale, il faudra mesurer le taux de participation des électeurs le 28 juin prochain. Un résultat qui sera à pondérer en fonction de la situation sanitaire du moment.