Pendant quatre ans, des infirmiers libéraux ont testé un nouveau dispositif de rémunération au taux horaire au lieu de la tarification à l'acte. Ils sont 180 en France dans trois régions dont l'Occitanie. Un dispositif satisfaisant pour les patients mais également pour les soignants.
Dominique Jakovenko est un infirmier heureux. Lui qui exerce son métier en libéral dans le rural à Saint-Christol-Lèz-Alès dans Gard est parmi les 180 infirmiers français à expérimenter le dispositif Equilibres, piloté par l'ONG "Soignons humain".
Le dispositif, inspiré de l'expérience Buurtzorg (soins de proximité) aux Pays-Bas, s'appuie sur une rémunération au taux horaire de 53,94 €, au lieu de la tarification à l'acte en vigueur actuellement, une reconnaissance totale des différentes facettes du métier et l'apprentissage de l'autonomie pour les patients.
Avancée majeure pour la profession
Ceux qui l'expérimentent depuis quatre ans parlent d'une avancée majeure. "80 % de ce que demandent les infirmiers libéraux en colère nous est octroyé et c'est une solution au malaise de la profession", affirme Dominque Jakovenko. Une profession harassante avec des infirmiers qui "enchaînent les actes, manquent de temps pour les patients et s'épuisent, perdent le sens de leur métier", note Mathieu Nochelski, qui codirige l'association Soignons Humain. Une dégradation des conditions de travail au cœur des revendications actuelles des infirmiers libéraux.
Prendre le temps qu'il faut
Dominique Jakovenko qui a intégré le dispositif expérimental dès son lancement ne tarit pas d'éloges. "Toutes nos compétences sont reconnues comme le fait de mettre des bas de contention, enlever une sonde urinaire, les séances de prévention thérapeutique. Nous décidons de façon autonome de tout ce dont le patient a besoin. Si on passe trois heures, on sera rémunéré en conséquence et pareil si on ne passe qu’une demi-heure avec un patient en fonction de ce que l'on va faire."
Toutes les compétences de la fonction infirmière sont enfin reconnues.
Dominique Jakovenko, infirmier à Saint-Christol-lèz-Alès
Se rendre "invisible"
Un dispositif qui permet aux expérimentateurs de "prendre le temps qu'il faut avec nos patients". "Quand on fait ce métier, c'est parce qu'on aime prendre soin des autres. C'est enfin possible avec cette expérimentation contrairement au protocole classique qui ne permet pas une prise en charge globale du patient.
Je ne me verrai pas revenir en arrière.
Angela Barbossa Ferreira, infirmière libérale à Caissarges
Patients autonomes
Un des piliers du protocole, c'est l'autonomisation des patients. "On appelle cela se rendre invisible" ajoutent Dominique Jakovenko et Marine Dussaut.
"Nous avons appris à des patients toujours en activité à faire eux-mêmes des injections (de Lovenox), contre les phlébites, pour qu'ils ne soient pas tributaires - lorsqu’ils travaillent ou qu'ils doivent aller chercher leurs enfants à l'école - de nos horaires de passage", ajoute Emilie Etienne, infirmière à Alès.
Ils ont, par exemple, amené des octogénaires à faire seuls des injections d'insuline.
Une des plus belles réflexions que l'on a eue est celle d'une dame diabétique de 83 ans qui nous a dit en souriant : 'je ne serai plus obligée de vous attendre pour manger.'
Dominique Jakovenko
Prise en charge des aidants
Pour des soins palliatifs, les infirmiers peuvent passer plusieurs heures avec des patients, ce qui renforce leurs liens avec les familles. "On s'occupe ainsi du patient et de l'aidant alors qu'il est invisible dans la nomenclature des actes, même s'il y a des besoins."
"Nous avons pris en charge un patient qui, après un cancer ORL et une trachéotomie, était nourri par sonde. Il était sorti de l'hôpital avec trois escarres, son état nécessitait 4h15 de soins journaliers. À 28 euros auparavant, ce n'était pas vivable pour nous. On a mis en place un plan d'aide pour son épouse et, au bout de quatre à six mois, ces patients sont devenus autonomes. Nous avions formé son épouse à réaliser certains gestes en toute sécurité. Ils avaient acheté un mobile home en Lozère qu'ils n'avaient pas pu utiliser. Devenus autonomes, ils ont pu partir en vacances tout l'été car on avait appris à l'épouse d'un patient à faire le nécessaire en cas de problème".
Et les exemples ne s'arrêtent pas là. "On s'occupait d'un patient qui avait des troubles de la mémoire. Avant, on le rasait pour aller plus vite. Ensuite, on lui a réappris à le faire tout seul, petit à petit. On a constaté qu'il prenait du plaisir à s'autonomiser et à prendre soin de lui", ajoute Marine Dussaut. "Cette façon de travailler valorise le travail en équipe. Chaque mois, nous faisons le point avec les autres infirmières du cabinet, cela permet d'échanger, de voir ce qui va et ne va pas et de réajuster les choses.
1 624 € d'économies par patient et par an
L’évaluation révèle "la diminution du nombre d’hospitalisations" et "une amélioration de l’état de santé des patients" pris en charge par une équipe, sur le court et le moyen terme, comparée à un groupe témoin. La consommation globale de soins est plus faible (-25 %), soit en moyenne 1 624 euros déboursés en moins chaque année par patient.
Lancée en juillet 2019 dans trois régions dont l'Occitanie, l'expérimentation a mobilisé 180 infirmiers libéraux d'une trentaine de cabinets et employés dans des centres de santé et inclus 27 715 patients selon l'ONG "Soignons humain".
Généralisation du dispositif
Deux syndicats infirmiers, le Sniil et la FNI, craignant un salariat déguisé et une rémunération insuffisante, n'ont pas adhéré au projet. Il a toutefois été acté par le ministère de la santé fin décembre pour une phase transitoire de 18 mois. Il devrait se généraliser sur tout le territoire d'ici à 2025. Une bonne nouvelle pour la grande majorité des infirmiers ayant intégré l'expérimentation au début, dont Emilie Etienne, car "ça humanise les soins. C'est l'idéal."