À 40 ans, il a découvert qu'il était le fils de Jacques Fesch, guillotiné en 1957 pour avoir tué un policier lors d'un braquage. Depuis, Gérard Fesch n'a cessé de lutter pour annuler la condamnation de son père, repenti en prison. Un combat définitivement annulé par une décision de la Cour de Cassation, le 16 octobre 2024.
Pendant 30 ans, Gérard Fesch a tenté de restaurer la mémoire de son père meurtrier. Son combat s’est finalement soldé par un échec. Mercredi 16 octobre, la Cour de Cassation a en effet rejeté la réhabilitation judiciaire de Jacques Fesch, guillotiné en 1957, à l’âge de 27 ans, pour avoir tué un policier père de famille. Une décision sans appel, qui laisse un goût amer à l’enfant placé.
Une douzaine de familles d'accueil
À sa naissance, en octobre 1954, Gérard Troniou, du nom de sa mère, est laissé à l’abandon à l’assistance publique des hôpitaux de Paris (APHP). À cette époque, son père est déjà derrière les barreaux. Il a braqué une banque et tué un gardien de la paix dans la foulée, un mois après avoir conçu l'enfant qu'il n'a jamais connu.
De son côté, Thérèse Troniou fait tout pour que son fils ne la retrouve pas. Au point de demander à ce que son nom soit changé. Gérard Troniou, devenu Droniou, donc, traverse la vie d’“une douzaine de familles d'accueil” avant de mener la sienne, loin de ses racines.
Cet article de l’Express
Jusqu’à ce jour de 1994. Une amie lui fait parvenir un article de l’Express. “Lis jusqu’au bout”, le conseille-t-elle. Il y découvre alors l’histoire mystique de Jacques Fesch, le prisonnier repenti. Et, en bas de page, l’existence de son fils illégitime.
La ressemblance physique, la concordance des dates… Gérard Fesch contacte le journaliste de l’Express qui dispose de documents d’époque signés par sa mère. Plus de doute : il vient de retracer sa filiation après “de longues années de recherches”.
Une bataille pour le nom
Débute alors un premier combat : récupérer le patronyme paternel. Cour d’appel, de cassation, puis nouveau renvoi en cassation. Gérard Droniou devient Fesch en 2007, malgré les objections de la première fille de Jacques, Véronique, qui n’a cessé d’entraver la bataille judiciaire de son demi-frère.
Cette reconnaissance ne lui suffit pas. Au fil de ses recherches, Gérard Fesch en est devenu convaincu : son père, devenu bon en prison, a été “privé de son droit à une authentique justice”. Contre “un procès bâclé”, il souhaite sa réhabilitation, soit l’effacement de sa condamnation selon le principe du pardon.
Un "cheminement" carcéral
Plusieurs preuves historiques étayent son argumentaire. Les écrits de son père en prison, d’abord. Devenus célèbres à titre posthume, ils ont bouleversé la communauté catholique. Au point que l’Eglise entame son procès en béatification en 1987. Procédure toujours en cours au terme de laquelle le guillotiné pourrait se voir octroyer la bénédiction du pape.
Gérard Fesch précise qu’il n’est pas chrétien. Selon lui, le “cheminement” carcéral de son père, “paresseux et vantard” avant la prison, a eu “un impact au-delà du monde religieux”.
“Il était en paix avec sa mort”, raconte encore Gérard, qui montre en exemple ces quelques phrases, écrites par Jacques Fesch avant de monter à l’échafaud : "Chaque goutte de mon sang sert à empêcher un crime. Dans quelques heures, je verrai Jésus."
"Il s’est soucié de mon existence"
Autre motivation, plus personnelle : Jacques a mentionné son fils dans son ultime lettre à ses proches. “Qu’il sache que s’il n’a pu être mon fils selon la loi, il l’est selon la chair et son nom est gravé dans mon cœur”, écrit le condamné sur un document photographié par l'AFP.
“Ce qui me pousse à aller au bout de choses, c’est qu’il s’est soucié de mon existence. Et qu’il avait quelque part une âme de père”, explique Gérard Fesch à l’Institut National des Archives en 2002. Soutenue par l’ex garde des Sceaux (à l’époque avocat) Olivier Dupont-Moretti, la demande de réhabilitation est déposée près la Cour d’Appel de Nîmes, en 2019.
Dupont-Moretti et la QPC
Il a néanmoins fallu passer par une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC), car la loi ne prévoyait pas la réhabilitation de personnes exécutées.
Les Sages leur concèdent finalement cette possibilité. Première victoire. Puis, en juin 2024, lors de l’audience et sous les yeux de Gérard Fesch et sa famille, Maître Spinosi plaide pour “rendre son honneur à un homme dont le parcours en détention avant son exécution a désormais valeur d'exemple".
Insuffisant puisque mercredi 16 octobre, à l’issue d’un parcours judiciaire de cinq ans, la Cour de cassation a rejetté définitivement la demande : "les éléments analysés pris dans leur ensemble ne constituent pas des gages d'amendement suffisants".
"Belle déception"
Pour son fils, c’est “une très belle déception”. “La justice a loupé une occasion de rendre une décision humaniste”. Depuis son nouveau domicile Corse, le musicien retraité continue de jouer pour le plaisir.
Un “goût pour la musique” développé dès l’adolescence, quand il ne se savait pas encore fils d’un jazzman et petit-fils d’un pianiste. Ce lien “transmis par les gênes, peut-être” qui le rattache à la famille qu’il n’a pas eue.