Comment gardent-ils des dossiers criminels ouverts ? Comment se résolvent-ils à les refermer ? Stéphane Bertrand, procureur adjoint, chargé des affaires criminelles au tribunal judiciaire de Nîmes et Christophe Tessier qui dirige le pôle de l’instruction à la cour d’appel du Gard nous répondent.
Nous avons rencontré les deux magistrats lors du tournage de notre enquête de région sur les affaires non résolues diffusée le mercredi 12 Janvier à 23 h sur France 3 Occitanie.
France 3. Quand on parle d’affaires non résolues, la crainte pour les familles, c’est qu’on les oublie et que la prescription s’installe. Elle ne tombe pas comme un couperet qui mettrait un terme à toutes les recherches ?
Stéphane Bertrand. Sur une affaire criminelle, la prescription est de 10 ans à partir du moment où la procédure ne vit plus ou il n’y a plus d’actes de procédure. Il y a très peu d’affaires qui se terminent par la prescription. Dans les affaires criminelles, on exploite plusieurs pistes et cela prend du temps. Des mois, voire des années. Ce n’est ni spectaculaire, ni visible, mais dans les affaires anciennes il y a des actes qui sont établis. Des recherches effectuées. A partir du moment où l’on arrive sur une impasse totale.
Quand il n’y a plus rien à chercher, sans attendre la prescription, si on se dit qu’on a tout fait, tout tenté, on met un point final à l’enquête.
Stéphane BertrandProcureur adjoint à Nîmes
France 3. Une décision qui ne doit pas être facile à prendre car il y a l’émotion des personnes concernées, les victimes.
S.B. Laisser un dossier ouvert sans actes d’instruction c’est aussi donner de faux espoirs. On a deux types de crimes, ceux qui sont résolus facilement car les indices trouvés sur place sont très parlants et que l’on a tout de suite des suspicions, des mobiles. Et puis il y a des crimes sur les lieux desquels on arrive longtemps, très, voire trop longtemps après leur commission. Des crimes où il n’y a pas de mobile évident, avec des traces sur place qui ne sont pas très parlantes, avec aussi des difficultés à reconstituer l’emploi du temps de la victime. A ce moment-là on se lance dans des enquêtes de longue haleine car tout doit être exploité et vérifié.
Si on fait ce métier, au parquet et à l’instruction c’est parce que l’on veut trouver la vérité.
Stéphane BertrandProcureur adjoint à Nîmes
La pugnacité des magistrats et des enquêteurs
Un dossier va continuer à vivre parce qu’il y a des éléments à exploiter, des zones d’ombre à éclaircir, des portes à fermer. Un dossier se ferme lorsque plus aucun espoir n’est permis.
France 3. Parfois, des enquêtes sont résolues plusieurs années après grâce aux progrès scientifiques ou à la chance ?
S.B. Parfois un élément va survenir plusieurs années après et en le déroulant, on va résoudre une affaire mais souvent c’est parce que les enquêteurs n’ont pas lâché et que les investigations des années précédentes ont été extrêmement pointues. Si des empreintes génétiques parlent c’est qu’auparavant, des prélèvements génétiques ont été faits au bon endroit, au bon moment. Que des analyses ont été ordonnées et que ces analyses tournent dans le fichier des empreintes génétiques.
F3. Quand il n’y a plus d’investigations à mener comment cela se passe-t-il, comment l’annoncez-vous aux familles ? C’est un moment difficile ?
Quand un juge d’instruction vient me voir en me disant qu’il estime qu’il n’y a plus rien à chercher, j’examine à mon tour le dossier pour avoir un regard neuf, et si j’arrive à la même conclusion, le dossier va se terminer par un non-lieu. L'annoncer aux parties civiles, aux familles des victimes est toujours un moment extrêmement compliqué. C’est le juge d’instruction ou le procureur ou l’avocat des familles qui s’en charge. La seule obligation pour nous est de chercher jusqu’à ce qu’on ait épuisé tous les moyens possibles et imaginables.
On ne peut jamais rien garantir mais l’énorme majorité des crimes commis sont élucidés.
Stéphane Bertrand
Une enquête peut être rouverte si un élément nouveau apparaît, à condition que la prescription ne soit pas passée.
Comment s’occupe t-on d’un dossier ouvert depuis des années et qui est passé entre les mains de plusieurs magistrats?
Christophe Tessier.Il faut déjà le regarder et voir si l’on ne peut pas ordonner des investigations techniques qui étaient auparavant impossibles et qui le deviennent. Essentiellement, les investigations et les expertises sur la génétique ne serait-ce que pour déterminer un ADN, même inconnu.
La difficulté des vieilles affaires réside souvent dans la mauvaise conservation des scellés car les techniques là aussi ont évolué. Mais souvent les experts arrivent aujourd’hui à passer outre cette difficulté.
Christophe TessierChef du pôle de l'instruction à la cour d'appel de Nîmes
F3. Le but c’est aussi d’avoir un œil neuf sur un vieux dossier ?
CT. C’est un avantage d’avoir un œil neuf sans que cela veuille dire que son prédécesseur a mal travaillé. Chacun a sa perception du dossier.
F3. En tant que juge d’instruction, vous gardez un contact humain avec ces affaires ?
Il est indispensable. Il doit s’ancrer dans la dimension humaine des parties civiles. Elles ont avec ce statut, un lien avec l’enquête et on peut ainsi leur dire « on continue ». Il est bon d’entendre ces parties civiles pour leur expliquer ce que l’on fait et ce que l’on ne peut pas faire. Pour éviter qu’elles se disent que l’on a des choses à cacher. Pour expliquer ce qui a été fait ou pas et pourquoi. Une fois que toutes les pistes sont fermées, si les enquêteurs vous disent qu’ils ont tout fait, vous relisez le dossier et vous ne le refermez pas sans avoir entendu une dernière fois la partie civile pour le lui dire.
Clôturer un dossier ne veut pas forcément dire y mettre fin. Des éléments nouveaux peuvent surgir et le parquet aura toujours la possibilité de rouvrir dans le temps de la prescription.
Christophe TessierChef du pôle de l'instruction
La difficulté de fermer un dossier
CT. Ce n’est pas facile de fermer un dossier. C’est aussi admettre un échec et se dire que malgré tout ce que l’on a fait, on est obligé de fermer un dossier. Ce n’est pas facile mais il faut le faire car il n’y a rien de plus dramatique que de fermer un dossier sans en faire part aux parties civiles.
Le progrès scientifique n’est pas un argument suffisant pour garder ouvert un dossier ?
CT. C’est une conception du droit français. On pourrait en imaginer d’autres. Mais elle permet de considérer que la clôture d’un dossier n’est pas un acte définitif.
Enquêtes de région mercredi 12 janvier à 23h
Enquêtes de région vous propose un numéro sur des méthodes d’enquêtes criminelles des policiers et gendarmes en Occitanie.
Anne-Sophie MANDROU et Nicolas ALBRAND se sont rendus à Nîmes et à Montpellier pour en savoir plus sur les méthodes de ces professionnels à travers trois reportages :
• Les cold cases, comment enquêter et faire déboucher des affaires anciennes ?
• Les techniques utilisées par la police scientifique
• La formation des chiens de la gendarmerie au centre d’entraînement de Gramat dans le Lot
L’émission laisse également la place aux expertises et aux témoignages avec :
• Éric MAUREL, Procureur de la République de Nîmes
• Christian SIATKA, Généticien et directeur de l’école de l’ADN à Nîmes
• Michel MOATTI, Maître de conférences en sociologie à l’Université de Montpellier et romancier spécialiste du polar.
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