Un an après le double homicide perpétré dans sa commune, le maire veille et travaille à la cohésion du village. Avec discrétion, humour et humanité.
"J'ai démarré un mandat avec toute la naïveté de quelqu'un qui ne cherchait pas à être maire, du coup je me suis appliqué à la tâche". Bernard Mounier, 67 ans, a été élu maire des Plantiers le 23 mai 2020. Un village de carte postale qui a basculé dans l'horreur le 11 mai 2021. Ce jour-là, Valentin Marcone employé d'une scierie a tué son patron Luc Teissonière ( 55 ans ) et Martial Guérin( 32 ans) son collègue de travail, avant de s'enfuir dans la montagne.
Scènes hallucinantes
L'homme, entraîné au tir, lourdement armé et paranoïaque, nourrissait une haine féroce envers l'ancien maire et son conseil municipal. 350 gendarmes sont appelés sur place pour traquer le fugitif et protéger les villageois. " Nous avons vécu des scènes hallucinantes. Entouré d'unités d'élite, j'ai dû exfiltrer des villageois. A bord d'un véhicule blindé, il aide les militaires à mettre les habitants du village en sécurité, fait barricader l'Ehpad qui accueille 22 personnes âgées. Il fait ouvrir les campings et les gîtes, communique avec les journalistes. Le fugitif finira par se rendre après quatre jours de traque et d'angoisse pour le village.
Construire
Un an après la tuerie des Plantiers, au quotidien, Bernard Mounier retisse le lien.
Dans une collectivité de 256 âmes, nous devons pouvoir dire qu'au plus profond de notre tristesse et de cette dramaturgie, nous sommes capables de relever la tête et de revivre ensemble, de donner du sens à nos vies et surtout de reconstruire du bien commun.
Bernard MounierMaire des Plantiers
Un an après le double assassinat, la nature et les couleurs explosent aux Plantiers. Le village somnole baigné dans le silence et la chaleur d'une après-midi quasi-estivale. La salle du conseil municipal, transformée après la tuerie en QG opérationnel, a retrouvé sa fonction première. Bernard Mounier qui habite une maison en surplomb en face de la mairie n'a que quelques pas à faire jusqu'à son bureau. Sa porte est toujours ouverte à tous ceux qui ont besoin de lui parler.
Ecoute
"Un maire c'est celui qui peut dans son bureau recevoir des gens perturbés et être à l'écoute et proposer une voix. Je ne suis pas l'homme des certitudes. J'essaie d'avoir une douceur dans ma voix, une douceur dans mes gestes pour essayer d'amener les gens à ne pas entrer dans des process de brutalité verbale ou gestuelle mais j'ai mes propres failles.
Un an après on est sortis de cette ornière dans laquelle on est entrés et dans laquelle on aurait pu rester définitivement. On a réappris à sourire, en langage trivial on se fait plus la gueule. Je pense qu'ici on est entrés dans une très forte résilience.
Bernard MounierMaire des Plantiers
Digne
Bernard Mounier rencontre régulièrement Camille Desort et Fiona Teisonnière, les femmes des deux victimes. Deux femmes brutalement privées de leurs mari et compagnon, devenues très proches depuis. Deux femmes impressionnantes de force et de dignité.
"Nous devons construire quelque chose qui n'existait pas hier. Ces femmes sont d'une très grande modernité car elles construisent quelque chose qui n'a jamais existé avant. Elles sont des éclaireuses sur un sentier parfois sombre ou qui peut le devenir. Ce sont de belles personnes qui sont dans l'humilité et la discrétion. Elles ont mis la barre très haut. Nous devons être dignes de ces femmes.
Je veux être digne de ces femmes, à la hauteur de ce qu'elles espèrent et de considérer qu'il faut que je leur parle le plus souvent possible car là ou il y a le silence il y a la mort, là ou il y a la parole il y a la vie. Tant qu'on se parlera il y aura la vie.
Bernard Mounier
Mais la parole n'est pas suffisante pour tisser la vie, il faut qu'elle tisse du lien, les mots, les regards les uns pour les autres c'est aussi entrer dans une dynamique de confiance.
Parcours atypique
Cette confiance se lit aussi dans les yeux de ses collaboratrices. Sa première adjointe ou sa secrétaire de mairie qui lèvent les yeux au ciel quand il dit qu'il ne se représentera pas. L'homme observe ses interlocuteurs avec un sourire bienveillant. A 67 ans, ce natif de la Grand-Combe diplômé de théologie, a un parcours aussi riche qu'atypique. Ancien pasteur, consultant pour l'ONU, ex-sociétaire de l'Académie de Nîmes, Bernard Mounier a formé les médias du Burundi après le coup d'Etat de 1994. Repéré par le Conseil des droits de l'homme de l'ONU, pour sa capacité à gérer les conflits, il ira ensuite au Rwanda, en Côte d'Ivoire, avant de lancer une entreprise de production audiovisuelle à Nîmes. Le tout entre les années 1990 et 2000. En 2020, il est élu maire des Plantiers.
"La première année, nous avons eu trois périodes de confinement, deux catastrophes naturelles et un double assassinat. Pour un début de mandat, c'est une expérience intéressante. Si j'avais besoin de postuler à un job ça remplirait bien mon CV.
Bernard Mounier
Savoir improviser
Il se serait volontiers passé de cette dernière ligne dans son CV. Ses vies antérieures l'ont sans aucun doute aidé à gérer la crise, malgré un manque de confiance aigüe pour celui qui confie une peur permanente de paraître idiot. Après la tuerie, il dit avoir improvisé. Comme ces musiciens de jazz qu'il allait écouter dans des clubs de New-York. "On me disait : "Tu as vu, ils improvisent tous. J'ai trouvé ça bizarre car c'était harmonieux.
J'ai compris plus tard que pour pouvoir improviser, il fallait être un excellent musicien. Quand sont arrivés ces événements, je me suis dit "tu es en train d'improviser". Et si tu y arrives c'est que tu ne dois pas être un si mauvais musicien que ça.
Bernard MounierMaire des Plantiers
Ensuite il faut arriver à jouer avec les autres, je m'y suis appliqué" .
Bernard Mounier, l'humaniste, l'homme, le maire s'applique chaque jour à avancer guidé cette fois par la phrase d'une femme rencontrée en Argentine parmi Las locas de Mayo, " la seule lutte que l'on perd c'est celle que l'on abandonne".