Témoignage. Tuerie des plantiers : "j’avais la nausée, je tremblais", un an après le double meurtre, les femmes des deux victimes racontent le jour du drame

Publié le Écrit par Josette Sanna

Luc Teissonnière, 55 ans, patron d'une scierie du village des Plantiers et Martial Guérin, son employé de 32 ans, ont été assassinés par un de leurs collègues le 11 mai 2021. Un an après le drame, les femmes des deux victimes livrent leur témoignage. Fort et digne.

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Elles se connaissaient à peine "avant". Elles se connaissent par cœur "depuis". Avant le 11 mai 2021, Fiona Teissonnière, était l'épouse de Luc, patron d'une scierie aux Plantiers. Un magnifique village cévenol de 254 habitants, aux maisons aux murs de schiste et volets bleus, traversé par une rivière. Un village tranquille où l'on n'aurait  jamais imaginé qu'il puisse se passer quoi que ce soit et surtout pas le pire. Et c'est pourtant ce qui s'est produit. Alors qu'elle attendait son mari pour déjeuner vers midi, "puis midi 30, puis midi quarante", Fiona Teissonnière attrape son portable. 

Machinalement, je regarde mon téléphone sur Facebook et je vois "Faits divers aux Plantiers : un patron assassiné à la scierie Teissonnière, mais la scierie Teissonnière, il n’y en a qu’une ! Luc Teissonnière, c’est Luc !

Fiona Teissonnière

Deux morts

Fiona Teissonnière apprendra en allumant la télé qu'un employé a aussi été tué. "Je savais que c'était Valentin Marcone qui avait tué mais je ne savais pas lequel des deux autres employés était mort". L'autre victime c'est Martial Guérin 32 ans, tué d'une balle de pistolet et achevé d'une seconde en tentant de s'interposer. Martial était un garçon épris de nature, passionné de brocante comme Camille, avec qui il était en couple depuis dix ans. L'enseignante, professeur des écoles est en classe lorsqu' elle reçoit un coup de fil. "Une amie m’a appelée. Je n’ai pas décroché et elle m’a rappelée tout de suite. Elle s’attendait à ce que je sache et elle était en pleurs au téléphone".

A la façon dont j’ai répondu, elle a compris que je ne savais pas et elle a raccroché car elle ne savait pas comment réagir.

Camille Desort

Compagne de Martial Guérin

"C'est Martial"

Camille Desort comprend qu'il se passe quelque chose de grave : "Instinctivement je me suis dit : c’est Martial. J’ai essayé de me raisonner. J’ai essayé de rappeler la scierie, sans succès. Au fond de moi, je savais que c’était Martial. Et à chaque fois que j’appelais quelqu’un, il était en pleurs au téléphone.

Au standard de la gendarmerie, ils m'ont dit « Y a pas de morts, il n’y a que des blessés. Je me répétais cette phrase en boucle

Camille Desort

La jeune femme qui sait que le patron de la scierie a été tué n'aura la certitude de la mort de son compagnon qu'en milieu de journée.

"On ne pleure même pas, on ne sait plus qui on est, j’avais la nausée, je tremblais. On est plus soi-même. Le cerveau fait un blocage. Même le soir quand je suis arrivée au village, les gens me prenaient dans les bras, et je ne comprenais pas. Puis il y a eu la fuite pendant quatre jours ; je me disais je veux voir Martial et là on s’en rappelle. Il ne va pas revenir… 

Fuite

Après le double assassinat, Valentin Marcone prend la fuite dans la montagne. Il est lourdement armé et entraîné au tir. Le trentenaire à tendance paranoïaque qui allait travailler avec un gilet pare-balles prend la fuite dans la montagne cévenole muni d'un fusil à lunette, d'une arme de poing et de munitions. Un différend de travail avec l'ancien maire des Plantiers et des membres du conseil municipal fait craindre que le fugitif s'en prenne aussi à eux.

Traque

Les habitants des Plantiers sont regroupés chez eux avec interdiction d'en sortir. Les personnes menacées sont exfiltrées par les gendarmes. Près de 350 militaires sont sur place, les hélicoptères tournent en permanence au dessus du village. La traque de Valentin Marcone va durer quatre jours. 

"On était dans la brume", se souvient Fiona. Une brume presque confortable", continue Camille car il y avait beaucoup de monde aux Plantiers, c’était le week-end de l’ascension, on ne voyait que des gens qu’on aimait, tout le monde était gentil avec nous sans être lourd.

On était dans une bulle.

Fiona et Camille

Quatre jours surréalistes pour Camille. "Je ne voulais pas que ça s’arrête. On était entourées".

On redoutait l’après. De retourner chez nous, seules à la maison.

Fiona et Camille

Pourquoi ?

Affamé et assoiffé, le fugitif qui se cachait à 800 mètres de chez lui va se  rendre le 14 mai après plus de 80 heures d'angoisse. Pourquoi Valentin Marcone est-il venu armé ? Pourquoi a-t-il sauvagement abattu deux hommes ? En garde à vue, il avancera un motif futile, de refus de travail d'une heure supplémentaire ou d'un bonjour non rendu selon le témoin du drame.

Le témoin

Ce témoin c'est Vincent, un jeune homme de 19 ans qui a tout vu. Il a assisté au meurtre de Luc Teissonnière et de Martial Guérin. Il a pensé que lui aussi allait être tué. Il a supplié l'assassin présumé de l'épargner, il s'est enfui et a donné l'alerte.

Ce témoin nous l'avons rencontré par hasard devant la scierie de Luc Teissonnière en bordure de route. Un jeune homme souriant est descendu d'un engin pour venir à notre rencontre. "Je suis Vincent", nous a simplement dit le jeune homme avant de retourner travailler.

Luc est mort, je me devais de faire quelque chose pour que la scierie survive. Le patron était décédé, mais celui qui l'avait tué restait salarié. Il me tenait à cœur de le licencier.

Fiona Teissonière

Fiona Teissonnière prend la tête de l'entreprise et effectue toutes les démarches pour licencier Valentin Marcone : paiement de l'URSAFF, de ses indemnités de licenciement, de sa mutuelle, ses congés payés et les onze jours travaillés au mois de mai... pour qu'il ne fasse plus partie de la masse salariale. "Entre temps, Vincent et un autre ancien employé m'ont dit qu'ils voulaient retravailler. J'ai fait le pari de continuer.

Construire

Continuer coûte que coûte. Avancer "car on a pas le choix", sans se plaindre ni se faire plaindre. Les deux femmes qui se décrivent dans un demi-sourire comme des compagnes "d'infortune" se construisent chacune de leur côté, la vie "d'après" aux Plantiers. Il n'a jamais été question d'en partir pour Camille, originaire de Lille : "la question ne s’est pas posée. J’y ai ma famille, mes amis. Je ne me suis pas du tout posé la question".

Des gens m’ont dit : "tu devrais partir". J’ai perdu l’amour de ma vie. Je ne vais pas perdre ma famille et mes amis en plus.

Camille

"J'ai toutes mes attaches ici, ajoute Fiona. Nous les protestants, avons nos cimetières dans les jardins. Pendant les guerres de religion, les protestants n’ont plus eu le droit d’enterrer leurs défunts dans les cimetières municipaux. Donc ils les enterraient dans le jardin, dans la cave, là où ils le pouvaient.

J’ai deux cimetières, l’un ancien dans un jardin potager, et l’autre avec mes parents et mon mari.

Fiona

Reconstitution

Dans quelques semaines, aura lieu la reconstitution du drame. "On espère y assister. On sait que c'est une étape importante pour savoir ce qui s'est passé pour tenter de comprendre avant le procès". 

Un événement de plus que les deux femmes qui disent "être le miroir l'une de l'autre", affronteront et surmonteront. Ensemble.

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