Léna, 20 ans, étudiante dans la région de Nîmes, a subi des violences de la part de son partenaire dans son adolescence. Comme elle les femmes victimes se heurtent parfois à des blocages. Pourtant depuis le Grenelle en 2019, ces violences doivent être une priorité pour justice et forces de l'ordre.
En 2015, âgée de 15 ans, Léna débute une relation avec un homme d’une vingtaine d’années. Elle comprend très vite que ce qu’elle vit n’est pas normal : « c’était une personne violente, qui m’a fait subir des étranglements, un viol et même une tentative de meurtre ». En rupture familiale, l’adolescente cache la triste réalité à ses parents. Elle trouve la force de quitter cet homme quelques mois plus tard.
J’étais très jeune, je ne savais pas poser des mots là-dessus
Son silence s’installe : « j’étais très jeune, je ne savais pas poser des mots là-dessus. C’était ma première relation donc on ne se rend pas compte immédiatement que quelque chose ne va pas. On pense directement que c’est de notre faute. Il m’a fallu beaucoup de temps pour commencer à en parler ». Et cette volonté de ne plus taire ses maux surgit lorsque le harcèlement de son ancien bourreau commence. Il l’appelle et lui envoie des messages sans cesse. Elle se confie à ses parents qui l’accompagnent alors au commissariat.
Difficulté de porter plainte
« J’ai été reçu par un homme qui ne me prenait pas vraiment au sérieux. J’ai déposé le téléphone avec les aveux de mon ex sur la table. Il n’a pas voulu les voir et a préféré faire un discours en me disant que ma plainte ne servirait à rien et a insinué que si je revenais avec un cocard, là on me croirait », Léna tombe des nues.
Le policier joint par téléphone son ancien petit-ami et lui demande d’arrêter. Ce dernier s’exécute mais Léna vit dans l’angoisse : « ça n’enlève en rien la peur qu’on peut vivre au quotidien et c’est obsédant de se dire qu’on est en danger ». Le gendarme l'incite à ne pas poursuivre sa démarche. Hors, refuser un dépôt de plainte est interdit par la loi.
Améliorer la prise en charge des victimes dans les gendarmeries et commissariats était au cœur du Grenelle des violences conjugales de 2019. Selon les chiffres du gouvernement présentés le 5 mars dernier, en 2020, 90% des plaignantes s'en déclareraient désormais satisfaites.
Un pourcentage hors des réalités pour le collectif Nous Toutes, qui a mené sa propre enquête. « Environ 66% des personnes interrogées témoignent d’un très mauvais accueil dans les commissariats ou gendarmeries. Ce chiffre de 90% est vraiment très éloigné des témoignages qui évoquent des banalisations des faits, des refus de la plainte et même des comportements graves comme des insultes de la part des forces de l’ordre, » affirme Carolina Gauthier, militante de Nous Toutes 34.
#PrendsMaPlainte
— #NousToutes (@NousToutesOrg) March 24, 2021
? Banalisation des faits, refus de prendre la plainte, culpabilisation de la victime, moqueries, racisme : des milliers de femmes victimes de violences sexuelles témoignent de la façon dont les forces de l'ordre les ont (mal) traitées. https://t.co/YPkpwhgZpp pic.twitter.com/IVd2yXrYpT
Formation des gendarmes
Une autre avancée du Grenelle des violences conjugales est celle de la formation renforcée des forces de l’ordre sur les violences faites aux femmes. Le lieutenant-Colonel Danièle Goury, en charge de cette formation pour la gendarmerie de l’Hérault, explique sa difficulté d’application « le gendarme n’avait pas forcément tous les éléments propres aux violences conjugales. Par exemple, les violences physiques sont les plus mises en lumière. Mais les trois quarts des violences sont psychologiques ».
Le gendarme n’avait pas forcément tous les éléments propres aux violences conjugales
La formation des gendarmes aux violences conjugales existe pourtant depuis 2009. Dans l'Hérault une journée de sensibilisation a, depuis l'an dernier, été rajoutée. Ces actions ont pour objectif de repérer et de prendre en charge plus efficacement toutes les victimes de violences. « Les gendarmes doivent recevoir les victimes, dans l’anonymat et dans un bureau à part, spécialement dédié à leur prise en charge » ajoute Danièle Goury.
Une nouveauté qui n’a pas encore fourni de résultats probants selon Carolina Gauthier, militante de Nous Toutes 34. Elle s’interroge : « on ressent une pression des policiers et gendarmes qui sont finalement pas assez nombreux, les formations sont-elles menées sur suffisamment de personnel ?"
Nouvelle étape
Le 6 avril 2019, grâce à l’aide d’une animatrice de son lycée et d’une juriste, Léna trouve finalement le courage de déposer une plainte : « après deux ans, il est revenu en me disant que si on ne redevenait pas amis, je finirai en sang. Ses menaces m’ont fait prendre conscience de ses actes malveillants, il en était fier et content. Je ne pouvais pas rester comme ça sans rien faire ».
La jeune fille se retrouve une nouvelle fois devant la gendarmerie. Une seconde expérience qu’elle appréhende malgré quelques regrets : « Quand je disais quelque chose, la gendarme pouvait extrapoler. Et quand j’avais des hésitations, elle gardait les premières paroles et ne corrigeait pas forcément ce que je disais. Ce qui fragilise ma plainte car ces petits détails peuvent remettre toute ma parole en question ».
Une fois la plainte enregistrée, une enquête s'ouvre et c'est au tribunal de grande instance d'apporter, ou non, une réponse pénale. Éric Maurel, procureur de la République de Nîmes l’assure, « la majeure partie de ces dossiers trouvent une suite ». Ce n’est pas le cas pour Léna.
Dossier classé sans suite
« C’était une vidéo de désespoir », un cri du cœur de presque sept minutes diffusé sur son compte Instagram le 6 avril dernier. Léna reproche aux autorités leur absence de réponse, deux années après son dépôt de plainte. Sa vie est aujourd’hui mise entre parenthèses : « j’ai déjà redoublé ma première année à la FAC, je vais redoubler ma deuxième parce que je vis dans un stress constant de voir mon agresseur en liberté ». « Se reconstruire, et continuer sa vie dans l’attente, c’est infaisable pour moi » confie pleine d’émotions la jeune fille.
Se reconstruire, et continuer sa vie dans l’attente, c’est infaisable pour moi
« Je me suis retrouvée seule dans ma chambre à pleurer toutes les larmes de mon corps ». Quelques jours après la publication de sa vidéo et après deux ans d’attente, le couperet tombe, sa plainte est classée sans suite. « On se dit qu’il peut revenir. Surtout que quelques mois auparavant, en janvier, mon ex m’avait contacté pour me dire qu’il était convoqué à la gendarmerie et qu’il se retournerait contre moi ». La jeune fille vit dans l’angoisse. En 2019, sur les 146 femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint, 63 % ayant subi des violences antérieures avaient signalé ces faits aux forces de l’ordre.
Selon Eric Maurel, procureur de la République à Nîmes, ces classements sans suite peuvent intervenir pour plusieurs raisons : « certaines sont purement légales, quand la victime a pris le temps d’avoir le courage de porter plainte, les délais légaux sont dépassés donc il y a la prescription de l’action publique ». D’autres cas, plus fréquents, concernent directement les preuves de ces violences : « les faits ont été commis dans l’intimité de la vie familiale, de couple. Il y a la parole de l’un et de l’autre. Parfois ces femmes n’ont pas consulté de médecin, n’ont pas de certificat médical ou ne l’ont pas conservé. L’environnement familial, les amis et collègues de travail n’ont pas percé à jour ce secret. Nous ne sommes donc pas en mesure d’amener le dossier devant le tribunal ».
Et après ?
Dans la lutte contre les violences faites aux femmes, le procureur de Nîmes affirme que de grands efforts sont entrepris. « Nous avons développé une culture de la communication. En interne, la culture personnelle et collective des magistrats évolue mais aussi les outils. En externe, ce sont les méthodes de travail qui changent avec des enquêtes de criminologie, de victimisation etc. » précise-t-il.
Pourtant, en 2018, seul 17% des auteurs présumés ont été condamnés à des peines d'emprisonnement en France, selon le rapport du Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes de 2020.
Léna, devenue étudiante en licence d’histoire, attend quant à elle le courrier officiel du parquet pour comprendre les raisons de ce refus et décider des suites judiciaires. Elle tente de se reconstruire : « Je suis suivie depuis des années par des médecins, des psychologues. J’essaie de prendre du recul, de me rassurer même s’il y a toujours une part de moi qui vit dans la peur ». Elle pense aujourd’hui, en lien avec l’association Nous Toutes, à intervenir dans les établissements scolaires pour raconter son histoire.