Le Gersois Jonathan Moncassin est éducateur spécialisé. Il vient de publier un livre autobiographique, "Le bruit des talons aiguilles". Il y évoque une enfance meurtrie et un parcours courageux et déterminé pour s'extraire des traumatismes subis. Et des rencontres salvatrices qui l'ont poussé à grandir malgré tout et à devenir lui-même éducateur.
Le Gersois Jonathan Moncassin est éducateur spécialisé. Il vient de publier un livre autobiographique, "Le bruit des talons aiguilles", Itinéraire d'un enfant placé. Il y évoque une enfance meurtrie et un parcours courageux et déterminé pour s'extraire des traumatismes subis. L'ouvrage est publié aux Editions Hygée avec une préface du footballeur Eric Carrière.
France 3 : Pourquoi ce livre-confession ?
Jonathan Moncassin : L'arrivée de mon fils a bousculé des choses. Déjà j'avais l'intention de ne pas garder pour moi ce que j'avais vécu, mais ça a pris du temps. Les gens qui ont des parcours comme le mien ont des facultés à cacher les choses parce qu'il y a le poids de la société, de la famille, de la culpabilité. Et on ferme les yeux. Tous. Dans une classe d'enfants avec 30 gamins, déjà c'est beaucoup trop pour s'occuper réellement d'eux même si on est bienveillant, on en a trois qui sont violés ou qui sont dans un univers de ce style, il y en a au moins six ou sept qui vivent dans un milieu violent. Et ça c'est que ce qu'on sait ! Dans une classe de 30 déjà, ça donne une image de notre société. Or, on ne parle pas de ça.
Et on voit l'effet ces derniers jours, les gamins qui sont dans la rue à faire n'importe quoi. Quand on creuse un peu, ça nous touche pour ce gamin, Nahel, qui n'a que 17 ans mais ça questionne car il est dans une bagnole qui vaut 80.000€ et tu te demandes : c'est quoi ses représentations ? C'est quoi ses savoirs ? Il n'en a pas. On se dit pourquoi il n'y avait pas d'éducateur derrière ce gamin ? Pourquoi les flics sont toujours livrés à eux-mêmes et se retrouvent dans des situations comme ça ?
Et on ne parle pas de ce qu'a vécu ce policier pendant 3, 4 ou 5 ans d'affilée... Si ça se trouve le gamin, ils l'ont arrêté 3 fois, il les a nargués, il les a menacés. On ne sait pas tout ça. Et ça fonctionne comme ça les quartiers. On ferme les yeux. A la campagne, c'est pareil. Au lieu de mettre des gens qui rencontrent ces jeunes et qui posent des mots sur ce qu'ils vivent, on ne le fait pas. Et le résultat est là. On a deux victimes à mon sens et une responsabilité collective des pouvoirs publics.
France 3 : Pourquoi c'était important pour vous de témoigner ?
Jonathan Moncassin : C'est une maturation de plusieurs années. Un beau-frère psychologue m'avait dit que je devrais écrire : "C'est pas possible, tu ne peux pas garder ça". L'idée a fait son chemin. Mais c'est l'arrivée de mon enfant qui a été le déclencheur. Il y a eu un retour d'affects et je me suis dit : qu'est-ce que tu fais de ça ? Est-ce que tu ne dis rien et c'est lui qui va charger derrière parce que tu ne vas pas poser de mots. Et ça, ce n'était pas concevable pour moi.
J'ai pris mon courage à deux mains et je me suis dit qu'il allait falloir avoir la force d'écrire pour lui parce que le fait qu'on ne parle pas, c'est peut-être le pire poison de notre espèce. Cette capacité d'auto-mensonge et de ne pas se dire les choses, on en paie les pots cassés. Je ne voulais pas que mon fils paie pour un vécu qui n'est pas le sien mais qui fait partie de son histoire malgré tout.
France 3 : C'est important de "sortir" les choses ?
Jonathan Moncassin : Oui parce qu'on se ment à soi-même. Dans un parcours comme le mien, on est plus enclin à être dans l'agressivité, la violence, l'énervement sous le prisme de l'émotion et à avoir une trajectoire compliquée. J'aurais pu être voleur, dealer parce que le terreau était fertile. Et là, c'est le côté flatteur, quand on écrit, de se dire : je n'ai pas basculé alors que j'aurais pu aller fumer avec les copains dans un premier temps et dans un deuxième temps, quand le copain arrive avec les Nike à 150€, lui dire comment tu les as eues et qu'il réponde : je les ai eues comme ça. Je n'y suis pas allé.
La capacité au renoncement c'est peut-être ma chance. J'ai renoncé à la facilité. C'est ce qui a été le plus dur parce qu'il y a des tentations.
Ecrire a été aussi très dur. Je croyais les événements dépassés mais je me suis retrouvé en larmes à l'évocation de certains épisodes de mon histoire. Mais une fois fini, ça a été un soulagement. Je me suis sorti de cette culpabilité familiale et j'ai réalisé que je n'étais pas responsable de ce qui m’était arrivé.
France 3 : Qu'est-ce qui a été le plus dur dans ce parcours d'enfant maltraité ?
Jonathan Moncassin : La violence. Je pense qu'elle a commencé bien avant ma naissance. L'héritage de ma famille c'est celui-là : c'est une famille de mineurs, de travailleurs du bas peuple qui a essayé de se construire après une Première Guerre Mondiale, la crise de 1929 et une Seconde Guerre Mondiale. Mes parents sont nés de ça, avec de l'autoritarisme pour éduquer les enfants.
Et mon géniteur n'aurait pas dû se retrouver là mais il a disparu dès ma naissance. Dès ma naissance, je suis abandonné. Et s'ensuivent des rencontres de ma mère qui est malade mais ne le sait pas, qui souffre terriblement d'être abandonnée et ma vie commence comme ça. Et toute mon existence, ma mère m'a rappelé que le jour de ma naissance était une souffrance terrible pour elle.
Quand on discutait, quels que soient les espaces de repas, de scènes de vie familiale, elle le répétait sans cesse. Ton père n'était pas là et toi tu étais derrière une vitre. Du coup, c'est compliqué pour un garçon de se construire, de se narcissiser un minimum. Il s'ensuit de multiples rencontres de ma mère où n'étant pas fiable, elle rencontre un premier beau-père qui est excessivement violent avec une addiction très importante à l'alcool. Dans ce contexte ultra-violent, pour exister, pour continuer à vivre, j'ai adopté des mécanismes pour essayer de ne pas faire souffrir ma mère parce qu'un enfant a besoin d'être aimé par ses parents.
Quand je me faisais "péter la gueule", pour dire les choses, ou que je voyais ma mère "se faire péter la gueule", je serrais les dents. Je ne disais rien. Plus tard, je me suis cassé les côtes ou la clavicule en faisant du vélo. A la radio, le médecin m'explique : ce n'est pas la première fois... Je ne le savais pas à l'époque, je l'apprends 20 ans plus tard.
Là je me souviens et je me dis c'était certainement cette fois-là, j'ai eu du mal à respirer... Mais sur le moment, je n'ai rien dit parce que je ne devais pas faire souffrir. C'était trop déjà de voir sa mère comme ça. Mon beau-père m'a enfermé dans des placards : tu t'es uriné dessus, tu es dans le noir et tu mets la main sur une pomme de terre pourrie... L'odeur par exemple est marquée à vie dans ma tête. C'est compliqué pour moi de supporter cette odeur. Ma mère partait mais on y retournait tout le temps.
France 3 : Comment vous avez tenu ?
Jonathan Moncassin : ça a été compliqué pour moi de me construire. Je n'avais pas confiance en moi. L’école ça ne marchait pas du tout. Aujourd'hui les problèmes de dyslexie, c'est mieux reconnu même si la prise en charge reste compliquée mais à l'époque, il n'y avait pas de connaissances là-dessus.
C'était d'autant plus compliqué que dans mon malheur, je ne suis pas bête. Je suis intelligent, j'ai des capacités de raisonnement, je vais très vite dans mon raisonnement. Du coup c'est aussi une souffrance et un enfermement psychologique. Je m'isolais et je refusais la réalité. C'était très très rude. Jusqu’à 18 ans, je papillonne. Je refuse d'être là dans ces moments-là. C'est très très dur.
Je me suis toujours questionné. Je me demandais pourquoi cette famille avait ces comportements-là. Petit, je me questionnais déjà là-dessus mais je ne disais pas un mot.
France 3 : Quel est l'objectif pour vous de ce témoignage ?
Jonathan Moncassin : En restant le plus modeste possible, si j'arrivais à aider les enfants et à faire prendre conscience aux gens, qu'il y ait une conscience collective sur ce sujet, ce serait une grande réussite.
Si je n'avais pas eu mon fils qui arrivait, je ne sais pas si j'aurais écrit ce livre. C'est très dur de se remémorer. Je pensais avec mon parcours : c'est bon, tu en as fait le tour, tu es passé... Je suis devenu éducateur : c'est bien, tu as aidé des gens, tu en as même sauvé, tu as modifié des trajectoires.
Grâce à une grande conviction, une vraie détermination, j'ai fait bougé des lignes. Parfois même, je me suis mis en danger professionnellement mais je m'en fichais parce que c'était le sens qui prédominait pour moi. Je suis resté digne quelles que soient les difficultés. Je me suis dit : c'est bon ! Mais non.
Heureusement que je n'ai pas écrit ce livre tout seul parce que certains passages, je les ai écrits en pleurs... Il n'y a pas d'acquis dans la vie. Émotionnellement, il n'y a pas d'acquis non plus.
Pour aider les enfants, il faut arriver à délier la parole. Si on arrivait à mettre en place des espaces de prévention dans les espaces de vie des enfants, ce serait une vraie réussite pour moi. Ce serait des espaces où les enfants pourraient parler. Pour l'instant, on est dans une société qui est très en retard là-dessus. On est très peu dans l'empathie.
Par rapport aux violences, un enfant devrait au moins entendre : ce que tu vis à la maison, ce n'est pas normal. Rien que d'entendre ça, ça changerait sa façon de réfléchir. Il y a une banalisation de la violence qui me dérange. Si ce livre pouvait mettre des mots là-dessus, j'en serais heureux.