Pour compenser les efforts d’économies demandés par le budget de l'Etat 2025, il est question d'augmenter les "frais de notaire", autrement dit les droits de mutation dont une part revient aux départements. Mais tous les présidents de département ne sont pas séduits par l'idée. Philippe Dupouy, président du Gers a accepté de s'exprimer sur le sujet.
Quand une maison, un appartement ou un immeuble est vendu, l’acheteur doit payer des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), aussi appelés « frais de notaire ». Ils sont calculés en pourcentage du prix d’achat du bien et représentent
Or, dans le cadre du projet de loi de finances, les collectivités territoriales sont appelées à mettre la main au portefeuille à hauteur de 5 milliards d'euros. Pour faire face, François Sauvadet, président des Départements de France, propose une augmentation de ces taxes qui reviennent dans les caisses des départements. Mais tous les présidents de départements ne sont pas prêts à franchir le pas. Le président du conseil départemental du Gers, Philippe Dupouy, répond à nos questions.
France 3 : Seriez-vous d'accord avec une hausse des frais de notaires pour faire rentrer l'argent qui manque ?
Philippe Dupouy : Disons que moi j'attends avec beaucoup d'impatience la reprise du marché. Même s'il y a eu un léger frémissement qui a été de très courte durée en septembre, il n'y a pas de vraie reprise. Lorsqu'on interroge les professionnels de l'immobilier ou les notaires, ils disent qu'ils pensent qu'il devrait y avoir une reprise au mois de décembre et que le premier semestre 2025 sera un petit peu meilleur. Mais bon, on nous annonçait que le second semestre 2024 serait meilleur. Je suis un petit peu comme Saint-Thomas…
Augmenter les DMTO, ou les frais de notaire pour parler de façon triviale, c'est une chose. Mais si on a une base qui est faible, on peut augmenter les taux de prélèvement de tout ce qu'on veut, ça n'a pas d'impact important sur les finances des collectivités, notamment des collectivités départementales. Il faut que le marché reprenne. Ce n'est pas tellement le taux sur lequel s'applique le prélèvement, c'est plutôt la masse qui n'est pas au rendez-vous. Et la masse des ventes, ce n'est que la reprise du marché qui peut la générer.
Bien évidemment, si on augmente un petit peu les taux, on augmentera un petit peu les recettes. Mais si on se compare à l'année 2022, qui certes a été une année assez forte, mais qui faisait suite aussi à quelques années d'un bon niveau de DMTO, on est quand même très très loin. À titre d'exemple, pour nous, entre 2022 et 2024, il y a 14 millions d'euros de perte. 14 millions d'euros sur 37 millions, vous voyez un petit peu le décalage !
France 3 : C'est une fausse bonne idée selon vous ?
Philippe Dupouy : Encore une fois, je n'ai pas de problème si on augmente les taux de prélèvement, mais ça ne fera qu'améliorer un petit peu les recettes. L'augmentation du taux, c'est l'acquéreur qui va le payer. Les frais de notaire, viennent en plus de la valeur du bien à payer. Il n'est pas sûr du tout que ça n'ait pas un effet négatif sur la volonté de faire une opération immobilière. La solution, c'est que, d'abord le marché revienne, parce que les DMTO ne sont que des piliers, certes non négligeables, des recettes du département. Il y a trois piliers en clair.
Il y a la dotation globale de fonctionnement (DGF), qui est une enveloppe affectée par l'État. Je rappelle quand même qu'entre 2023 et 2024, l'augmentation a été de 0,6%, c'est-à-dire 4 à 5 points de moins que l'inflation. Donc ça veut dire que quelque part, sur cette dotation, nous avons laissé des plumes. Et ensuite, il y a une part de TVA que les départements récupèrent, qui est également liée à l'activité économique, dont on sait qu'elle n'est pas florissante actuellement.
Donc, nous, département, on a besoin d'avoir une reprise économique et on a besoin d'avoir une reprise du marché immobilier, qui sont les deux piliers, sachant qu'on ne se fait pas d'illusions sur l'enveloppe de DGF.
France 3 : Cette situation vous inquiète-t-elle ?
Philippe Dupouy : Notre recours aujourd'hui, c'est une reprise économique et une reprise du marché immobilier qui va avec. Nous, on attend ça et si elles ne se produisent pas, je suis très très inquiet sur les mois et les années à venir. Si le projet de loi 2025 était adopté en l'état, ce qui est vraisemblable - ce n'est pas de la politique-fiction, ça peut arriver - il y a 85% des départements qui auront une épargne nette négative fin 2025. On ne parle pas là de bonne gestion ou de mauvaise gestion. C'est structurel.
La solution, très clairement, elle ne peut passer que par le fait que les départements retrouvent une autonomie fiscale. On nous a enlevé la taxe d'habitation, on ne prélève plus l'impôt. Or l'impôt a cette caractéristique d'être dynamique, hélas, je dirais, pour le contribuable.
Mais très clairement, les dépenses des départements sont, pour l'essentiel, des dépenses d'allocations au titre des solidarités au sens large, qui sont des dépenses sur lesquelles il est très difficile d'intervenir. Moi, je n'imagine pas un seul instant dire à un administré Gersois qu'on ne peut plus lui verser l'allocation personnalisée à l'autonomie, parce qu'on n'a plus d'argent par exemple. Ça n'existe pas.
France 3 : On comprend que c'est incompressible effectivement…
Philippe Dupouy : C'est ça, la difficulté, c'est d'avoir des dépenses qui sont, entre guillemets, "soclées" au travers des missions de solidarité que portent les départements et des recettes aléatoires. Je serais pour le retour d'une autonomie fiscale que nous avions et qui nous permettait dans les moments compliqués de pouvoir agir sur ce levier. Là, aujourd'hui, nous n'en avons plus et nous sommes pris et étranglés au travers de ce projet de loi de finances.
Que vont faire les départements ? Réduire leur voilure au sens des actions qui sont menées en direction des administrés et notamment sur des politiques qui sont certes optionnelles, mais qui ont toutes un sens.
Je vous prends juste un exemple : le département du Gers est engagé, depuis 3 à 4 ans, à essayer de réduire le manque de médecins sur son territoire en salariant des médecins. C'est une politique facultative, mais qui a un coût et on ne sait pas si on aura la capacité de la maintenir.
Et je vous parle du fonctionnement. Mais ce qui va pâtir le plus du manque de recettes, c'est l'investissement.
France 3 : Quand vous parlez d'investissement, concrètement ça veut dire quelles conséquences pour vous ?
Philippe Dupouy : Si nous, départements, nous réduisons de manière drastique notre investissement, c'est un pan de l'économie qui tombe, puisque nous sommes donneurs d'ordre à hauteur de 70%. Si les collectivités disent "on n'a plus d'argent pour investir", ça veut dire qu'on ne rénove plus les collèges, on va réduire ce qu'on fait sur les routes, on va réduire toute la partie investissement de manière drastique. Or ce sont des investissements qui reviennent, pour la plupart, dans l'économie locale parce que nos projets sont relativement modestes, on fait appel à des entreprises locales.
C'est toute cette économie qui va en pâtir et derrière, c'est du chômage, ce sont des gens qui vont tomber encore un petit peu plus dans la précarité. Si on n'est plus aux côtés des autres collectivités pour investir, les communes et les communautés de communes, ça veut dire qu'elles ne vont plus investir non plus.
Si on n'est plus aux côtés du milieu associatif, même si c'est de manière modeste, c'est la même chose. Ce sont des bombes à retardement qu'on lance sur tout ce volet social et économique. J'avais dans mon bureau, un responsable d'une association qui propose un festival qui génère un 1,5 M d'euros de retombées financières sur un week-end de 4 jours, qui me dit "si on n'a plus d'accompagnement public, on est foutu, on est obligé de mettre la clé sur la porte". Donc c'est tout ça qui est un enjeu.
Je crains que si aucune solution n'est trouvée, qu'il n'y a pas de reprise économique, de reprise du marché de l'immobilier et que l'État continue à nous ponctionner sur une partie de nos recettes, on génère une récession. Ce qui serait terrible.