Depuis cet été, des habitants de communes du Gers sont privées d'eau potable, impropre à la consommation en raison d'un niveau de concentration six fois supérieur à la limite de chlorure de vinyl monomère. Cet agent cancérigène provient de l'usure de canalisations en PVC pourtant interdites depuis 1980.
"On se fout complètement de nous !" regrette Mathilde Garros. Comme huit autres familles, cette habitante de Saint-Antonin, dans le Gers, a vu son quotidien se compliquer depuis cet été. Fin août, elle a eu la surprise de découvrir un courrier dans sa boîte aux lettres de la Société d'aménagement urbain et rural (Saur), lui recommandant de ne plus boire l'eau du robinet, ni de l'utiliser pour la préparation d'aliments avec de l'eau non portée à ébullition. Aucune restriction pour la toilette, le lavage des aliments ou encore le brossage des dents, en revanche.
L'eau a été déclarée impropre à la consommation, suite à des analyses pour rechercher le chlorure de vinyl monomère ( CVM) à la demande de l'Agence régionale de santé et en application des recommandations nationales. Le courrier de la Saur, en charge de la distribution de l'eau sur ce territoire, envoyé également à des habitants des communes voisines de Homps et Sérempuy, annonce "une présence de CVM à une concentration supérieure à la limite de qualité réglementaire (0,5 µg/l)".
Six fois supérieure, en réalité, selon le site du gouvernement qui publie les analyses de l'eau potable en France (3µg/l). Une donnée d'autant plus inquiétante puisque le CVM est classé depuis 1987 comme étant un agent cancérogène pour l'homme. La contamination au CVM provient des canalisations en PVC, largement utilisées avant leur interdiction en France en 1980. Des canalisations qui se sont dégradées avec les chaleurs estivales et qui ne sont pas présentes partout sur la commune.
"Impossible d'avoir qui que ce soit au bout du fil à la Saur pour obtenir plus d'information, les numéros indiqués sont injoignables", s'inquiète Mathilde, maman de trois enfants, attentive à la réduction des déchets. Depuis quelques semaines, elle jongle avec l'achat de packs d'eau minérale qu'elle utilise aussi pour laver ses légumes ou cuire les aliments. La Saur qui devait en assurer la distribution chaque semaine à raison de deux litres par jour et par personne n'a pas assuré correctement les livraisons.
"On se pose beaucoup de questions. Si on ne peut pas boire l'eau, alors est-il bon de l'avoir sur nous, sur notre peau qui n'a pas de filtre ?"
Mathilde Garros, habitante de Saint-Antonin depuis 2017
Mathilde ne demande rien de plus que de disposer d'une information solide et d'être accompagnée.
Depuis combien de temps ?
Tout comme Claire Mignognat, qui a emménagé dans la commune, en avril dernier avec son enfant et son compagnon. " Depuis combien de temps les gens boivent-ils une eau contaminée ? ", s'interroge-t-elle. Cette nouvelle habitante a multiplié les coups de fils et les mails pour tenter d'obtenir des réponses. "Comme la distribution de l'eau en bouteille est irrégulière, à raison de trois livraisons en trois mois, on se demande lorsqu'elle n'est pas distribuée pendant plusieurs semaines, si l'eau est potable à nouveau. Et depuis toujours, le site de la Saur indique que l'eau est potable !".
C'est d'ailleurs par ses propres recherches sur le site d'information du gouvernement que cette scientifique a appris que l'eau ne l'était toujours pas. "Mais qu'en est-il des habitants qui ne font pas ces mêmes recherches ? Le courrier de la Saur n'est pas forcément compréhensible par tous. Mes voisins, eux, réutilisent l'eau du robinet pour bouillir le café. Nous n'avons par ailleurs aucune information sur les mesures de résolutions mises en place ? La seule réponse c'est celle de la mairie il y a quatre jours qui a indiqué que la Saur effectuait de nouvelles analyses".
Pas plus informé sur leurs résultats depuis le 5 octobre dernier, le maire Michel Fourreau, ne cache pas son énervement. "Cela me met en colère !", exhulte impuissant l'édile, qui dénonce une situation ubuesque car il dispose d'aucune information officielle de la Saur ou de l'ARS. La mairie et sa salle des fêtes sont elles aussi privées d'eau. "Pour la cérémonie du 11 novembre, nous avons demandé des packs d'eau et on nous en a livré alors que les habitants n'en n'ont pas. Apparemment ils sont en rupture de stock ! "
50 millions d'euros pour changer les canalisations
Le maire le sait, le problème risque de ne pas être résolu avant longtemps. Il faudra procéder aux changements de canalisation. " Le problème, ce sont les tuyaux ! L'eau qui sort du château d'eau n'est pas contaminée", souligne-t-il. La tâche reviendra au Syndicat intercommunal d'adduction en eau potable (SIAEP) de l'Arrats et de la Gimone en charge de l'alimentation en eau et qui gère 30 communes, dont Michel Fourreau est aussi membre du bureau.
" Nous avons 700 km de réseau et 300 km de branchements, avec au moins 500 km en PVC. Il nous faudrait 50 millions d'euros, soit 5 millions d'euros par an sur 10 ans, résume Patrick Pasquali, son président. Impossible pour un syndicat rural comme le nôtre, ce que j'ai dit à la sous-préfète à qui j'ai demandé un rendez-vous avec l'ARS dont j'attends les directives." Sollicitée, l'ARS ne nous a pas encore répondu.
En attendant, la Saur a recommandé au Siaep d'effectuer des purges. " Il faut qu'on affine l'analyse mais une purge ça nécessite beaucoup d'eau, entre 5 et 10 000 m3, je pense, alors que nous avons des périodes de restriction d'eau", s'agace Patrick Pasquali. "Et à partir du mois de mars, il faudra recommencer ! Si on garde ces normes basses de CVM à vie, il faudra bien trouver une solution !" D'autant que ces trois communes, sont les premières où les recherches de CVM sont effectuées. D'autres devraient donc suivre.
( Avec Sandra Wachlewicz)