Dans un article du Canard enchaîné paru ce mercredi 18 octobre, un mail rédigé par le directeur général de l'ARS Occitanie fin septembre questionne sur la qualité de l'eau en Occitanie. Et si l'eau du robinet passait de "potable" à "consommable", avec tous les risques pour la santé que cela comporte ? Explications.
Et si l’eau n’était plus potable, mais consommable ? C’est la question posée par Le Canard enchainé suite à la lecture d’un mail pour le moins étonnant, envoyé le 23 septembre dernier par Didier Jaffre, directeur de l’Agence régionale de santé (ARS) Occitanie, à ses cadres. Dans ce message, citent nos confrères, on peut notamment lire : « Très clairement, nous allons devoir changer d’approche et de discours, il y a des PFAS [substances poly ou perfluoroalkylées] et des métabolites partout. Et, plus on va en chercher, plus on va en trouver. » Une situation alarmante, alors que les histoires d’eau polluées sont de plus en plus fréquentes dans la région. « Elle ne doit plus être consommée, mais seulement utilisée pour tout le reste, ajoute aussi le patron de l’ARS dans son mail. [Il faut] donc privilégier l’eau en bouteille. »
Des substances parfois cancérigènes
PFAS, métabolites… des termes flous pour la plupart des consommateurs d’eau potable. Mais pas pour Cécile Stratonovitch, pédiatre spécialisée dans l’étude des pesticides et leurs conséquences sur le développement humain. « De manière générale, nous sommes exposés à des centaines de substances plus ou moins toxiques pour l’organisme », rappelle le médecin membre de l’association Alerte Médecins contre les Pesticides.
Pour elle, confirmer leur présence dans l’eau du robinet est bien plus qu’inquiétant. Les PFAS sont des composés utilisés comme coadjuvants dans les pesticides, pour renforcer les propriétés de la molécule, comme en aider l’adhésion aux plantes par exemple. Les métabolites sont les produits issus de la dégradation d’une molécule. « Certaines de ces substances sont plus dangereuses que les molécules elles-mêmes », ajoute le médecin.
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Le cas des gravières
En Occitanie, comme partout en France, les alertes sur l’état de l’eau se multiplient. Henri Delrieu, représentant de l’association le Chabot, membre du collectif Stop Gravières dans l’Ariège, fait partie de ces lanceurs d’alerte. Depuis des années, l’association fait analyser l’eau du département auprès de laboratoires agréés.
Malgré une bataille perdue avec le classement en avril dernier de l’affaire de pollution du puits de l'Ayroule à Foix survenu en 2011, ils n’abandonnent pas leur cause, notamment le cocktail de molécules dû à l’agriculture intensive et l’enfouissement des déchets du BTP dans les gravières de la Basse Ariège. Ce dernier point, soulevé en 2018 par le député LFI de l’Ariège Michel Larive auprès du ministre de la Transition écologique, puis le 12 octobre 2023 par la sénatrice du Rhône Raymonde Poncet Monge, revient régulièrement sur le devant de la scène, mais n’évolue pas depuis les années 2000.
« Le problème de ces enfouissements, c’est qu’ils sont totalement légaux. Les déchets du BTP [céramique, brique, enrobés de béton…] sont considérés comme "inertes" », explique Henri Delrieu. Mais un détail n’aurait pas été pris en compte : au contact de l’eau, certaines de ces matières inertes se décomposent. « C’est le cas du béton, qui rejette des métaux lourds, comme le fer. » Et du fer, les analyses de l’eau demandées par l’association en ont trouvé, à forte dose dans un puits privé, tout proche d’un des sites industriel, à plus faible dose en aval des nappes phréatiques, là où l’eau rejoint le cours de l’Ariège. « Mais en amont, nous n’avons trouvé aucune trace de fer, appuie le président de l’association. Dans le puits, un des échantillons contenait cinq fois la dose tolérable par le corps humain. »
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Des analyses insuffisantes
En 2026, les contrôles des substances présentes dans l’eau potable devraient être renforcés. Une bonne nouvelle ? En attendant, soulignent nos confrères du Canard enchainé, la directive du président de l’ARS est plutôt celle-ci : « le conseil donné (…) est de ne pas les faire. » Pour Cécile Stratonovitch, les contrôles effectués par les Agences régionales de santé ne sont absolument pas à la hauteur. « Pour détecter la présence de bactéries, l’eau est analysée tous les jours sur tous les points de captage, rappelle-t-elle. Pour les substances chimiques, c’est une analyse par mois, sur un seul captage. C’est très loin d’être suffisant. »
Le médecin regrette aussi que les seuils d’alertes ne soient pas les mêmes en fonction des régions. « Il n’y a pas une liste garantissant un dosage maximum pour la France entière, chaque ARS est libre de décider. Alors que les seuils ne sont déjà pas un indicateur fiable, puisque certaines substances sont très dangereuses même à faible dose. » Ainsi, sans garantie de respect de ces seuils, parfois dépassés sur dérogations, le médecin s’exaspère : « On ne parle pas non plus de l’effet cocktail de ces substances, dont on ne doit pas additionner les effets. Certains mélanges peuvent être synergiques. »
Contactée, l’ARS Occitanie n’a pas souhaité faire de commentaire à ce stade. Pour autant, la problématique de l’eau potable en passe de devenir consommable est loin d’être résolue.