La Guerre d’Algérie (1954-1962) a grandement impacté notre région Occitanie. Avec des milliers de jeunes partis au front. Pêcheur héraultais, Jim Crouzet y est devenu sniper, tueur de fellagas. Son fils raconte aujourd’hui son étonnant parcours marqué à vie par ses actes de guerre.
Ils ont été des milliers à devoir partir combattre pour un drapeau français sur un territoire qui n’était qu’une colonie puis un département de notre pays, envahi des décennies auparavant. Jim Crouzet a été de ces jeunes appelés.
De l'Etang de Thau au front algérien
Ce pêcheur de Balaruc-les-Bains, petite station thermale au bord du bassin de Thau dans l’Hérault, de famille modeste, était aussi un chasseur passionné et des plus adroits. Incorporé en août 1956 dans la marine, il se retrouve deux mois plus tard à Alger.D’emblée, on lui montre la violence dont sont possibles les insurgés, les fellagas du FLN (Front de Libération Nationale) pour tenter de l’entraîner à faire de même à l’encontre de ces-derniers.
Dans un premier temps, il refuse d’entrer dans ce jeu de violence…avant d’y basculer à son tour.
Il accepte d’aller faire la guerre, mais en refuse la justification. (…) L’idée d’enfreindre la loi a toujours suffi à lui donner la nausée (…) Mentir à ses parents ne lui a jamais rien coûté, mais il aurait été incapable de trahir son gouvernement. Il avait reçu l’ordre de faire la guerre, il ferait la guerre…(Extrait de "Mon père, ce tueur")
C’est ce processus que raconte son fils Thierry Crouzet dans son livre « Mon père, ce tueur » (Edition La manufacture de livres).
A travers les rares confidences faites ou retrouvées après la mort de celui-ci dans une lettre laissée à son attention. Des recherches lui font découvrir que son père était devenu là-bas, dans ce conflit, un tueur, un tireur d’élite, un sniper. Les proies n’étaient alors plus les canards, lapins, lièvres ou perdrix des étangs et garrigues de l'Hérault.
Des canards aux fellagas
Des horreurs de la guerre, avec les exactions ignobles commises de part et d’autres…à la peur de mourir qui transforme chaque homme, c’est le cheminement d’un être humain que raconte Thierry Crouzet.Un cheminement qui a transformé son père à jamais, le faisant basculer dans une sorte de mutisme sur ces années-là, voile amnésique jeté dessus comme l’ont fait bien des soldats revenus, mais aussi dans une violence latente, prête à exploser à tout moment.
Avec comme un fardeau, le souvenir de ces hommes dans son viseur, parfois peut-être victimes innocentes sacrifiées par précaution, par anticipation. Sans savoir parfois s’ils étaient vraiment combattants du FLN, sympathisants de celui-ci…ou simples quidams sous le joug d’une peur incessante de représailles de la part des deux camps.
Le poids du passé
Ce passé a hanté Jim Crouzet pendant de longues années après son retour…et il a aussi marqué ses relations avec son fils.Je n’ai jamais tenté de juger mon père, j’ai cherché à le comprendre, à comprendre comment il en était arrivé là, et quand je déroule l’histoire, je suis bien obligé d’admettre qu’il ne s’est pas mis tout seul dans cette situation, l’armée lui a plus que forcé la main. Elle a massacré sa génération, sans faire réparation.
En tenant de comprendre ce cheminement, Thierry Crouzet nous livre aussi un autre combat : celui pour ne pas transmettre de père en fils, l’héritage de la violence.
Thierry Crouzet : des ordinateurs à l'écriture
Thierry Crouzet est né en 1963 à Sète.Alors que son père le voyait devenir pêcheur comme lui, sa passion pour les premiers ordinateurs le conduit à devenir ingénieur en micro-électronique, développeur, puis journaliste spécialisé en la matière (chef de rubrique au mensuel Soft & Micro, puis rédacteur en chef de PC Express et PC Direct).
Il écrit vingt livres de vulgarisation sur la bureautique et Internet, vendus à 300.000 exemplaires.
De quoi lui permettre de « débrancher » pour se lancer dans des récits, des essais, des romans :
"Le cinquième pouvoir : comment Internet bouleverse la politique" (Bourin éditeur, 2007), "Le Peuple des connecteurs" (Bourin éditeur, 2006), "J'ai débranché" (Fayard, 2012), « Résistant » (Bragelonne, 2017)