Cinq hommes seront jugés pour avoir fabriqué des cigarettes de contrefaçon, à l'arrière d'un café, près de Toulouse (Haute-Garonne). À l'heure où le prix des paquets de cigarette ne cesse d'augmenter, les professionnels du secteur alertent sur le business du tabac illicite, qui prend de plus en plus d'ampleur.
Dans le box des prévenus se tiennent cinq hommes, l’air grave, le visage tendu. Ils viennent d’Azerbaïdjan, du Kazakhstan ou encore d’Ukraine. Trois d’entre eux ne parlent pas français. Ils comparaissent tous, ce mercredi 20 décembre 2023, pour une affaire de fabrication frauduleuse en bande organisée.
Dans l’arrière-boutique d’un bar de Launaguet, au nord de Toulouse (Haute-Garonne), ils produisaient des cigarettes de contrefaçon. Les enquêteurs de l'unité des stupéfiants et de l'économie souterraine, accompagnés du Raid de Toulouse et de la brigade anticriminalité ont découvert 550kg de tabac provenant de Pologne ainsi que des machines capables de produire 1500 cigarettes à la minute. Une véritable usine clandestine, qui emballe les cigarettes dans des paquets siglés « Malboro ». La société Philipp Morris se porte d'ailleurs partie civile pour « le préjudice » que cette activité illicite lui porte.
Dans le box, les accusés ont du mal à rester silencieux. Ils se parlent, se regardent du coin de l’oeil, interrogatifs. La procureur de la République leur ordonne de se taire. "On voit bien qu’il y a des pressions, entre eux", déclare-t-elle.
Des prix défiant toute concurrence
C’est le deuxième démantèlement d’une usine de tabac clandestine, en seulement 12 mois. La France est le premier marché de cigarette de contrefaçon. La cause principale ? La très forte augmentation du prix du tabac. En 2018, un paquet coûtait 7€, aujourd’hui, il faut débourser 11€. Une situation qui pousse les fumeurs à trouver des solutions de contournements.
Avant le confinement, ils allaient à l’étranger, pour payer moins cher. Mais aujourd’hui, des alternatives encore plus arrangeantes existent. Sur les réseaux sociaux notamment, des vendeurs de cigarettes de contrefaçon proposent des prix imbattables. Des cartouches à 35 ou 40€ livrées directement chez soi. Les vendeurs présentent souvent leurs produits comme des invendus de Duty free, ou des paquets provenant de pays étrangers. Tout est faux, mais le consommateur se laisse avoir, parce que des prix comme ça, on en trouve nulle part ailleurs.
Même mode opératoire que pour la drogue
Si l’on en croit les machines et la quantité de produits retrouvés dans "l’usine" de Launaguet, le business du tabac clandestin est plus que rentable. "Le mode opératoire est le même que pour les stupéfiants. Tout est structuré, organisé, le processus est discret, explique Daniel Bruquel, chef du service de prévention du commerce illicite pour Philip Morris France. La rentabilité est équivalente à celle des stupéfiants, sauf qu'en plus, les criminels risquent moins. On parle généralement de 10 années de prison pour trafic de drogue, et seulement 3 pour trafic de cigarette."
"À Toulouse, 12% de la consommation de cigarettes concerne la contrefaçon, explique-t-il. Si on englobe les autres marchés illégaux, comme les cigarettes de contrebandes qui viennent d'Andorre, le chiffre monte à 30%. 30% du tabac qui ne vient donc pas de chez les buralistes."
"On essaye de sauver nos commerces"
Chez les buralistes de la région, justement, la colère gronde. "Pour nous, c'est une double peine, se désole Thierry Arnaudin, président des buralistes d'Occitanie. Entre les trafics de cartouches qui viennent d'Espagne et d'Andorre, et les cigarettes de contrefaçon, on a perdu 12% de nos volumes de livraison."
Une perte dans leur chiffre d’affaires, qu'ils tentent de pallier : "On essaye de se diversifier pour sauver nos commerces, mais on n'arrive pas à faire comprendre à l'Etat que la hausse du prix du tabac nous impacte trop. Il y a trop d'écart entre les pays européens." Thierry Arnaudin avoue son inquiétude pour les petits buralistes en zone rurale. "Il suffit qu'un jeune du village vende des cigarettes clandestines, et toute son activité s'écroule", affirme-t-il.
Un danger pour la santé
Dans les cigarettes retrouvées dans l'atelier clandestin de Launaguet : des métaux lourds et des excréments de rats. Daniel Bruquel rappelle que les cigarettes légales "sont soumises à des normes, auxquelles les cigarettes contrefaites ne le sont pas du tout." Des produits dangereux pour la santé donc, et impropres à la consommation.
Sur la demande des cinq prévenus, l’audience est reportée au 30 janvier 2024. Ils ont tous été placés en détention provisoire. Les avocats de la défense le confirment : le dossier est trop lourd, il faut se préparer.